Le NON de Rouge Vif

mardi 19 octobre 2004
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UNE "CONSTITUTION" EUROPEENNE
CONTRE LES PEUPLES

Le projet de Constitution européenne, adopté le 18 juin 2004 par les Chefs d’Etat et de gouvernement des 25 Etats membres de l’Union européenne, devrait entrer en vigueur le 1er novembre 2006 à condition bien sûr qu’il ait été ratifié dans tous les Etats membres par les parlements nationaux ou par référendum.

Ce texte, signé le 29 octobre à Rome par les Chefs d’Etat et de gouvernement, reprend pour l"essentiel le projet concocté, sans aucun mandat des citoyens, par une "Convention" (sous la présidence le Giscard d’Estaing) composée de représentants des gouvernements, des parlements nationaux, du Parlement européen et de la Commission européenne. Par rapport au projet initial, le texte définitif compte quelques différences, notamment en ce qui concerne le calcul de la majorité qualifiée au Conseil et son champ d’application dans le domaine législatif.

Pour que les citoyens puissent juger en toute connaissance de cause, il est important de les informer et de procéder à un décryptage de ce projet très long (448 articles et plusieurs protocoles), compliqué et souvent confus, même si ses objectifs sont clairs.

Une atteinte à la souveraineté des peuples

Ce projet est greffé sur le Traité de Maastricht. Il est appelé « Constitution » et est conçu, d’après ses promoteurs, comme un pacte entre les citoyens et le « pouvoir » européen. La confusion entretenue entre Traité et Constitution est voulue puisqu’il s’agit d’un « Traité établissant une Constitution pour l’Europe ». Une constitution est un ensemble de textes fondamentaux qui déterminent la forme de gouvernement d’un pays. Bien qu’elle ne soit pas l’émanation d’une assemblée constituante élue, cette Constitution prépare l’instauration d’un « super Etat » européen de type fédéral.
Normalement, une constitution a pour fonction de préciser le cadre général et les règles institutionnelles en laissant les citoyens exprimer leurs choix. Ce projet de Constitution européenne est plus contraignant puisqu’il leur enlève cette possibilité en étant fondée exclusivement sur un socle ultralibéral immuable à partir duquel sont définies les politiques et les institutions. C’est une atteinte grave à la souveraineté des citoyens car la constitution européenne vise à ôter à chaque peuple la liberté de décider de son avenir. Une fois adoptée et appliquée, la Constitution sera bétonnée et on ne pourra plus la retoucher d’ici "30 à 50 ans" comme l’a reconnu Giscard d’Estaing. Toute révision ou modification de la Constitution ne sera possible qu’à l’unanimité des Etats membres (IV-443).

Le projet est introduit par un préambule qui présente l’Europe, avec la devise « Unie dans la diversité », comme une sorte d’Eden où tous les habitants, même les pauvres, connaîtront le bien-être : « L’Europe désormais réunie au terme d’expériences douloureuses entend avancer sur la voie de la civilisation, du progrès et de la prospérité, pour le bien de tous ses habitants, y compris les plus fragiles et les plus démunis ; elle veut demeurer un continent ouvert à la culture, au savoir et au progrès social et elle souhaite approfondir le caractère démocratique et transparent de sa vie publique, oeuvrer pour la paix, la justice et la solidarité dans le monde ».
Un seul et unique traité constitutionnel remplace les traités accumulés depuis cinquante ans. Il comporte la partie constitutionnelle proprement dite, la charte des droits fondamentaux, les dispositions relatives aux politiques communautaires.
Toute la première partie concerne les objectifs et les compétences de l’Union. La liste des « valeurs » est impressionnante : liberté, démocratie, égalité, état de droit, droits de l’homme, pluralisme, tolérance, justice, solidarité, non discrimination, paix, bien-être des peuples. S’appuyant sur ces « valeurs », l’Union « offre » (c’est le mot utilisé) à ses citoyens « un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » (I-3). Derrière le vernis des valeurs affichées, apparaît le noyau dur de la Constitution, la libre concurrence, qui devient un but en soi et dont la mise en oeuvre est développée dans la troisième partie.
Les bonnes intentions et les principes généraux sont listés dans le même article : développement durable, économie sociale de marché, niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement, progrès scientifique , lutte contre l’exclusion sociale, justice et protection sociales, égalité entre les femmes et hommes, solidarité entre générations, protection des droits des enfants, respect de la diversité culturelle et linguistique, sauvegarde du patrimoine culturel. N’en jetez plus, c’est la terre promise !
Ces objectifs louables sont mis en avant par les partisans de la Constitution qui prétendent y voir un rempart contre le libéralisme. Leur affichage, tout aussi solennel dans les précédents traités, n’a pas empêché le chômage , la pauvreté, les restructurations, les licenciements, les atteintes aux droits sociaux, les violences policières, la chasse aux immigrés, les injustices et les discriminations.
Conscient du fossé grandissant entre les citoyens et la construction européenne, le projet de Constitution n’essaie pas d’y remédier en modifiant les politiques économiques et sociales qui en sont responsables. Il se contente d’affirmer des principes de la démocratie représentative et participative, de valoriser les partis politiques européens qui « contribuent à la formation de la conscience européenne »(I-46), de vanter le dialogue avec les associations représentatives et la société civile.
Une certaine amélioration est cependant apportée avec « l’initiative citoyenne » : à la demande d’au moins un million de citoyens de l’Union issus d’un nombre significatif d’Etats membres, " la Commission peut être invitée à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles les citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire » (I-47). Mais cette « avancée » est immédiatement limitée puisque la Commission n’est pas obligée d’y donner suite. Cela ne reste qu’une possibilité !

