Faut-il brûler les organisations ?

jeudi 28 février 2019
par  ANC
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Le mouvement social en cours, changeant, déconcertant pour certains en particulier à son commencement, pose nombre de questions aux organisations classiques du mouvement ouvrier en France en particulier à la fois pour le refus fortement exprimé, du moins au début, des organisations en tant que telles et pour son absence de « colonne vertébrale idéologique » donnant le sentiment d’un ensemble de revendications relevant plus d’un inventaire à la Prévert avec à l’intérieur des éléments contradictoires voire relevant d’une logique purement réactionnaire ou raciste.

Comme nous le disons dans notre document de congrès : « Le pouvoir qui au début comptait sur ce mouvement pour qu’il soit une nouvelle vague poujadiste s’opposant au mouvement social traditionnellement porté par les organisations du mouvement ouvrier, se retrouve piégé par le travail des militants de classe membres de celles-ci qui, en allant à la rencontre des gilets jaunes et en agissant à leur côté, permettent à celui-ci d’évoluer dans le sens d’une remise en cause progressiste du système capitaliste avec une exigence de plus en plus aigüe de justice sociale et de solutions s’affrontant au capital. Dans ce contexte l’idée que « les propriétaires c’est nous » grandit. »

Reste à se poser la question, au-delà du cahier revendicatif, de ce que nous devons penser de ce « refus des organisations » qui n’est pas l’apanage des gilets jaunes, ni un champignon qui a poussé en une nuit, mais un mouvement aux racines déjà anciennes.

Sans remonter trop loin et en distinguant les interpellations :
- Sur le plan syndical ne peut-on pas faire le rapprochement avec la création de la coordination infirmières en 1988 ou la création de l’association de chômeurs AC ! en 1993/1994 ?
Ne doit-on pas s’interroger sur le fait qu’apparemment les syndicats (et les partis de « gauche », à l’exception prudente de la FI) n’avaient pas vu venir le fait que le racket sur le carburant serait la goutte d’essence qui ferait déborder les réservoirs de la colère ?
Pourquoi ces organisations ont décidé d’attribuer les seuls « mérites » de ce mouvement à une extrême droite dont ils exagéraient et favorisaient de ce fait l’influence qu’ils prétendaient combattre ?

- Sur le plan politique il y a bien sûr le « coup d’état permanent » que représente notre constitution mais pour ne regarder que dans « notre camp », les errements de ce qui fut le « parti de la classe ouvrière » et les reniements du PS n’ont-ils pas ouvert la voie à la remise en cause de la notion même d’organisation ? Non pas à cause des débats qui les traversaient mais justement à cause de décisions prises sans débat ce qui a conduit nombre d’adhérent-e « de base » à se sentir dépossédés de leur organisation pour laquelle ils et elles avaient souvent tant donné et en laquelle ils et elles avaient tant cru ? Pour ne prendre qu’un exemple comment s’étonner de l’aggravation de l’hémorragie des effectifs du PCF dans la période 1997/2002 où on a vu un gouvernement de « gauche » battre les records de privatisation et la direction de ce même PCF les justifiant ?
N’y a-t-il pas eu là aussi une remise en cause de l’organisation en tant que telle par celles et ceux qui l’ont quittée souvent sur la pointe des pieds ?

La baisse quasi-constante de la participation aux différents scrutins électoraux depuis plus de 30 ans n’est-elle pas le signe de « refus de votes » motivés par le fait que gauche et droite se succèdent au pouvoir sans que le peuple ne mesure de différence de fond dans les politiques menées, plutôt que le signe d’une montée soudaine d’abstentionnistes « pêcheurs à la ligne » inciviques ?

La fin de ce clivage droite/gauche d’une part, les difficultés de mise en œuvre de la démocratie interne d’autre part expliquent pour une large part ce refus des organisations…alors qu’elles sont pourtant bien nécessaires pour qui veut prendre le pouvoir pour changer durablement les choses.
Conscients de ce refus « des appareils » certains ont voulu mettre en œuvre des réponses alternatives à l’existence d’organisation.

