Centrale de Gardanne : les raisons du conflit

vendredi 4 janvier 2019
par  Rouge Midi
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La France, par la voix du président de la république, a annoncé la fin « irréversible » des centrales à charbon…en France. On pourra donc polluer ailleurs sans se poser ici la question de la maitrise propre des énergies fossiles. Lawrence Summers peut être content, M. Macron suit les recommandations de l’administration US. Pour le groupe allemand UNIPER, cela concerne deux centrales : celle de St Avold en Moselle et celle de Gardanne dans les Bouches du Rhône. Depuis cette annonce le groupe et le gouvernement parlent de reconversion alors que dans les faits…

On est accueillis à l’entrée de la centrale par une bande de salariés en gilet jaune, pas ceux des ronds-points, ceux que l’on porte au travail. Les grévistes loin des clichés que l’on trouve souvent dans la presse sont loin de se prélasser au soleil pourtant bien accueillant en ce matin de décembre, s’activent. Certains coupent du bois, d’autres montent un abri pour les journées et les nuits à venir. Cela fait 21 jours qu’ils sont en grève.
Comme le dit Nico, un camarade de la construction venu pour apporter son soutien : « là ça veut dire que le moral est bon » et Nadir, un des responsables du syndicat de la centrale de répondre « oui on se prépare à tenir ».
Après un café l’entretien avec Nadir et quelques camarades autour de lui, l’entretien peut commencer.

RM : Quel a été le déclencheur de la grève ?

Nadir  : C’est le contexte social. Partout dans le pays s’exprime le ras-le-bol devant la politique menée. Nous nous pensons qu’il faut la convergence des luttes pour gagner face à l’incertitude qui pèse sur l’avenir de la centrale, particulièrement ces derniers mois. On s’est dit c’est le moment d’y aller. On a donc eu un bureau extraordinaire du syndicat où on a parlé de tout de la boite, du contexte, des conditions de l’action et on a décidé de proposer la grève reconductible. On a ensuite réuni la commission exécutive du syndicat [1] qui était d’accord avec les réflexions du bureau et alors on a réuni une assemblée générale du personnel qui a eu la même analyse que nous. Bon c’est sûr qu’avec 84%de syndiqués c’est plus facile. Les salariés disaient comme nous que la CGT nationalement est trop attentiste. La grève reconductible est la forme d’action la plus efficace qui permet chaque jour de poser la question de la poursuite de l’action et de ses formes.

RM : Qu’est-ce que vous demandez ?

Nadir : On porte la question du moratoire, c’est une connerie de fermer le charbon et on peut exporter dans les autres pays. Un moratoire permet de sauvegarder les emplois, d’avoir la discussion et de discuter sur la transition énergétique. Macron a bien parlé récemment de moratoire mais il a exclu le charbon. On est donc devant une volonté de fermer coûte que coûte [2] et peu importe les conséquences pour l’emploi non seulement des salariés de la centrale mais aussi pour le bassin minier de Gardanne. Leur seul projet c’est la fermeture.

RM : Au fond ils vous refont le coup de la mine de Gardanne qu’il fallait fermer en particulier pour des raisons écologiques…

Oui et pour quel résultat ? (D’autres salariés se mêlent à la discussion et les propos s’entrecroisent, l’interview se transforme en échange à plusieurs voix).
Depuis la fermeture il n’y a pas moins de pollution sur la ville, par contre on n’a jamais récupéré les emplois perdus ! [3]. Sur la biomasse, son maintien ou sa modification il n’y a pas de réflexion. Il n’y a pas de projet. En septembre UNIPER a confié à Rothschild une revue stratégique pour explorer les pistes d’avenir de la centrale de Gardanne et de celle de St Avold. A partir du moment où ils ont confié au privé cette réflexion c’est clair qu’il n’y allait pas y avoir de réponse dans le cadre de la réponse aux besoins, mais que c’est le profit qui serait recherché.

Bien sûr la direction s’est défendue de jouer au Monopoly financier sur le dos des salariés. Elle a même assuré qu’il n’y aurait pas de vente et qu’elle entamait une réflexion sur les choix stratégiques suite à la décision gouvernementale. En fait l’annonce de la vente à la découpe se fait en pleine grève le 24 décembre dernier. Et là on peut dire que c’est rentable pour les actionnaires puisque l’entreprise est revendue 4 fois son prix !!! Ça ne change pas notre objectif même si ça nous fait réfléchir sur la stratégie et ça montre que nous avions raison dans notre courrier du 18 octobre où nous demandions un moratoire sur le charbon afin d’assurer la pérennité du site et des emplois et d’entamer une réflexion sur les choix stratégiques à faire.

Là, le résultat de leur « revue stratégique » est éclairant, le rachat par EPH, présidée par Daniel Kretinsky. Un homme d’affaires tchèque, milliardaire, connu pour le rachat systématique à travers l’Europe de centrales à charbon et qui en France a acheté dans la même période 49% des actions du journal Le Monde (pour quelle cohérence ?) et notre usine dont il a déjà revendu, avant même que l’achat soit finalisé, une partie de l’activité au groupe TOTAL ! Il est où l’intérêt des salariés, de la population et le souci écologique dans tout ça ?