Autres points positifs : l’attribution d’un droit de veto des parlements nationaux à certaines décisions du Conseil européen (IV-444), le renforcement de la lutte contre toutes les formes de discrimination (sexe, race ou origine ethnique, religion, opinions politiques, handicap, âge, l’orientation sexuelle) (II.81), la possibilité pour un Etat membre de quitter volontairement l’Union (I.60) .

Le caractère fédéral renforcé

Le cadre institutionnel est sensiblement modifié par rapport au Traité de Nice, notamment pour tenir compte de l’élargissement et accentuer le caractère fédéral de l’Union.
Les pouvoirs du Parlement européen sont renforcés : il acquiert un véritable pouvoir colégislatif avec le Conseil avec l’extension de la procédure de codécision, élit le président de la Commission européenne (I-20) et détient le « dernier mot » sur l’ensemble des dépenses européennes. Mais il n’a toujours pas de pouvoir d’initiative en matière législative. Il peut seulement demander à la Commission de "soumettre toute proposition appropriée sur les questions qui lui paraissent nécessiter l’élaboration d’un acte de l’Union. (III-332). Le Parlement européen bénéficie toutefois d’un pouvoir d’initiative, égal à celui des Etats membres et de la Commission, lui permettant de soumettre des projets de révision de la Constitution.
La présidence tournante du Conseil (tous les six mois) est abandonnée ; le Conseil européen (les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres) élit pour deux ans et demi un président, exempt de mandat national, chargé de représenter l’Union sur le plan international. (I-22).Nommé par le Conseil européen, le ministre des affaires étrangères de l’UE est également vice-président de la Commission (I.28).
Le nombre de décisions prises à la majorité qualifiée est étendu. Le calcul de la majorité qualifiée, qui est important pour dégager des majorités ou des minorités de blocage, a été l’objet des principales controverses entre les Etats membres. La majorité qualifiée est égale à au moins 55% des Etats membres (au moins 15) représentant au moins les 65% de la population de l’Union (I-25), c’est-à-dire une double majorité, celle des Etats et celle des citoyens. L’extension du champ d’application de la majorité qualifiée, qui accentue le caractère fédéral de l’Union européenne et permet d’imposer à un Etat membre des décisions contre son avis, correspond à de nouveaux abandons de souveraineté. Une vingtaine de domaines supplémentaires sont concernés : marché intérieur, politique de cohésion, transports, espace de liberté, sécurité et justice. Le droit de veto est maintenu pour la politique étrangère, la fiscalité, la conclusion des accords internationaux et certains aspects de la politique sociale ou de l’environnement.
Toutefois, dans le cas du maintien de l’unanimité, une clause permet au Conseil européen de décider à l’unanimité (sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen), que le Conseil statue à la majorité qualifiée. Cette procédure concerne notamment la politique sociale, l’environnement, la coopération judiciaire en matière civile, la politique étrangère.
Les mécanismes de révision de la Constitution se traduisent également par des abandons de souveraineté des Etats membres. Cette révision reste soumise à la règle de l’unanimité (IV-443) qui est toutefois assouplie dans trois domaines : révision des dispositions institutionnelles (4/5es des Etats membres peuvent faire pression sur les autres Etats pour qu’ils ne s’opposent pas à la révision), révision des dispositions opérationnelles (politique internes), extension du vote à la majorité à de nouveaux domaines (IV-444, 445).

