La mobilisation contre la vie chère se poursuit

mardi 6 février 2007
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Résistances

La vague de mobilisations contre la hausse des prix des produits de première nécessité montre que les résistances sont toujours à l’Å“uvre au Maroc.

Depuis plusieurs mois, un mouvement de résistance prend forme au Maroc,impliquant potentiellement des dizaines de milliers de citoyens contre la
dégradation du pouvoir d’achat et le renchérissement du coût de la vie. En
quelques semaines, une augmentation sensible du prix des biens de première
nécessité (huile, lait, légumes, levures, eau minérale) a eu lieu, en partie
en raison de l’augmentation du taux de TVA, passant de 7 à 10 %, inscrit
dans la loi de finances de 2006, ce qui a eu pour effet direct le
renchérissement de l’indice du coût de la vie de 3,3 %. La hausse du prix
des transports (de 40 %), du prix de l’eau et de l’électricité (de 7 %) a
porté un coup sévère aux conditions de vie de l’immense majorité.

Ces hausses de prix sont le fruit de plusieurs facteurs : la baisse
drastique des subventions publiques à la consommation des ménages, la
libéralisation des prix, l’augmentation de la TVA, mais aussi la délégation
de services publics, notamment en ce qui concerne l’eau et l’électricité,
aux profits de multinationales essentiellement françaises (Vivendi,
Lyonnaise des eaux). Ces dernières se sont vues offrir sur un plateau
d’argent la gestion de ces services publics de base dans la plupart des
grandes villes sans aucune contrepartie réelle : les promesses
d’assainissement des égouts, d’extension de fourniture en eau potable, de
raccordement électrique et toutes les obligations réglementaires sont
restées sans suite au regard des besoins.

En revanche, très rapidement, avec l’accord des autorités, la tarification a
été réévaluée à la hausse. Avec un cynisme complet, le directeur général de
la Régie autonome de distribution d’eau, d’électricité et d’assainissement
de la wilaya1 de Rabat-Salé (Redal), Gilles Guillaume, déclare à la presse
vouloir éduquer les citoyens à ne plus gaspiller en élevant les prix ! Dans
un pays où le taux de chômage réel dépasse 20 %, où des millions de
personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, ils sont nombreux à
apprécier.

Politisation

Concentrées dans le temps, ces hausses de prix, contrairement à d’autres
périodes (1981, 1984, 1990) n’ont pas débouché sur des émeutes. Pour deux
raisons majeures : l’opposition traditionnelle et ses relais syndicaux n’ont
appelé à aucune mobilisation, car empêtrés dans une intégration
institutionnelle sans limite, servant de faire valoir à la « démocratie de
façade » de la monarchie, et impliqués depuis plusieurs années dans la
gestion libérale sauvage et les privatisations. Ainsi, par exemple, la
Confédération démocratique du travail (CDT), qui avait appelé à la grève
générale en 1981 contre les mesures de hausses des prix, a approuvé la loi
de finance. Deuxième élément, le poids des défaites antérieures du corps
social et l’intégration en négatif des capacités répressives du pouvoir ont
rendu les réactions de masse difficiles. Pour autant, la résistance s’est
frayé un nouveau chemin.

L’Association marocaine des droits humains (AMDH) a joué un rôle majeur dans
l’impulsion d’une dynamique de lutte. À partir d’une vision large du combat
des droits humains, intégrant la défense des droits sociaux et économiques,
l’AMDH, qui regroupe l’essentiel des composantes de la gauche démocratique
et radicale, légale et extralégale, a de fait constitué un front unique
politique, partiel sans doute mais décisif dans la mise en place de
coordinations locales contre la vie chère dans la majeure partie de villes
du Maroc (plus de 70 coordinations locales). Près d’une vingtaine
d’associations et de courants politiques se sont regroupés dans un front.
Cette initiative a rencontré les mobilisations populaires spontanées de
protestation contre les sièges de délégation d’eau et d’électricité, et elle
a impulsé un cycle de mobilisation parfois quotidien en phase avec le
ras-le-bol généralisé. Ce processus, appuyé par des signatures de pétition,
des réunions de quartier, un large travail d’information et de
sensibilisation, a été extrêmement politique.

Nouvelle dynamique

Pour la première fois, sous une forme collective, la dépendance des
exécutifs locaux ou nationaux aux desiderata des multinationales fut
dévoilée au grand jour. Pour la première fois, bousculant les manÅ“uvres du
pouvoir et des partis qui lui sont inféodés, la question sociale s’invite
comme première préoccupation, alors que l’establishment est focalisé sur les
nouvelles règles électorales appelées à dessiner une nouvelle carte
politique par et pour les élites, lors des législatives de cette année. Bien
plus, dans certaines localités, un processus d’auto-organisation a vu le
jour, la mobilisation étant portée par des comités d’habitants soutenus par
la coordination locale, permettant d’exprimer un potentiel de mobilisation
et de radicalité, malgré les difficultés liées au manque d’expérience et aux
tentatives du pouvoir de créer des fractures entre comités. C’est le cas
notamment à Safi, où nos camarades ont joué un rôle décisif dans l’animation
de la lutte.