Il faut aussi compter dans tout ça avec des erreurs de choix de technologies qu’a fait la direction et que nous avons dénoncés. Les patrons se succèdent au gré des rachats et parce qu’ils ont le pouvoir économique ils se croient infaillibles en matière de technologie. Il y a un refus de prendre en compte l’intelligence ouvrière collective. On a construit les tranches avec les salariés et pourtant ils ne nous ont pas fait confiance. Les patrons ont viré nos ingénieurs qui avaient du savoir pour mettre à la place des cadres techniques qui avaient bien sûr des diplômes mais ne connaissaient pas l’entreprise, le mode de production et ne pouvaient pas bénéficier de l’apport d’anciens. On est arrivés à ce paradoxe que ce sont les travailleurs qui expliquaient aux ingénieurs qui arrivaient ce qu’il fallait faire. S’ils nous avaient écoutés n’en serait pas là.

De même la stratégie financière du moins disant a montré ses limites. En privilégiant systématiquement les opérateurs les moins chers, l’entreprise s’est privée de savoir-faire et cela a pesé sur les performances de l’entreprise. Sans parler de l’impact de la sous-traitance qui a employé des salariés tournants pas assez qualifiés mais surtout inexpérimentés et du coup cela a pesé sur la qualité. La sous-traitance est un non-sens social, car cela crée une catégorie de salariés moins payés et moins reconnus, mais c’est aussi un non-sens économique. C’est une autre cause de contreperformance technique.

Une autre preuve de leur incompétence et de leur stratégie en zig-zag c’est la démission du directeur il y a 10 jours en pleine grève…quelques semaines après la décision de septembre et sans doute en sachant ce qui se tramait avec EPH.

Le cynisme et l’hypocrisie au nom de l’écologie

Lawrence Summers
Economiste en chef de la banque mondiale puis secrétaire d’état au trésor sous Clinton, puis directeur du conseil économique de la maison blanche sous Obama
« Les pays sous-peuplés d’Afrique sont largement sous pollués. La qualité de l’air y est d’un niveau inutilement élevé par rapport à Los Angeles ou Mexico. IL faut encourager une migration plus importante des industries polluantes vers les pays moins avancés. Une certaine dose de pollution devrait exister dans les pays où les salaires sont plus bas. Je pense que la logique économique qui veut que des masses de déchets toxiques soient déversées là où les salaires sont les plus faibles est imparable […] L’inquiétude [à propos des agents toxiques] sera de toute évidence beaucoup plus élevée dans un pays où les gens vivent assez longtemps pour attraper le cancer que dans un pays où la mortalité infantile est de 200 pour 1000 à 5 ans. » [4].

Concernant la biomasse, il y a principalement deux réactions
- Soit des réactions épidermiques de certains qui croient que l’on se fout de l’avenir de la planète et de nos enfants, comme s’il y avait qu’une catégorie de bien-pensants qui se préoccupent d’environnement et que les ouvriers seraient trop incultes pour s’en soucier.
- Soit un affichage qui cache en fait une volonté de fermeture et de modification de la nature de notre région. L’écologie pour Macron n’est qu’un prétexte. On ferme une centrale au charbon en Alsace et de celle-ci on peut voir aux jumelles une autre qui s’ouvre de l’autre côté de la frontière en Allemagne. Sans parler qu’on continue à s’approvisionner en énergies issues de centrales thermiques ou le droit à polluer instauré par la taxe carbone.
Ce n’est pas parce qu’on n’a pas fait les grandes écoles que nous ne sommes pas capables d’observer et de réfléchir.
Quand j’entends ce que dit cet « économiste » je me dis mais ils ne se rendent pas compte que l’on est tous sur la même planète ? C’est pas sur la lune qu’il va polluer, c’est sur notre terre à tous !
Avec la biomasse, on ne nie pas qu’il faille améliorer encore la technologie mais qu’on nous laisse le temps. On pourrait par exemple, sans importer des arbres de l’autre côté de l’Atlantique ou de l’étranger, améliorer notre environnement. On pourrait ainsi renouveler la forêt provençale en remplaçant une grande partie des pins qui appauvrissent et acidifient les sols contribuant ainsi à l’érosion, par des feuillus (chênes, hêtres…) qui étaient l’essentiel de notre forêt avant l’augmentation de l’intervention humaine.
Plus généralement : « La forêt française est en croissance de 26 m2 chaque seconde, soit de 82 000 hectares et 85 à 110 millions de m3 chaque année. La forêt française occupe actuellement 28% du territoire, presque 16 millions d’hectares. Entre 1985 et 1995, la forêt française a progressé au rythme annuel de 30 000 hectares, soit trois fois la surface de Paris ! » [5]
Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire le progrès n’est pas forcément synonyme de pollution ou de dégradation des conditions de vie. C’est le capitalisme qui est en cause, c’est-à-dire la recherche du profit pour les intérêts de quelques-uns au détriment de la réponse aux besoins de toutes et tous.
Concernant la lutte on n’a pas le choix, on joue la survie de l’entreprise, on va gagner. On est tous du bassin minier. On a en commun le sens de la lutte, une culture, une solidarité, une volonté de vivre et de travailler ici. On s’est organisé pour tenir et on tiendra. Pour le moment on s’organise en interne pour la solidarité financière. En janvier on lancera celle-ci à plus grande échelle.

Gardanne le 27 12 2018


[1sa direction, assemblée plus large NDLR

[22022 a été annoncé comme date butoir NDLR

[3Plus de 1533 chômeurs sur la seule ville de Gardanne selon les chiffres officiels un taux de 10% en fait sans doute 2 fois plus si on y ajoute les chômeurs des catégories non comptabilisées par Pôle emploi NDLR

[4Cité par Michel Collon dans USA les 100 pires citations



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