La construction de la candidature Macron et son « mouvement » (qui ne serait pas un parti) correspond tout à la fois à la volonté du ni droite ni gauche de triste mémoire dans l’histoire puisqu’employé par Clémenceau pour faire la guerre ou revendiqué par les fascistes quelques années plus tard et à celle de « renouveler l’offre politique…Dans les faits sous prétexte d’en finir avec les appareils il s’est construit une structure totalement inféodée à un homme et sans aucune démocratie…

La construction de la FI résulte elle d’un autre schéma. Il y a bien dans cette construction la volonté de retrouver un clivage gauche/droite mais, au lieu de repenser l’organisation en tant que telle, ses travers et les améliorations nécessaires, la volonté de ses fondateurs est de créer, selon leurs propres mots, un mouvement « gazeux » capable de tout absorber syndicats, partis, associations qu’il supplanterait puisque dépassés.
Le refus de toute sédimentation du gaz conduit à théoriser sur l’absence de validité des mandats avec par exemple des délégués (parce qu’il en faut bien quand on est plusieurs milliers !) tirés au sort et qui donc ne représentent qu’eux-mêmes. Dans ces conditions comment peut être portée la parole collective : par le fruit du hasard ? En fait là aussi, et ce n’est pas le moindre paradoxe, on assiste à une personnalisation d’un appareil qui ne dit pas son nom et ne corrige en rien les travers qu’il dénonce. Sans compter que cela revient aussi à nier la spécificité des apports des différentes formes d’organisation que le peuple se donne et qui par lesquelles il a conquis des droits y compris en termes de droit organisationnel (droit syndical, associatif…). Cela revient aussi, comme nous le disons dans le texte déjà cité, à nier « Le lien dialectique entre luttes syndicales ou associatives et perspectives politiques ».

Dans un pays où seuls 6% des salarié-e-s sont syndiqué-e-s, où l’on vote à 50% (et parfois moins) dans nombre d’élections, où il y a à la fois émiettement des forces politiques et syndicales et affaiblissement notoire de toutes, l’ANC ne pense pas que ce soit toujours la faute aux autres, aux non organisés.
N’y a-t-il pas des défauts, parfois congénitaux qui expliquent ce rejet ? Nous avons des questions à nous poser, non pas sur le fait qu’il faille ou non des organisations car « nous affirmons aussi qu’un peuple sans organisation communiste peut se révolter mais ne prendra pas le pouvoir ». [1] mais sur le fait de quelles organisations nous avons besoin.

Les questions qui sont les nôtres sont celles du fonctionnement réellement démocratique des organisations et ont trait à la mise en place du non cumul des mandats, du pouvoir révocatoire des membres, du poids des directions sortantes, de la transparence, de la garantie du droit au désaccord pour ne citer que quelques-uns des principaux points.

Modestement et à la hauteur de ce que nous sommes nous travaillons à faire avancer ces questions dans le débat public en commençant par nous l’appliquer à nous-mêmes.




Commentaires

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dimanche 3 mars 2019 à 21h29 - par  Méc-créant

Il est plus que nécessaire en effet d’aborder cet ensemble de questions et d’approfondir la réflexion. Autrefois plutôt assez proche du PC compagnon de route » comme on aimait à dire mais un peu trop critique ajoutaient certains) je suis un sans parti qui n’a pourtant pas su se résigner à des décennies de vide politique absolu, au point de rédiger des textes peu diffusés et largement ignorés par les courants dominants, et dont quelques-uns sont sur le blog. Courants dominants qui devraient être pris en compte dans vos réflexions. C’est, pour une bonne part, l’absence d’analyse matérialiste et le vide de la pensée théorique qui ont conduit à une soumission idéologique plus ou moins larvée et dont le signe le plus évident est « l’européisme » qui s’est installé dans les positions et « stratégies » défendues par les directions. Et quand on entend aujourd’hui le nouveau secrétaire du PC (grand progrès : plus de faucille et marteau ! Révolutionnaire !) dire qu’à voir les dégâts causés par le brexit il ne saurait être question de sortit de l’UE...car on pourrait en souffrir...on peut se demander s’il sait seulement que bien des communistes sont morts pour retrouver souverainetés populaire et nationale, indépendance et liberté. Cela devait faire moins...souffrir ?...
Méc-créant.
(blog : « Immondialisation : peuples en solde ! » )