Le monde perdu des aristocrates

samedi 17 février 2007
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Longtemps, les Blancs ont fait la pluie et le beau temps dans la vallée du Rift. Aujourd’hui, ils comprennent que leur temps est compté.

Un mort ça va deux morts c’est gênant

Après le premier meurtre, Tom Cholmondeley a reçu de nombreux témoignages de sympathie de la part de la population blanche du Kenya. Les aristocrates qui possèdent de vastes terres - ces "cow-boys du Kenya" qui carburent à l’alcool et aux drogues, et qui mènent une vie de bâton de chaise grâce au tourisme et à la préservation de l’environnement -, ainsi que les membres de la classe moyenne, qui "adorent l’Afrique" mais envoient leurs enfants étudier en Angleterre, tous pouvaient comprendre comment ce descendant de l’une des familles blanches les plus anciennes et les plus importantes du pays, cet héritier de 38 ans du baronnet de Delamere, avait pu abattre un garde-chasse noir qui s’était aventuré sur son domaine en 2005. Les vieilles familles blanches nanties de la vallée du Grand Rift sont tellement menacées par le braconnage, le meurtre et la délinquance que la vie est devenue impossible pour elles, alléguaient ses amis. C’était là une erreur que tout le monde aurait pu commettre. Les autorités ont abondé dans leur sens et n’ont pas inquiété cet ancien élève d’Eton.

La deuxième fois, l’effet de sympathie n’a pas joué, et Cholmondeley a été arrêté pour le meurtre d’un braconnier noir. "Le sentiment qui prévaut parmi les deux communautés, la blanche et la noire, c’est qu’il doit payer", explique Michael Cunningham-Reid, demi-frère du père de Cholmondeley. "Une fois, c’était pardonnable ; deux fois, c’est inexcusable." [1]

Cholmondeley, aujourd’hui jugé pour un meurtre qu’il nie, est devenu un problème embarrassant pour la communauté blanche du Kenya, forte de 30 000 membres. En plus de quarante années de gouvernement noir, cette communauté a pu conserver son style de vie privilégié - et, pour une douzaine de familles d’anciens colons, de vastes étendues de terres -, en grande partie parce qu’elle a su rester discrète. Cholmondeley, qui héritera d’un domaine de 40 000 hectares et du titre de lord Delamere, a commis l’impardonnable erreur de venir troubler la fête.

Pour vivre heureux vivons cachés...

Cela fait plusieurs décennies, en effet, que la communauté blanche s’efforce de débarrasser la vallée du Rift de l’image de terrain de jeu pour aristos racistes et décadents, une image alimentée par la fascination du Royaume-Uni pour les récits salaces d’adultère, de drogue et de débauche fournis durant la guerre par le procès de sir Jock Delves Broughton, qui fut finalement acquitté du meurtre de l’amant de sa femme, lord Erroll. Aujourd’hui, les crimes de Cholmondeley font à nouveau parler de cette "joyeuse vallée", que certains surnomment déjà "la joyeuse vallée de la gâchette".

Le procès a lieu alors qu’une vague de doute se répand parmi les Blancs au sujet de leur avenir au Kenya : ils se sont toujours demandés s’ils faisaient réellement partie du pays, s’ils ne risquaient pas d’en être chassés un jour, à l’instar des Indiens de l’Ouganda ou des cultivateurs blancs du Zimbabwe. Cette inquiétude survient dans un contexte d’insécurité grandissante, après une série de meurtres qui ont frappé leur communauté.

Le Kenya a obtenu son indépendance en 1963 et, à la fin de la décennie, 60 000 colons blancs avaient quitté le pays. La plupart de ceux qui sont restés ont adopté la nationalité kényane, comme Michael Cunningham-Reid, neveu de lord Mountbatten et membre du clan étendu des Delamere, qui ont ouvert la voie de l’Afrique de l’Est aux aristocrates mus par un goût immodéré de la chasse, de l’alcool et du sexe. La mère de Cunningham-Reid, Ruth Ashley, fille de lord Mount Temple, en était à son troisième mariage lorsqu’elle a épousé le quatrième baron Delamere, Thomas Cholmondeley, durant la Seconde Guerre mondiale. Après leur divorce, en 1955, Cholmondeley s’est remarié avec Diana Caldwell, la veuve du tristement célèbre sir Jock Delves Broughton.
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Travailler moins pour gagner plus

Grâce aux fonds de sa famille, Cunningham-Reid a pu acheter une propriété de 320 hectares. Quelques années plus tard, il était devenu suffisamment riche pour acquérir un domaine de 2 400 hectares afin d’y cultiver du blé et faire l’élevage de moutons. Dans les années 1950, durant l’état d’urgence décrété au Kenya à la suite de l’insurrection du mouvement Mau-Mau, Cunningham-Reid se retrouve à nouveau dans les rangs de l’armée, à la tête des soldats kényans restés fidèles au Royaume-Uni. Ses opinions de l’époque - tout comme son discours aux relents racistes - n’ont pas beaucoup changé, malgré la reconnaissance aujourd’hui des atrocités commises par les forces britanniques. "Les atrocités des troupes gouvernementales ont existé, mais pas dans les mêmes proportions que celles des Mau-Mau, soutient-il. Le plus incroyable, à propos du Kényan, c’est que vous pouvez le trouver dans la forêt, tuer deux de ses copains, le capturer et, deux jours après, il est capable de travailler pour vous."

