Plus de 30 écoles offertes aux géants du BTP : le plan à un milliard d’euros de la mairie de Marseille

samedi 5 mai 2018
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Par Pierre Isnard-Dupuy pour Basta Mag.

Un milliard d’euros pour la destruction et la reconstruction de 34 écoles vétustes. C’est ce que compte engager la ville de Marseille sur 25 ans, dans le cadre d’un grand partenariat public-privé. Elle confie ainsi la clé des infrastructures à quelques grands groupes du BTP en contrepartie d’une lourde redevance annuelle.

Face à une méthode désormais bien connue pour son impact néfaste sur les finances publiques, des élus d’opposition, syndicalistes enseignants, parents d’élèves, architectes, professionnels du bâtiment ou simples citoyens se mobilisent.

« C’est un véritable plan Marshall pour nos écoles qui n’a aucun équivalent ni pour la ville de Marseille ni pour aucune autre ville », claironne Jean-Claude Gaudin en conseil municipal. Avec sa majorité, le maire (LR) de Marseille dit avoir trouvé la solution miracle à la vétusté des écoles de la cité phocéenne. Une situation tellement détériorée qu’elle défraie régulièrement la chronique dans plusieurs dizaines d’écoles, sur les 444 que compte la ville. Avec la présence de rat, d’amiante, parfois l’absence de chauffage, ou encore l’attente interminable de travaux d’entretien, un grand nombre des 77 000 élèves marseillais ne sont toujours pas correctement accueillis. En décembre 2015, Charlotte Magri, enseignante dans les quartiers du nord de la ville, adressait une lettre ouverte à la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, pour dénoncer cette situation.

La professeure enseignait dans une école de type GEEP, du nom de l’entreprise de construction qui employait dans les années 60 une méthode considérée à l’époque comme rapide et économique. Elle consistait à assembler un bâtiment sur une structure métallique préfabriquée. On surnomme aussi les établissements de ce type « Pailleron », du nom d’un collège parisien bâti selon cette méthode, et qui a brûlé en 1973 en laissant vingt morts dont seize enfants. Ce drame avait conduit à imposer une nouvelle réglementation sur la sécurité des bâtiments publics. A Marseille, la plupart des témoignages d’enseignants ou de parents d’élèves sur la vétusté concernent ces établissements.

Le gouffre de la rénovation du stade Vélodrome

C’est précisément sur les GEEP que compte agir la ville de Marseille : « 10% du parc scolaire, [qui] engendre des surcoûts et des difficultés en termes de maintenance et d’entretien », expose une délibération du conseil municipal. La ville s’apprête à laisser au privé la gestion de 34 écoles moyennant une redevance payée par la collectivité pendant 25 ans. De la construction à l’entretien, rien ne serait plus directement à la charge de la municipalité, via un partenariat public-privé (PPP) de plus d’un milliard d’euros conclu avec de grands groupes du BTP, qui pourraient être Bouygues, Vinci ou Eiffage. Pour l’instant, le principe a été voté au conseil municipal du 16 octobre 2017.

Dans le détail, L’idée de ce « plan écoles » est de procéder à la destruction de 31 groupes scolaires. En remplacement, 28 seront reconstruits et 6 nouveaux établissements seront créés. Les appels d’offres doivent être lancés à la fin de l’année 2018. L’ensemble de ces destructions-reconstructions s’étalerait sur six années. A moins que l’opposition à ce projet parvient à le bloquer. Un collectif, Marseille contre les PPP, rassemble syndicats d’enseignants, associations de parents d’élèves, organisation d’architectes et de professionnels du bâtiments qui préféreraient voir la ville rester propriétaire de ses écoles, sous la forme d’une maîtrise d’œuvre publique.

Un autre PPP qui coûte cher : le stade Vélodrome, rénové pour l’Euro 2016, coûte 15 millions d’euros par an sur 35 ans à la ville de Marseille.

« Vous allez devoir augmenter les impôts pour payer des banques et des promoteurs qui après s’être occupés du stade, s’occuperont des écoles », adresse également à la majorité l’élu d’opposition PS Benoit Payan. Il est vrai qu’en matière de PPP, la ville de Marseille n’en est pas à son « coût » d’essai. Le plus controversé est celui de la modernisation du stade Vélodrome avant l’Euro 2016. Fin septembre 2017, la Cour des comptes émettait des réserves sur le montage de l’opération contractée avec Bouygues, qui voit la ville s’acquitter d’un loyer de 15 millions d’euros par an en moyenne.

Mais la mairie sait présenter le bilan à son avantage. « Le contrat de partenariat a permis de rénover le stade dans les délais et les coûts prévus par le contrat initial », reconnaît la Cour. « Le Vélodrome est un argument à double tranchant. Si le montage financier est discutable, beaucoup de Marseillais aiment leur club et sont fiers d’avoir un beau stade », prévient Séverine Gil de l’association de parents d’élèves MPE 13.

Un bénéfice financier plus qu’hypothétique

En annexe de son plan écoles, dans un document d’« évaluation préalable du mode de réalisation », la majorité municipale considère la « multiplicité des sites », les contraintes de calendrier, « la réalisation de chantiers sur des sites en fonctionnement » et le désamiantage comme autant de « complexités » justifiant le recours à un partenariat public-privé.

De prime abord, une maîtrise d’œuvre publique apparaît moins chère : 620 millions d’euros, contre 675 pour le partenariat avec le privé, qui seront inclus dans la redevance versée par la ville à l’opérateur. Mais l’évaluation des risques et des coûts est alors appelée en renfort. Le document estime qu’en intégrant la notion de risque – délais non respectés, surcoûts, défaillance d’un prestataire... – le coût potentiel d’une opération publique passerait à 734 millions d’euros.

Le tout est posé comme si l’opérateur privé en charge de l’opération ne pouvait lui-même être défaillant. Il existe pourtant des contre-exemples : en Grande-Bretagne, le groupe Carillion a fait faillite, obligeant l’État britannique à réagir dans l’urgence pour maintenir les services, y compris pour de nombreuses écoles.

« Une bombe à retardement budgétaire »

Avec un PPP, la mairie se débarrasse de la maîtrise d’ouvrage – la conception et supervision des travaux – pour la confier à un seul opérateur. Les surcoûts ne sont pas permis, mais la contrepartie est un prix de redevance élevé. Néanmoins, le principe même des PPP est de plus en plus remis en question. Un rapport sénatorial de 2014 juge même le dispositif comme « une bombe à retardement budgétaire souvent ignorée par des arbitrages de court terme », pouvant conduire à « un double risque de rigidification et d’éviction des budgets ». De même, la cour des comptes européenne considérait récemment que « les partenariats public-privé cofinancés par l’UE ne peuvent être considérés comme une option économiquement viable pour la fourniture d’infrastructures publiques ».

Dans le cas marseillais, les redevances – en ajoutant les prestations de maintenance et d’entretien – vont s’élever à 40 millions d’euros par an sur 25 ans, soit 1 milliard d’euros au total, alors que le budget de rénovation de l’ensemble des écoles sur l’année 2017 était de 30 millions d’euros. Un grand écart reconnu par l’évaluation préalable elle-même : les budgets de 2014 à 2016 estiment « les charges d’exploitation des 455 classes concernées par le projet Plan écoles (...) à un montant de 1,6 millions d’euros ».

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Transmis par la_peniche




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