Le racisme d’audience

vendredi 25 mars 2022
par  Charles Hoareau
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Ce jeudi avait lieu au tribunal judiciaire d’Avignon (voir article précédent) l’audience en correctionnelle à la suite de la plainte pour « escroquerie » (sic !) du Conseil Départemental du Vaucluse contre le jeune Moussa [1].

Dans la lignée de la plainte et de la démarche qui ont conduit à celle-ci, ce fut un moment hallucinant, ignoble et certainement très dur à vivre d’abord pour le jeune homme et ensuite pour ses soutiens. Un moment qu’il n’est pas près d’oublier…

Audience du tribunal correctionnel d’Avignon

Jeudi 24 mars

Quand arrive le tour de l’adolescent, il se retrouve à la barre où un flot de questions lui est asséné, entrecoupé des interventions de la procureure, de la juge et de l’avocate du Conseil Départemental dans un registre qui laisse pantois.

Son avocate, Me Véronique MARCEL avait soulevé l’incompétence du tribunal avec un argument très simple : Moussa était mineur au moment des faits (il est né en janvier 2003), il doit donc être jugé par le tribunal des enfants. A l’appui de ses dires elle fournit outre les papiers déjà évoqués (original de la carte consulaire, extrait d’acte de naissance…) une lettre de l’ambassade de Guinée en France expliquant que, les passeports n’étant pas délivrés par elle mais par les autorités à Conakry, cela demandait un certain temps.

C’est là qu’intervient la procureure, celle qui représente donc le ministère public. Et les propos sont incroyables : « oui bien sûr vous fournissez des documents émanant du gouvernement guinéen, mais c’est justement là qu’est le problème. Ces documents sont litigieux car on sait très bien que dans ces pays il y a de la corruption »
C’est vrai que chez nous il n’y en a pas du tout et que la France peut montrer l’exemple au monde entier en commençant par un de ses anciens présidents !!! Et elle poursuit « Les documents administratifs étant litigieux c’est la PAF (Police de l’Air et des Frontières) qui est tout à fait compétente pour juger de leur authenticité ».
Et déterminer l’âge des jeunes en regardant leurs dents aussi non ? Donc puisque les documents sont litigieux, l’âge aussi et Moussa étant susceptible d’être majeur il est logique que le tribunal correctionnel se déclare compétent : admirez la logique qui transforme un doute en vérité : puisque les documents sont « litigieux », Moussa va être jugé par un tribunal pour adultes !

La juge prend le relais et lit le rapport de « l’organisme compétent » pour parler des papiers de Moussa et de son âge, la PAF. Les extraits de ce rapport lus à la tribune sont édifiants « …dans ce pays n’importe qui peut faire n’importe quel document, pour n’importe qui »
Ils doivent savoir de quoi ils parlent puisque c’est bien connu les agents de la PAF font tous régulièrement des stages longue durée à la préfecture de Conakry pour connaître les arcanes administratifs du pays.

Et puis s’enchaine la série de question à Moussa « mais quand êtes-vous nés ? ». Et la question est répétée 3 fois.
« Mais pourquoi avez-vous refusé le test de l’âge osseux ? » (2 fois).
Puis vient toute une série de questions sur le passage de Moussa en Espagne et les incohérences qui apparaitraient entre ce qu’il a dit aux policiers là-bas avec ce qu’il a dit ici :
« Mais pourquoi en Espagne quand vous avez été contrôlés n’avez-vous pas dit que…Mais pourquoi en Espagne ceci et pourquoi cela… ».
Il faudra toute une série de questions usantes pour les nerfs sur son passage en Espagne pour qu’enfin vienne la bonne question :
« Vous parlez espagnol ?
-  Non
-  Vous aviez quelqu’un qui vous accompagnait ?
-  Non
-  Vous aviez un interprète ?
-  Non »

CQFD.
On passe sur la plaidoirie adverse et le réquisitoire qui ne feront qu’enfoncer le clou face à Me MARCEL qui expliquera, outre les arguments déjà avancés, que Moussa a entamé une procédure de régularisation en tant qu’étudiant.
Si elle aboutit la plainte sera encore plus incongrue…

Et voilà comment à l’issue de cette audience, la procureure pense légitime de demander que Moussa soit condamné à six mois de prison avec sursis : en tant que mineur ou majeur ? Parce qu’au bout du compte cette question au départ de la procédure n’a pas été, et d’ailleurs ne pouvait pas être tranchée.
Donc si la juge condamne Moussa elle le condamnera pour utilisation de papiers certifiés par l’ambassade de Guinée et que la France juge « litigieux » …sans toujours savoir si Moussa avait plus de 18 ans ou non au moment des faits.

Le jugement sera rendu le 7 avril mais sans attendre, dès la fin de l’audience, l’association ROSMERTA qui fait dans le Vaucluse un fort travail d’accompagnement que normalement la puissance publique devrait faire, et l’ANC ont décidé de continuer le combat pour Moussa mais aussi bien sûr pour tous les mineurs qui pourraient subir les conséquences d’une jurisprudence désastreuse et d’une démarche de suspicion systématique de la part de la puissance publique française qui pourrait s’amplifier.
Demain au nom du fait que par essence les papiers étrangers sont douteux un Conseil Départemental ou l’Etat pourrait refuser par avance tout accueil en transformant au passage les travailleurs sociaux en contrôleurs d’autant mieux notés qu’ils seront plus soupçonneux. C’est non seulement la notion d’accueil qui est attaquée (sauf en ce moment si on est ukrainien) mais le sens même des métiers du social qui est remis en cause. Sans revenir sur ce que nous avons déjà écrit sur le principe même de facturation du service public.
Cela est bien sûr inacceptable d’autant que…

Si on s’en tient au droit strict et si la juge retient l’argumentation du Conseil Départemental et du ministère public, que peut-elle reprocher à Moussa ? Pas en tout cas faux et usage de faux parce que ce n’est pas lui qui a fait les papiers mais bien l’état civil guinéen. Donc en toute logique le tribunal devrait relaxer Moussa et s’il pense que le Conseil Départemental a raison, l’engager à « mieux se pourvoir » comme on dit en langage judiciaire, autrement dit que l’Etat français et le Département du Vaucluse assignent le fautif, l’Etat guinéen.

Au passage ils pourront plaider que finalement « l’œuvre civilisatrice de la colonisation » n’a pas duré assez longtemps, que comme « l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire » ces gens-là vivent encore dans la barbarie et qu’on devrait peut-être y retourner franchement et pas simplement par nos bases militaires et nos multinationales qui sont déjà en Afrique, mais recoloniser vraiment la Guinée pour finir le travail.

Dans la France de 2022 une représentante du ministère public peut justifier la nécessité d’examiner une plainte en mettant en doute les écrits administratifs officiels d’un gouvernement étranger.

Vous avez dit racisme d’Etat ?


[1le prénom a été changé



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