Au moment de l’indépendance, une bonne partie de la population blanche a décidé de vider les lieux. Cunningham-Reid, lui, a pris le risque de rester. Selon lui, tout le problème venait des terres et il pensait que, s’il se débarrassait des siennes, il pourrait demeurer au Kenya. "J’ai vécu sans problème de mes exploitations agricoles jusqu’à l’indépendance. Puis le gouvernement britannique a débloqué 22 millions de livres sterling [33 millions d’euros] en faveur des fermiers de la vallée du Rift. J’ai été le premier sur les rangs. Même si je comptais rester, je me disais que les domaines allaient être morcelés en petits lots et que nous allions être infestés par les squatters." Avec cet argent, il s’est acheté une demeure à Karen, une maison sur la côte et un hôtel près du lac Naivasha, ce dernier devant servir de terrain d’essai pour assurer l’avenir de la famille dans la préservation de l’environnement.

Son pari a réussi. Plus de quarante plus tard, il est toujours installé dans sa vieille demeure à Karen, avec des domestiques à sa disposition et un chauffeur toujours prêt à côté de la Mercedes pour le conduire promptement à son club. Il ne regrette absolument pas d’être resté. "La communauté blanche a survécu en adoptant un profil bas et en gardant le silence. Nous sommes restés en dehors de la politique. C’était le grand tabou. Nous ne devons représenter aucun défi au pouvoir politique de l’homme noir."

Vous avez dit intégration ?

Certains, cependant, ont bravé l’interdit. Richard Leakey, autre représentant d’une grande famille blanche, a défié le paternalisme profondément enraciné dans la société blanche du Kenya en s’aventurant sur le terrain interdit de la politique. Ses parents, Louis et Mary Leakey, se sont fait connaître à travers de multiples découvertes archéologiques. Richard Leakey est lui-même paléoanthropologue. Il est devenu célèbre pour avoir découvert le plus vieux crâne humain, avant de se faire un nom à la tête des réserves naturelles du Kenya. C’est lui qui a sauvé les éléphants du pays en faisant adopter l’interdiction mondiale du commerce d’ivoire et qui a évité la débâcle des 51 réserves du Kenya. C’est aussi l’un des rares Européens à s’être ouvertement démarqué du clan des Blancs. "Ces gens m’ennuient à mourir, et je ne fais vraiment pas partie de ce monde-là, déclare-t-il. Certains sont franchement racistes, et je préfère garder mes distances."

Effectivement, Leakey détonne par rapport aux autres Blancs puisqu’il a envoyé ses deux filles à l’école publique kényane, où la quasi-totalité des élèves sont noirs. "Toutes les deux sont de vraies Kényanes, claironne-t-il. Elles parlent parfaitement le swahili et ont d’excellentes relations avec les gens du pays, car elles sont allées à l’école avec eux."

Les Kényans blancs ont beaucoup apprécié le quart d’heure de gloire que Leakey leur a procuré il y a dix ans, lorsqu’il a osé dénoncer la corruption endémique, la mauvaise administration et la violence politique de l’homme au pouvoir, le président Daniel Arap Moi. Il a brisé le tabou en rejoignant les rangs de l’opposition et en créant Safina, un parti qui promettait de lutter contre les brutalités policières et la désorganisation des services publics. Arap Moi a accusé Leakey d’être un raciste néocolonial, un traître et un athée.

Mais les Blancs ont très bien pu, s’ils le souhaitaient, servir le gouvernement. Le frère de Leakey, Philip, a été membre du Parlement du parti au pouvoir pendant quinze ans et même ministre, plus brièvement. C’est lui qui était à la tête des 88 Kényans blancs qui ont rendu hommage à Arap Moi en s’agenouillant devant lui, tout en incitant la communauté blanche à prendre ses distances par rapport à Richard. "Certains commençaient à nous considérer comme des cibles potentielles, commente Philip Leakey. Nous nous sommes dit qu’il fallait empêcher ça en détendant l’atmosphère."

