Un tramway nommé délit (I)

vendredi 15 juin 2007
popularité : 4%

Le tramway marseillais va être bientôt inauguré en grandes pompes par M. Gaudin.

Contesté pour son tracé et sa gestion confiée au privé, la société qui l’exploite, Véolia, est elle aussi l’objet de (multiples) critiques.

Les associations et organisations marseillaises déterminées à se faire entendre à cette occasion ont décidé d’une campagne de presse commune.

L’entretien qui suit est le premier article de cette campagne.

Interview des Femmes en noir Marseille

1. Le nouveau tramway de Marseille qui ne fait pas l’unanimité ici, est aussi l’objet de contestations de la part d’associations connues pour leurs engagements pour la Palestine. [1]Pourquoi ?

Parce que Veolia transport (ex-Connex), filiale de Veolia environnement (ex-Vivendi-Environnement, ex-Générale des eaux) est l’entreprise française qui exploite les lignes de tramway à Marseille et qui est hors la loi en exploitant les lignes de tramway à Jérusalem.

Parce que le tramway Veolia de Jérusalem est la « goutte d’eau » pour les Palestiniens privés de leur terre et de la création d’un Etat libre et indépendant. Alors que la condition de paix est la création d’un Etat palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale, une loi fondamentale israélienne de 1980 proclame « Jérusalem entière et réunifiée capitale éternelle d’Israël ». L’annexion et la destruction de Jérusalem-Est palestinienne est un projet ininterrompu depuis 1967. La construction du tramway s’inscrit dans ce projet porté par le gouvernement Yitzhak Rabin en 1993, puis par Ariel Sharon en 2004, projet nommé « E1 » qui permet de créer une continuité coloniale de Jérusalem à la vallée du Jourdain, jusqu’à Jericho.

Parce que confisquer aux Palestiniens leur capitale fait partie de la politique d’apartheid du gouvernement israélien. L’apartheid, c’est la colonisation israélienne grandissante autour de la ville, c’est la maîtrise totale des voies de communication en s’emparant des routes existantes, en interdisant aux Palestiniens d’emprunter les routes de contournement, en installant des checkpoints fixes et volants et en construisant ce tramway, c’est la judaïsation de la ville, la remise en cause du libre accès aux lieux saints, l’inégalité pour l’obtention d’un permis de construire et du marché immobilier, c’est l’inégalité des droits sociaux. C’est la construction du mur prolongé par celle du tramway.

Parce qu’en 2002, deux compagnies sont retenues : deux entreprises françaises réunies dans un consortium CityPass, la Connex transport, filiale de Veolia Environnement qui exploitera la ligne pendant trente ans, et Alstom qui fournira les rames. Les contrats obtenus par ces entreprises françaises ont été signés dans un contexte international particulier : celui de l’oppression du peuple palestinien depuis 1948. Un accord a été signé le 17 juillet 2005 entre le gouvernement israélien et Veolia bénéficiant d’un fort appui diplomatique français et de la présence de l’ambassadeur français d’alors, M. Gérard Araud. Le gouvernement français justifie sa position par « the business is business ». Cette affaire rapporterait près de 400 millions d’euros à Veolia et Alstom.

Parce que Veolia est hors la loi en exploitant le tramway de Jérusalem qui facilite l’annexion des terres palestiniennes et la colonisation. Son tracé est illégal :rapprochant du centre-ville de Jérusalem-Ouest les colonies israéliennes de Jérusalem-Est non reconnues par la communauté internationale, French Hill, Pisgat Zeev aujourd’hui, et plus tard, avec les huit lignes prévues bien d’autres. La réalisation du tracé entraîne l’expropriation de Palestiniens du côté de Jérusalem-Est

Parce que Veolia exploite aussi le tramway de la discrimination et de l’apartheid. Celui-ci rend encore plus difficile le quotidien des Palestiniens en coupant la route 60, les privant d’une voie de communication vitale dans la ville et entre le nord et le sud de la Cisjordanie.

Un porte-parole de la mairie israélienne imagine une alternance ethnique des voitures.
Le prix du ticket de 5,8 shekels soit 1,20 euro semble cher pour les Palestiniens qui utilisent les bus à 3,5 shekels. Le tramway sera-t-il accessible aux Palestiniens ? Comment en assurer la sécurité ?
Les arrêts dans les quartiers palestiniens sont rares. Un parking pour les Palestiniens est prévu à l’arrêt de Shuafat nord, son accès y est difficile car régi par un checkpoint, et sa construction peu probable à cause de son coût...

