Référendum : commentaires du Monde

lundi 30 mai 2005
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Pour la première fois sous la Ve République, la France a répondu non à un référendum sur l’Europe. En 1972, les Français avaient approuvé à 68 % l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE. Ils avaient approuvé de justesse à 51,05 % la ratification du traité de Maastricht le 20 septembre 1992. Mais aujourd’hui, le rejet de la Constitution est massif, environ 55 % des électeurs se sont prononcés pour le non. C’est également le référendum qui enregistre le non le plus élevé de l’histoire de la Ve République : le précédent record appartenait au référendum du 27 avril 1969 sur la réforme du Sénat, où le non avait obtenu 52,4 % des suffrages avec les conséquences que l’on sait.

Pour l’heure, les résultats du référendum correspondent, du point de vue électoral à un miroir inversé du référendum de Maastricht et à une forme de réplique du 21 avril 2002.

UN MIROIR ÉLECTORAL INVERSÉ DE MAASTRICHT

Avec le rejet de la ratification du traité constitutionnel, le référendum de 2005 apparaît, du point de vue des forces électorales, comme un miroir inversé de celui de 1992. Les premiers sondages sortis des urnes montrent en effet que le oui est majoritaire dans les seuls électorats UMP et UDF (de 75 % à 80 % pour le oui) et qu’il est minoritaire dans l’électorat socialiste (41 % pour le oui, 59 % pour le non, soit l’inverse du vote des militants lors de la consultation interne) et vert (40 % pour le oui). Les formations anti-européennes traditionnelles (extrême gauche, PC, souverainistes et extrême droite) rejettent, elles, le traité quasiment à l’unanimité, selon les premières données.
En 1992, la situation était comparable mais inversée. Le oui était là aussi porté par les partis de gouvernement, mais il l’avait emporté avec plus de 51 % des suffrages. Le traité de Maastricht avait été approuvé par 78 % des sympathisants socialistes - alors au pouvoir -, 61 % des sympathisants UDF et 60 % des écologistes. Le RPR, alors dans l’opposition, s’était déchiré et avait voté non à 59 %, à l’instar du PS aujourd’hui.
Au-delà du rapport de forces électoral, l’asymétrie entre les deux scrutins se vérifie dans la sociologie du vote. En 2005, seuls les cadres supérieurs et professions intellectuelles ont voté oui (à 65 %, comme en 1992). Les catégories populaires ou modestes ont elles voté non, mais en accentuant leur vote par rapport à 1992 : 79 % pour le non parmi les ouvriers (hausse de 18 points), 67 % parmi les employés (hausse de 14 points). Le basculement se fait parmi les catégories moyennes - les professions intermédiaires - qui votaient oui (à 62 %) et votent désormais non à 53 %, signe du malaise social profond qui touche le pays et souligne le niveau d’inquiétude face à une Europe accusée de ne pas protéger suffisamment les salariés face à la mondialisation.

UNE FORME DEPLIQUE DU 21 AVRIL 2002

La victoire du non au référendum d’aujourd’hui est le résultat d’une alchimie politique inédite : la conjonction du vote protestataire et du vote anti-européen, qui semble prolonger, sinon accroître, l’expression de la crise politique mise à jour le 21 avril 2002. Il faut rappeler que ce référendum s’inscrit dans une série électorale atypique : le premier tour de l’élection présidentielle de 2002 avait mis en évidence le rejet du système politique. Les élections régionales étaient marquées par un vote-sanction de grande ampleur à l’égard du gouvernement, aujourd’hui encore en place. Enfin, les élections européennes de 2004, dominée par une très forte abstention (57,3 %) alors qu’il s’agissait des premières élections européennes post-élargissement.
Avec le rejet d’aujourd’hui, les électeurs renouvellent et accentuent la crise du système politique : les partis de gouvernement, qui étaient les seuls à se prononcer en faveur de la Constitution européenne, avaient réuni le 21 avril 2002 seulement 56 % des suffrages exprimés, soit le score le plus faible de ces vingt dernières années. Les votes extrêmes (gauche et droite), qui atteignaient le record de 30 % des suffrages, participent aujourd’hui quasiment à l’unanimité au vote non. Enfin, plus généralement, l’ensemble des forces protestataires (votes extrêmes, PC, souverainistes de gauche et de droite, chasseurs) représentaient plus de 40 % des suffrages à l’époque ; elles se sont aujourd’hui engagées sans nuance pour le non.

Aujourd’hui, avec 55 % de votes non, le référendum trouve son analogie électorale dans le scrutin historique du 21 avril, celui qui avait adressé jusqu’à ce jour le message le plus fort à l’égard du système et des dirigeants politiques. Mais aujourd’hui le message se renforce de l’expression d’un malaise social que toutes les forces politiques se doivent de prendre en compte. La construction européenne, elle, paraît être la victime collatérale de ce scrutin, tant les motivations de politique intérieure des électeurs français semblent l’avoir emporté sur les considérations européennes.

Philippe Chriqui et Pierre Christian - www.expression-publique.com



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