Selon Richard Leakey, la peur de la politique de la part des Blancs ne fait que refléter leur échec à s’intégrer et leur volonté désespérée de s’accrocher à leurs privilèges. "Je me sens suffisamment kényan pour pouvoir critiquer le président, explique-t-il. Très peu d’Européens se sont engagés dans la vie publique et politique, précisément parce qu’ils ne se sentaient pas suffisamment intégrés. Ils ne parlent pas la langue. Ils envoient leurs enfants dans des écoles en Angleterre ou en Afrique du Sud et, ensuite, ils viennent dire qu’il n’y a pas d’avenir pour eux au Kenya. Ils doivent se sentir comme des poissons hors de l’eau."

Immigration et insécurité

La vie est toujours très privilégiée en cette "joyeuse vallée", mais l’odeur de scandale n’est jamais bien loin. Certains récits rappellent même furieusement un autre âge. Anna, la fille de Cunningham-Reid, est une styliste reconnue dont les vêtements ont remporté un vif succès auprès de Kate Moss, de la princesse Caroline de Monaco et de Jemima Khan. Elle a épousé Antonio Trzebinski, un artiste issu de l’une des familles blanches les plus en vue et les plus anciennes du Kenya.

Il a été assassiné il y a cinq ans alors qu’il se rendait chez sa maîtresse, la Danoise Natasha Illum Berg, la seule chasseuse d’animaux sauvages détentrice d’un permis en Afrique de l’Est. Trzebinski, passionné de surf et de pêche au gros, qui avait un penchant notoire pour l’alcool, la drogue et les femmes, a été tué à moins de 2 kilomètres de l’endroit où lord Erroll avait été assassiné.

Il y a un an, Anna a fait parler d’elle en épousant Loyaban Lemarti, un guerrier à demi nomade, lors d’une cérémonie qui comportait notamment le massacre d’un taureau et où Lemarti était revêtu d’une peau de lion. Elle partage désormais son temps entre le village rural de son mari, la communauté blanche de Karen et les défilés de mode à Londres.

Une immigration qui se croit tout permis

Mis à part la fâcheuse publicité causée par Tom Cholmondeley, les anciennes familles sont de plus en plus coupées de la réalité. Elles ont perdu une bonne partie de leur influence au profit d’une classe moyenne aisée qui s’est taillé un avenir dans le tourisme et la préservation de l’environnement, tandis que de nouveaux émigrés blancs continuent de s’installer au Kenya. Arabella Akerhielm, originaire d’une riche famille de Chelsea, est arrivée en 1990. Quatre ans plus tard, elle épousait le baron Carl-Gustav Akerhielm, qui appartient à l’une des premières familles suédoises installées en Afrique de l’Est.

"J’ai bien l’intention de rester ici", assure-t-elle, confortablement installée dans sa maison, relativement petite, dans la banlieue de Nairobi. "Je travaillais dans la publicité financière à la City de Londres. Pour moi, la qualité de vie est bien meilleure ici, même si nous ne sommes pas aussi riches financièrement. Nous avons bien des moments d’insécurité, mais dans l’ensemble nous sommes libres. La vie est plus sauvage ici, plus désinvolte. Et pas aussi matérialiste. Je suis contente d’être loin de la City et de tous ces garçons qui ne parlent que de leurs voitures."

La baronne Akerhielm - qui n’aime pas qu’on l’appelle ainsi - affirme ne pas constater beaucoup de racisme, mais reconnaît ne pas voir beaucoup d’intégration non plus. "Nous vivons plutôt en tribus. Bien qu’il ait grandi ici, mon mari n’a pas beaucoup d’amis noirs, mais ma fille, je crois, se mélangera plus facilement. Beaucoup plus de parents envoient leurs enfants à l’école ici ou en Afrique du Sud que par le passé." Elle a tout de même inscrit sa fille de 7 ans dans son ancienne école catholique, à Ascot, pour la rentrée de 2011.

Source : Mail & Guardian (Johannesburg)

Transmis par Linsay

A part cela, le Kenya, dont le régime suit scrupuleusement les consignes des experts capitalistes mondiaux s’enfonce dans la misère contrairement à son voisin tanzanien qui est, selon les bulletins touristiques, un régime "maoïste"...ce qui ne veut en l’occurence rien dire si ce n’est que l’économie y est un peu plus planifiée et les droits des salariés un peu mieux garantis.


Les intertitres et le surtitre sont de Rouge Midi....évidemment !


[1On se croirait, à 40 ans de distance dans l’histoire racontée par Bob Dylan et reprise par Hugues Auffray dans la chanson La mort solitaire de Hattie Caroll. Celle d’une domestique noire assassinée sans raison par son maitre blanc « d’un coup de canne en or ». Le meurtrier fut condamné pour ce crime à ...6 mois de prison.



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