En 2020, le tramway réalisé et inauguré, les Israéliens bénéficieront d’un réseau de huit lignes sur 50 kilomètres avec 75 stations dont plusieurs terminus dans des colonies illégales : Gilo, zone industrielle de Atarot située entre le cheickpoint de Al Ram et Qalandiya, Ramot et Neve Ya’acov. Ainsi le tramway facilitera de nouvelles annexions et de nouvelles colonies illégales, et Jérusalem Israélienne s’agrandira.

Parce qu’en renforçant la stabilité et l’attractivité des colonies dans et autour de Jérusalem-Est, la participation de Veolia apporte une assistance à la pérennisation d’une situation illégale, créée en contravention de la quatrième Convention de Genève, dont l’article 49 prohibe le transfert de la population de l’occupant en territoire occupé. De plus, un tel contrat passé avec le gouvernement israélien pour un tronçon concernant Jérusalem-Est, aboutit à une reconnaissance de facto de l’annexion par Israël de cette partie de la ville. L’annexion de Jerusalem-Est et l’installation de colonies de peuplement par Israël ont été déclarées illégales par de nombreuses résolutions de Conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi que par l’avis de la Cour internationale de Justice du 9 juillet 2004.

Parce que, en bref, Veolia participe à la colonisation qui est formellement condamnée par la quatrième convention de Genève du 12 août 1949 et par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, notamment la résolution 465 du 1er mars 1980 qui stipule : « Toutes les mesures prises par Israël pour modifier le caractère physique, la structure institutionnelle ou le statut des territoires palestiniens (...) y compris Jérusalem (...) n’ont aucune valeur en droit. » Donc, les Etats doivent « ne fournir à Israël aucune assistance qui serait utilisée spécifiquement pour les colonies de peuplement des territoires occupés ».

Parce que depuis la guerre des six jours de juin 1947, depuis 40 ans, l’Etat israélien occupe Jérusalem-Est, la bande de Gaza et la Cisjordanie.
 [2]

2. Si je comprends bien, ce serait les mêmes logiques ici et là-bas ?

Les situations de la France et de la Palestine sont bien évidemment loin de se ressembler. Nous sommes ici dans un pays qui détermine librement sa politique, tandis que les Palestiniens se voient refuser le statut d’état libre et indépendant.

Pourtant on ne peut éviter la question que pose cette irruption concomitante des deux tramways là-bas et ici (ici concernant d’ailleurs un grand nombre de villes françaises et pas seulement Marseille). La logique du profit des entreprises Alstom et Veolia les rend capables d’enfreindre les lois et de mépriser leurs responsabilités éthiques, sociales et citoyennes, et ce malgré un discours affiché qui se veut responsable tel que leur propagande sur le tramway « écologique ».

A la clé de ces tramways, une stratégie extrêmement conquérante des deux entreprises françaises Alstom et Veolia qui font main basse sur un mode de transport en commun dont on attendrait qu’il soit au service de l’ensemble des populations, ici et là-bas. Comme l’ont bien montré nos camarades de la CGT RTM, Véolia avec l’opération, rafle ce qui devrait continuer à relever d’un service public, financé pourtant par les contribuables, et ceci avec la complicité des autorités territoriales des deux villes.

La fabrication même des infrastructures a mis ou mettra littéralement les riverains pendant de longs mois dans une grande souffrance, quand ils ne sont pas, comme sur le trajet de Jérusalem, purement et simplement expropriés de leurs terres.

Cette logique va servir ceux que le pouvoir, dans les deux régions, veut privilégier. A Marseille, ce sont les quartiers aisés du centre-ville déjà bien pourvus en transport qui vont prioritairement bénéficier du tram, au détriment des quartiers populaires périphériques, qui restent ainsi très mal desservis. A Jérusalem, les bénéficiaires du tram seront les Israéliens, et principalement les colons, les Palestiniens, au moins ceux de Cisjordanie, s’en voyant très probablement refuser l’accès et des dessertes sur leur territoire. On passe ainsi d’une ségrégation soft chez nous à ce qui ressemble bien à un apartheid déguisé à Jérusalem.