Altermondialisme

La journée du 14 décembre fut une journée d’action nationale décentralisée
qui fut partout un véritable succès. Prélude à la manifestation nationale du
24 décembre, elle était une journée test pour vérifier l’état d’esprit et la
combativité de « ceux d’en bas ». Elle fut partout marquée par une
participation importante des femmes, des jeunes et des habitants. Cela est
d’autant plus honorable que les coordinations locales avaient très peu de
moyens et aucun accès aux médias. Le 24 décembre, la manifestation a
regroupé près de 15 000 personnes. Cela peut paraître peu par rapport à
l’investissement consacré, mais ce serait faire abstraction de l’absence de
tradition de mobilisation nationale sur ce type de question, la faiblesse
des moyens matériels et organisationnels des forces qui y participent, les
difficultés financières pour se déplacer, l’énorme hostilité de toute la
classe politique et des médias. En vérité, compte tenu des rapports de force
globaux et du climat de défaite de cette dernière décennie, ce fut un succès
et un point d’appui pour continuer la mobilisation.

Le défi pour la gauche sociale et politique était de recréer un espace
d’accumulation des forces et une visibilité autonome à partir de la question
sociale de recentrer ainsi le débat politique et électoral sur un terrain de
lutte et non pas d’arrangements en coulisse orchestrés par le ministère de
l’Intérieur. Mais aussi de proposer un cadre et des objectifs de
mobilisation qui ne se réduisent pas à des revendications sectorielles, mais
qui abordent de front la question de la répartition des richesses et de la
nécessité d’une démocratie jusqu’au bout qui ne se réduise pas à une farce
électorale où rien ne change.

L’effet politique de ces mobilisations est important. D’une part, il fait
apparaître la rupture entre les directions de l’opposition syndicale et
politique traditionnelle et les majorités populaires, qui cherchent d’autres
formes de lutte et d’expression de leurs intérêts. Cette tendance est un
fait majeur de ces dernières années. Les directions syndicales ont refusé de
s’impliquer, se contentant aux mieux de soutenir du bout des lèvres la
mobilisation, même si certaines fédérations se sont associées plus ou moins
à la lutte. Quant aux partis de la gauche gestionnaire, ils se sont enferrés
dans un silence assourdissant, quand ils n’ont pas laissé entendre que cette
mobilisation était manipulée par l’extrême gauche. D’autre part, alors que
partout est galvaudée la montée irrésistible de la mouvance islamiste (fait
bien réel par ailleurs), les coordinations locales ont réussi à s’imposer et
à contrer leur hégémonie, même dans certains quartiers, où règnent le
désespoir social et un quadrillage associatif de cette mouvance.

Si, au final, les mobilisations n’ont pu imposer une annulation des hausses
- tout au plus des concessions partielles et locales -, elles ont fait la
démonstration qu’un front uni de la gauche sociale et politique, tourné vers
les luttes et des objectifs de rupture, peut être un point d’appui décisif à
la reconstruction d’un rapport de force et d’une alternative globale. Pour
la première fois, c’est explicitement contre la mondialisation capitaliste,
les politiques sociales et économiques menées depuis des décennies, le refus
des institutions en place que se forge une unité dans les luttes. La
mobilisation n’est pas finie. La perspective d’organiser nationalement, dans
une structure permanente, les coordinations locales a été retenue par les
principaux animateurs, ainsi que l’appel à une nouvelle manifestation
nationale à Casablanca en mars. Une fenêtre s’est ouverte.

Appel de la coordination nationale de lutte contre la hausse des prix

(extrait)

Après un échange sur la dégradation de la situation sociale des masses
populaires en raison des politiques de classe imposées, source d’un
appauvrissement global et de destruction des acquis sociaux obtenus après
des années de lutte et de résistance [...],
nous faisons le constat que la
loi de finances de 2007 consacre la régression sociale et met en place un
régime fiscal qui traduit la dépendance par rapport aux exigences des
centres financiers internationaux et des États impérialistes [...].

La
coordination note également la montée de la colère populaire dans tout le
pays à laquelle elle apporte tout son soutien.

Elle affirme sa condamnation des hausses des prix et exige leur annulation
immédiate.

Elle dénonce la répression des mouvements sociaux.
Elle condamne l’exclusion de dizaines de milliers d’enfants et de jeunes et
du droit à l’éducation.
Elle condamne la dilapidation de l’argent public et refuse l’impunité de
leurs bénéficiaires.

Elle revendique le retour au public des services privatisés et
l’expropriation des sociétés Amandis, Lydec, Redal... et l’arrêt de tout
processus de privatisation.
Elle défend l’augmentation du Smic et l’application de l’échelle mobile des
salaires.
Elle exige la gratuité des soins, de l’enseignement et le droit à l’emploi.

• Pour plus d’information : Blog des coordinations contre la hausse des prix

http://cnchp-maroc.blogspot.com/ et http://comitesuivi.blogspot.com/.


Article réalisé en collaboration avec Solidaires pour une alternative
sociale, regroupement militant marxiste révolutionnaire marocain qui lutte
pour l’émergence d’une alternative anticapitaliste, internationaliste,
pluraliste et démocratique et d’un front social et politique de lutte
tournée vers la reconstruction/refondation d’un mouvement populaire
indépendant.



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jeudi 8 février 2007 à 10h17 - par  Charles Hoareau
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jeudi 8 février 2007 à 09h50 - par  tawfik

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