Les pouvoirs de la Commission sont sensiblement accrus (I-26 et 27). C’est elle qui est chargée de « promouvoir l’intérêt général européen » et d’assurer « la représentation extérieure de l’Union » à l’exception de la politique étrangère. Elle garde le monopole d’initiative législative et de décision en matière de concurrence. Elle continuera donc, au nom du respect du principe de concurrence, et sans tenir compte des questions d’emploi ou d’aménagement du territoire, de décider seule l’autorisation des concentrations ou l’interdiction des aides d’Etat. Ce pouvoir exorbitant, antidémocratique, porte atteinte à la souveraineté des Etats qui sont sous surveillance de la Commission pour leur politique industrielle. Elle est également chargée de faire appliquer le « pacte de stabilité » qui est un véritable carcan obligeant les Etats membres à opérer des coupes sombres dans leurs budgets consacrés au social, à la santé, à l’éducation. La Commission est composée d’un ressortissant par Etat membre mais, à partir de 2009, le nombre de commissaires ne devrait pas dépasser les deux tiers du nombre d’Etats membres.
Le président de la Commission européenne est désormais élu par le Parlement européen sur proposition du Conseil européen. Son rôle est renforcé puisqu’il lui revient de définir « les orientations dans le cadre desquelles la Commission exerce sa mission ».
Chargée d’assurer « le respect du droit dans l’interprétation et l’application de la Constitution » (I-29), la Cour de Justice européenne veille surtout à une bonne application des textes législatifs européens dans les Etats membres dans le strict respect de la concurrence. Son rôle ne peut que s’accroître puisque l’ensemble des institutions nationales, politiques et judiciaires, serait subordonné progressivement aux juridictions européennes. C’est ainsi que l’article I-6 précise : "La Constitution et le droit adopté par les institutions de l’Union, dans l’exercice des compétences attribuées à celle-ci, priment le droit des Etats membres".

Une Charte au rabais

Que ce soit aux niveaux européen et international, ce ne sont pas les déclarations, les chartes, les conventions sur les droits humains qui manquent. Plus de 140 pays ont ratifié cinq des six principaux pactes et conventions sur les droits civiques, politiques, économiques, sociaux et culturels. Plus de 130 pays ont ratifié au moins six des sept principaux textes internationaux sur le travail. Mais qu’en est-il dans la réalité ? C’est plutôt la non application et l’absence de sanctions, que ce soit de la part des gouvernements ou des institutions économiques et financières internationales.
La charte, dite des droits fondamentaux de l’Union, s’ajoute à cette longue liste. Adoptée par le Conseil européen de Nice en décembre 2000 après avoir été préparée par une Convention, elle n’apporte aucun véritable droit nouveau par rapport aux législations nationales et conventions internationales existantes et ouvre même la voie à des reculs dans certains domaines. D’après de nombreux juristes, elle est en contradiction sur de nombreux points avec les principes de la République française qui ont valeur constitutionnelle.
Dès le début, la charte a été conçue par les partisans de l’Europe fédérale comme le premier jalon d’une future constitution européenne. Ils ont effectivement réussi à l’intégrer dans le projet de Constitution et à la rendre juridiquement contraignante. Quand on connaît les arrêts de la Cour européenne de Justice, essentiellement préoccupée par le respect des règles de concurrence, le risque est grand de voir la Charte utilisée pour mettre en cause ou réglementer des droits acquis par les luttes sur le plan national et pour dépouiller les parlements nationaux de leurs prérogatives.
La faiblesse de son contenu, résultat d’un compromis entre les partis sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens, fait effectivement craindre tous les dangers. Certes, elle affirme placer « la personne au coeur de son action », elle s’oppose à la peine de mort et à la torture, interdit l’esclavage et le clonage humain reproductif, reconnaît la liberté d’expression et d’information, la liberté de conscience et de religion, les droits des enfants et des personnes âgées.
En matière de droits civils, elle reprend pour l’essentiel les conventions internationales. Mais elle constitue le plus souvent un recul en matière de droits sociaux par rapport à de nombreuses législations nationales et même par rapport à la charte sociale du Conseil de l’Europe. Le « droit au travail » n’est pas reconnu , la charte y substitue « le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée » et « le droit d’accéder à un service gratuit de placement ». Elle ajoute : « Tout citoyen a la liberté de chercher un emploi, de travailler ». Les chômeurs apprécieront cette « liberté » ! Le droit à un revenu garanti ou à une rémunération équitable est ignoré. Le droit au logement devient « le droit à une aide au logement ». Les droits syndicaux sont à peine mentionnés mais « la liberté d’entreprise est reconnue » et la liberté des capitaux assurée. Les droits des étrangers non communautaires sont à peine abordés. Malgré la Convention du Conseil de l’Europe et les demandes réitérées du Parlement européen, le droit de vote ne leur est pas reconnu. Quant au « droit à la paix », il n’est pas considéré comme un droit fondamental.
Au-delà de ces manques criants, des droits reconnus dans la charte n’empêchent pas les gouvernements de les bafouer régulièrement. Les exemples sont nombreux : le respect du pluralisme et de la liberté des médias sont mis en cause par le mouvement de concentration dans toute l’Europe ; le « droit d’asile est garanti » et les « expulsions collectives interdites » mais ces « engagements » n’empêchent pas les Ministres de l’Intérieur des Quinze d’organiser des « charters européens » pour expulser des étrangers ; le droit d’accès aux prestations sociales est reconnu mais de nombreux gouvernements veulent casser les systèmes d’assurance chômage, de sécurité sociale et de retraite.

Toutefois, même si elles n’ont pas empêché la charte de porter l’empreinte d’une politique libérale, les actions menées dans toute l’Europe ont réussir à imposer des garde-fous avec l’article II-113 qui stipule : « Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, (...) par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales (...) ainsi que par les constitutions des Etats membres ».

Pas de référence à la laïcité
Au-delà des aspects institutionnels, économiques et sociaux, le projet de Constitution comporte également des éléments culturels et même religieux. Il souligne que l’Union européenne s’inspire des « héritages religieux » de l’Europe mais sans citer les "valeurs chrétiennes" comme le demandait l’Eglise catholique et certains Etats membres comme la Pologne qui a déjà inscrit Dieu dans sa constitution.
Le projet de Constitution ne fait aucune référence aux valeurs laïques. Il reconnaît les religions comme institutions et pas uniquement en tant que pratique individuelle ou collective. L’article I.52 définit en effet le « statut des églises » en précisant : « Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union européenne maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises ». N’est-ce pas une atteinte au principe de laïcité qui va au-delà de la liberté des cultes !

Le noyau dur libéral

La partie III sur « les politiques et le fonctionnement de l’Union » compte plus de 300 articles.
On y retrouve les éléments essentiels du Traité de Maastricht qui forment désormais le noyau dur de la Constitution qui vise à légaliser le capitalisme et à empêcher toute possibilité de changement de société conçu comme une alternative au capitalisme. Alain Madelin avait déjà qualifié le Traité de Maastricht comme "une assurance-vie contre le socialisme". Avec le projet actuel, les droits fondamentaux et les principes démocratiques seraient subordonnés aux exigences de l’économie capitaliste.
Le fil rouge de ce socle libéral est la libre concurrence. L’article III-177 précise que la politique économique est conduite « conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ».Pour bien enfoncer le clou, ce principe est répété à l’article III-178. Au nom de la libre concurrence, est organisée la chasse aux aides d’Etat : « Sont incompatibles avec le marché intérieur dans la mesure où elles affectent des échanges entre les Etats membres, les aides accordées par les Etats membres ou au moyen de ressources d’Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certains produits » (III-167). C’est la Commission européenne qui dispose du monopole de décision en matière de concurrence ; grâce à ce pouvoir exorbitant, elle a interdit toute renationalisation, même partielle, d’Alstom.
C’est au nom de la libre concurrence que les Conseils européens successifs (notamment à Lisbonne en mars 2000 et Barcelone en juin 2002) ont décidé d’accélérer le processus de déréglementation et de libéralisation dans tous les secteurs : transports, énergie, poste, télécommunications, aéroports, ports.
Considérés, à juste titre, comme les principaux pôles de résistance à la libéralisation, les services publics et les entreprises publiques sont dans le collimateur. Plusieurs articles leur sont consacrés. Certes, il semble que la Constitution reconnaisse leur rôle et leur place à
l’article II-96 : « L’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union "ainsi qu’à l’article III-122 : "Eu égard à la place qu’occupent les services d’intérêt économique général en tant que services auxquels tous dans l’Union attribuent une valeur ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de sa cohésion sociale et territoriale, l’Union et ses Etats membres (...) veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base des principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d’accomplir leurs mission. La loi européenne établit ces principes et fixe ces conditions, sans préjudice de la compétence qu’ont les Etats membres, dans le respect de la Constitution, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services" ». En fait, ces articles réduisent les services publics à des « services d’intérêt économique général » chargés d’assurer la cohésion sociale et territoriale et les insèrent dans l’économie de marché où ils ne peuvent bénéficier que de dérogations précisées dans les articles III-166-167. L’article III-166 insiste : « Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles de concurrence ». Même les collectivités locales ne sont pas épargnées avec le risque de perdre la liberté de gérer directement ou de déléguer les services publics locaux.

En matière de politique économique et monétaire, les gouvernements comme les parlements nationaux élus sont dépossédés du véritable pouvoir de décision. Les véritables « gardiens » sont la Commission européenne et la Banque Centrale européenne. La Commission veille à la stricte application du pacte de stabilité par la lutte contre les déficits publics. Elle "surveille l’évolution de la situation budgétaire et du montant de la dette publique dans les Etats membres pour déceler les erreurs manifestes" (III-184). L’objectif principal de la Banque Centrale européenne est de "maintenir la stabilité des prix" (III-185) sans tenir compte de la croissance, ni de l’emploi. Elle se préoccupe essentiellement de préparer les conditions exigées par les marchés financiers pour attirer les capitaux. Totalement indépendante, elle n’est soumise à aucun contrôle démocratique et est hors d’atteinte de tout pouvoir politique. L’article III.188 précise bien : « Ni la Banque centrale européenne, ni une banque centrale nationale (...) ne peuvent solliciter, ni accepter des instructions des institutions de l’Union, des gouvernements des Etats membres ». Cette indépendance de la Commission et de la Banque centrale ne les empêchent pas de donner des leçons aux gouvernements et de leur faire des recommandations (voire des injonctions) pour diminuer les dépenses publiques, réformer les systèmes de retraite et de protection sociale, s’attaquer aux « rigidités »du marché du travail (c’est-à-dire précariser et flexibiliser) et « modérer » les salaires. L’article III-198 souligne que « l’examen de l’évolution des coûts salariaux unitaires" est indispensable pour faire respecter la stabilité des prix .

La politique économique et monétaire, mise en oeuvre dans les conditions précisées par la Constitution, rend illusoire, voire impossible, le respect des objectifs sociaux rappelés dans l’article I-3 et développés dans les articles III-203 à 219. Effectivement, les politiques sociales doivent être subordonnées aux droits de la concurrence, « compatibles avec les orientations des politiques économiques des Etats membres et de l’Union »(III-204) et contribuer à "promouvoir une main d’oeuvre (...) susceptible de s’adapter ainsi que des marchés du travail aptes à réagir rapidement à l’évolution de l’économie" (III-203). L’objectif fixé est d’atteindre « un niveau d’emploi élevé » et l’égalité des conditions sociales « dans le progrès ». Mais cet objectif devient un vÅ“u pieux quand les politiques économiques et sociales, fondées sur « la nécessité de maintenir de la compétitivité » (III.209), se traduisent par une augmentation du chômage, notamment dans la zone euro, des délocalisations d’entreprises accompagnées de fermetures et de licenciements, la déréglementation sociale et la casse des acquis des luttes. Même des recommandations positives peuvent se traduire par des reculs sociaux. C’est ainsi que le principe de l’égalité de traitement hommes-femmes a été utilisé pour abolir l’interdiction du travail de nuit des femmes ! « L’Europe sera sociale ou ne sera pas », avait proclamé François Mitterrand devant le Parlement européen. Poudre aux yeux ! L’Europe sociale est devenue une Arlésienne et l’Europe capitaliste continue de se renforcer.
Les politiques d’immigration et d’asile (III-265 à 268), qui devraient être progressivement communautarisées, s’inscrivent dans une logique utilitaire, sécuritaire et répressive, celle d’une Europe "forteresse".
Pour être complet, il faudrait analyser les articles consacrés aux autres secteurs (agriculture, industrie, énergie, transports etc.) qui sont tous marqués du sceau du libéralisme.
Quant aux relations commerciales, c’est encore le principe du « commerce libre »qui prime. Au lieu d’être un rempart, l’Union européenne est le « cheval de Troie » de la mondialisation capitaliste où, comme l’ont montré les récentes négociations à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la production de biens et de services doit relever du droit commun du libre commerce des marchandises. Toutefois, le projet de constitution n’a pas retenu le vote à la majorité qualifiée pour les accords commerciaux concernant les services culturels et audiovisuels comme le voulaient la Commission européenne et de nombreux Etats membres. Malgré tout, les oeuvres culturelles (souvent appelées "produits" culturels) restent soumises à la loi du marché. Les quotas et les aides à la culture ne sont que des dérogations aux règles de la concurrence. D’ailleurs, dans le projet de constitution, la culture n’a droit qu’à un seul article (III.280) aux objectifs limités : "L’Union contribue à l’épanouissement des cultures des Etats membres dans le respect leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun". Ni l’aide à la création, ni l’exception culturelle n’y sont reconnues.
Le projet de Constitution intègre des politiques communes qui ont fait la preuve de leur efficacité : l’environnement avec la reconnaissance du « principe de précaution » (III.233) et la protection des consommateurs (III.132). La pression des industriels, qui n’hésitent pas à recourir au chantage à l’emploi, aboutit cependant à atténuer la portée de ces politiques au nom de la compétitivité et de la rentabilité financière des entreprises.

La défense européenne arrimée à l’OTAN

A aucun moment, le projet de Constitution ne fait référence à la paix ou au refus de la guerre comme moyen de résoudre les conflits. Bien au contraire, il pousse à la militarisation de l’Union et s’inscrit dans une logique de militarisation des relations internationales.
Le ministre des Affaires étrangères de l’Union serait chargé d’exécuter la politique étrangère et de sécurité commune avec le risque de mettre en cause les droits des gouvernements de définir leur politique étrangère. Pousser cette démarche jusqu’au bout pourrait empêcher la France de prendre position sur les questions internationale, comme elle l’a fait sur l’Irak.
L’article I-41 précise que « les Etats membres s’engagent à améliorer leurs capacités militaires ». C’est une réponse directe aux pressions étasuniennes pour une augmentation des budgets militaires au détriment des dépenses sociales. L’article I-41 prévoit également l’institution d’une "Agence européenne de défense" : En même temps, la politique de défense commune devrait permettre d’assurer à l’Union une capacité opérationnelle des moyens civils et militaires qui pourront être utilisés en-dehors de l’Union « afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale ». Cette politique doit "être conforme aux engagements souscrits aux sein de l’OTAN". Le secrétaire général de l’OTAN a bien précisé qu’il est important que "l’OTAN et l’UE travaillent ensemble". L’OTAN, qui est l’instrument essentiel de domination des Etats-Unis, se voit donc attribuer un rôle et un droit de regard sur la politique étrangère et de défense européenne.

RESOLUMENT NON

Ce projet de Constitution opère un véritable saut qualitatif par rapport aux précédents Traités. Il consacre la domination économique, mais aussi politique, du capital et verrouille tout choix politique alternatif. Il est à l’image de cette formule de l’ex-commissaire européen de Silguy en 1997 : « Aujourd’hui, ce ne sont pas les gouvernements qui surveillent les marchés financiers, mais les marchés qui surveillent les gouvernements ».
Le projet de Constitution a fait le choix d’ancrer l’Union européenne dans la mondialisation capitaliste en faisant du marché et de la concurrence le socle de sa construction.
Certains partis et associations formulent des exigences ou avancent des propositions pour « rendre acceptable » le Traité. Cette politique des petits pas est une illusion et un piège ! Ce sont les mêmes qui proposent d’améliorer et de réguler la mondialisation capitaliste.
La seule réponse progressiste à ce projet de Constitution, ce n’est pas « non, mais » ou « oui, si » mais un « non résolu ».

Jean-Paul Le Marec



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