On le voit, les deux multinationales mettent en place, pour leur plus grand profit, à Marseille et à Jérusalem, des situations qui ne sont guère équivalentes du point de vue à la fois de la finalité socio-politique poursuivie par les commanditaires et de l’intensité des effets néfastes produits sur les populations. Pourtant, sensibles au poids de tels mécanismes d’exploitation et d’injustice, des solidarités peuvent se manifester entre les deux peuples, le droit de vivre dans son pays et d’y circuler librement, de façon non discriminatoire, étant parmi les biens communs les plus précieux pour tous.

3. Les Femmes en noir, c’est quoi ? Quel est le sens de votre action ?

L’association des Femmes en Noir de Marseille fait partie du Mouvement des Femmes en Noir,réseau international de femmes , informel au sens où il n’y a pas une organisation précise avec des dirigeantes élues mais avec une rencontre internationale tous les deux ans ( en 2007 à Valencia-Espagne ). Le Mouvement rassemble des groupes de Femmes dans le monde entier, chacun ayant des objectifs propres et donc des actions différentes. Par exemple, les Femmes en Noir au Japon luttent contre la remilitarisation de leur pays, les Colombiennes contre les guerres et leur cortège d’exactions qui minent leur pays, les Serbes contre le nationalisme et pour des actions de réconciliation avec les autres pays de l’ex-Yougoslavie...

Mais le Mouvement est né en Israël , fin 1987 ,à l’initiative d’une militante pacifiste qui , s’inspirant des « Mères de la place de Mai en Argentine « a proposé une action simple à mener mais organisée dans la durée : se retrouver , chaque semaine en noir et en silence autour d’un seul slogan « Arrêt de l’occupation de la Palestine « .
Depuis fin 1987, les Femmes en Noir israéliennes descendent dans la rue chaque vendredi, principalement à Jérusalem .L’idée a essaimé,inspirant des mouvements de solidarité sur tous les continents . Présents dans presque tous les pays d’Europe et d’Amérique du Nord, les groupes des Femmes en noir soutiennent en priorité le mouvement de la paix israélo-palestinien parce que l’occupation imposée par Israël sur trois millions de palestiniens est illégale et immorale .

Cette occupation, par une présence militaire brutale, des assassinats « ciblés », des arrestations arbitraires, la torture, les bouclages de villages, les destructions de maisons, l’arrachage des oliviers,la construction de colonies juives sur des terres palestiniennes ainsi qu’un mur de 9m de haut sur plusieurs centaines de kilomètres (véritable mur d’apartheid) ruine tout espoir de paix, déstructure toute une société qui n’a plus d’avenir.

Pourquoi un groupe sur Marseille ?

Parce qu’il nous semblait qu’il manquait une voix, une voix de femmes pour dire que les femmes dans les conflits sont les premières victimes, qu’elles donnent la vie qui sera brisée par la faute des hommes, que les armes doivent cesser d’être le seul recours pour résoudre les conflits, qu’elles doivent être présentes dans les négociations de paix, qu’elles veulent unir leurs forces pour la construction d’un monde pacifique et non destructeur, pour la promotion d’une culture de la paix, de la non violence.

Si notre préoccupation première à Marseille concerne le soutien aux forces qui luttent pour l’application du droit international que viole en permanence Israël c’est parce qu’aucune paix ne sera jamais possible au Moyen Orient tant que l’injustice faite aux palestiniens ne sera pas réparée , tant que l’existence de ce peuple et de l’Etat auquel il a droit ne seront pas reconnus.

Mais les Femmes en Noir de Marseille soutiennent toutes les femmes qui subissent des conflits et luttent dans leur pays pour un monde plus juste.
La voie qu’elles ont choisie est celle de la non violence active et d’un refus radical de la guerre .

Il faut OSER LA PAIX et DESARMER LE MONDE.

Les femmes en noir de Marseille.
marseille@femmesennoir.org
http://www.femmesennoir.org


Les images de cet article sont tirées du site des Femmes en noir Marseille


[1Femmes en noir, UJFP, Résister, Ballon rouge, PCF, LCR, Rouges Vifs, CGT...

[2Sources : Le Monde Diplomatique (février 2007), Amnesty International, Association France Palestine Solidarité



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur