Les gaîtés du MEDEF ou qu’est ce que le patronat fête ?

On sait s’amuser chez le patronat ou le “lip dup”
lundi 11 février 2008
popularité : 3%

Les permanents de l’organisation patronale se mettent au goût du jour en matière de festivités . Dans les entreprises la mode du “lip dup” (double lèvres en français ou karaoké c’est-à-dire chanter en play back) s’est répandu à partir des Etats-Unis, il s’agit de tourner un clip video en un seul plan séquence. les salariés interprétent une chanson pour montrer la bonne humeur au travail. Dans un temps où se multiplient les suicides en entreprise, il était urgent d’innover.

Le MEDEF s’est mis au diapason et a projeté dans sa réunion de Bruxelles son propre ‘lip dup” concocté par l’agence Iris. Les images ont été tournées dans le hall du siège du MEDEF avec Laurence Parizot et la quasi totalité des permanents de l’organisation déguisés avec des masques et des plumes roses. le titre “Moving on”. Les paroles reprenent en anglais les slogans de la présidente “Now finding my way, it’s a new day, moving the lines”.

Qu’est-ce qu’on fête ? Le déficit commercial ?

Ces joyeusetés de l’escadron du MEDEF sont-elles destinées à saluer, outre la vague de suicides, les chiffres calamiteux du déficit commercial record de 2007 ?

Les chiffres sont tombés : 39,2 milliards d’euros de déficit. Battus les précédents records de 2005 et 2006 (28 puis 23 milliards). Comment arrive-t-on à ce résultat alors que par ailleurs le niveau des contrats signés avec les pays émergents ne cesse de croître ? Ces grands contrats civils à l’exportation (aéronautique, BTP, énergie, etc.) ont atteint en 2007 : 37,2 milliards d’euros. Battus les précédents records de 2005 et 2006 (19,8 milliards en 2006 et 27,1 milliards en 2005).
Veuillez excuser l’aspect un tantinet ardu de la démonstration mais comme on ne cessera de vous rabattre les oreilles de ce déficit commercial et du déclin de la France, essayons de voir ce qu’il en est réellement.

Comme a bien voulu le reconnaître un des Commissaires européens (Vladimir Spidla : emploi et affaires sociales) en levant son verre avec les joyeux drilles du MEDEF : “La France a une productivité par heure de travail plus élevée que les Etats-Unis, elle fabrique des TGV et des Airbus, elle est en train de bouger avec l’accord sur le contrat de travail, elle ne doit pas avoir peur des lendemains“ [1]

Si on considère de près la nature des déficits, on s’aperçoit qu’à côté de ces performances des “grands contrats”, c’est la montée des importations qui est la première cause du déficit. L’industrie hexagonale n’est plus en état de répondre à la demande intérieure.
Ce n’est même pas la facture énergétique puisqu’elle est en 2007 plus faible que celle de 2006 (en baisse de 1,3 milliards d’euros), on peut même féliciter les grands commis de l’Etat qui jadis ont garanti l’indépendance française avec le choix du nucléaire.

Même satisfaction si l’on considère l’agroalimentaire, si les importations s’accroissent, il en est de même des exportations et les ventes augmentent de 7,6% en matière de céréales, produits laitiers et les boissons alcoolisées essentiellement vers la Chine et Singapour alors qu’elles stagnent vers le Japon et régressent vers les Etats-Unis.
Alors qu’est ce qui ne va pas ? On nous raconte bien sûr qu’il s’agit des 35 heures, il suffit de considérer les secteurs dynamiques que nous venons d’énumérer pour mesurer à quel point cet argument est du pipeau. Il y a des secteurs qui enregistrent des stagnations voir des baisses. Dans les transports très peu de gros avions ont été vendus, un seul A 380, et les petits ont du baisser de 10%. Comme dans tout le commerce extérieur, ce qui tire les bons résultats d’exportation ce sont les grands contrats ferroviaires avec la Chine, le Venezuela et la Tunisie (+20%) .Même stagnation baisse dans le pharmaceutique compensé toujours par l’Asie.

Le grand déficit est avec l’union Européenne près de 16 milliards et 24 milliards pour la seule zone euro.

Mais le plus intéressant c’est ce qui fut jadis le fleuron de l’industrie française, l’automobile. Bercy a du reconnaître que cette détérioration est le résultat de la stratégie des constructeurs français qui ont implanté à l’étranger leurs nouvelles unités de production, en particulier pour les modèles bas de gamme, et qui désormais les importent dans l’hexagone (ce qui explique la hausse de près de 11% des importations dans ce domaine).

Un des facteur essentiel de déficit réside dans la disparition de tout un tissu industriel français lié aux délocalisations et qui crée les importations , l’automobile(11%), les biens intermédiaires(8,6%), et les équipements mécaniques (12%) . Ces délocalisations sont-elles dues comme le proclame le MEDEF aux 35 heures ? Certainement pas et surtout l’analyse ne tient aucun compte du fait que désormais les frais financiers sont souvent supérieur aux frais salariaux.

Qu’est-ce qu’on fête ? La vocation patronale européenne.

Pas rancunier pour deux ronds le MEDEF quant à la source de son déficit commercial avec l’UE et la zone euro, le patronat est devenu totalement européen… Le clip dont nous avons parlé a été tourné pour être passé à la réunion du MEDEF qui s’est tenu symboliquement à Bruxelles dans les locaux de la commission.

Le MEDEF a décidé de placer son action sous le signe de l’Europe pour saluer le fait qu’au même moment à Versailles était ratifié le traité qui inaugurait la présidence française de l’Union au second trimestre. Pour se faire le MEDEF a transporté ses troupes et son clip pour deux jours dans la capitale belge.

Il faut bien faire comprendre que le patronat est entré dans une nouvelle ère. Le scandale qui a secoué l’Union de l’Industrie et métiers de la métallurgie avec la “découverte” vertueuse d’une caisse noire, a permis à madame Parizot d’éliminer toute une frange du patronat qui n’était pas nécessairement fanatique de l’Europe et qui avait pesé sur le refus d’appeler à voter OUI au traité constitutionnel de 2005.

Madame Parizot a deux obsessions, poursuivre la croisade contre les “prélèvements obligatoires, c’est sa “priorité absolue”, elle salue avec enthousiasme le démantèlement du code du travail [2] et voit dans l’Europe la possibilité d’un nivellement sans fin.

Mais madame Parizot a un autre combat “défendre le capitalisme financier”, combat difficile dans les temps actuels et une partie du patronat regrettent “la bunkerisation” de la patronne qui est d’ailleurs la même que celle de madame Lagarde.

Il est vrai que l’accès d’interventionnisme de Nicolas Sarkozy dans la société générale comme chez Mittal a soulevé la forte opposition non seulement du patronat du Cac 40, mais de l’organisation de combat qu’est le MEDEF sous la direction de madame Parizot. (3) [3]

Les turbulences de la majorité et la mini mobilisation de la presse contre le président Sarkozy ont témoigné du mécontentement du landerneau patronal [4] qui a fait à coup de sondages d’opinion savoir au président qu’il fallait qu’il poursuive en matière de “compétitivité” c’est-à-dire de démantèlement du code du travail, de la protection sociale, etc. Et qu’il ne se mêle pas des affaires financières ou de vouloir gérer le patronat.


[1Les Echos vendredi 8 et samedi 9 février 2008. “le Medef affirme sa vocation européenne à Bruxelles”

[2Il est intéressant de suivre les actuelles péripéties des recommandations du Conseil d’orientation pour l’emploi (COE). Le MEDEF refuse toute incitation à la négociation par entreprise qui serait assorti en cas de refus de négociation de la direction d’une suspension des allègements fiscaux. Le MEDEF souhaite limiter la négociation au seul respect de l’obligation de négociation annuelle sur les salaires et donc même pas avoir de minima de branche débutant au-dessus du SMIC.

[3L’intervention de Nicolas Sarkozy réclamant la tête de Bouton, le président de la Société Générale, et préconisant de fait la constitution d’une grande banque française BNP et Société générale a été très mal vécue. L’intervention sur Mittal qui aurait pu aboutir également à la nationalisation de l’entreprise sidérurgique a été moins critiquée “Regardez ce qu’est devenu Alsthom dans certaines situations particulières les gouvernement ont eu raison d’agir”a même affirmé Peter Mandelson commissaire européen au commerce. (article des Echos cité). Il est vrai que quand l’on considère comme nous venons de le faire les raisons réelles du déficit extérieur, il est difficile d’attaquer Alsthom et les grandes entreprises toutes nées de la nationalisation après la Libération. Et de surcroît vu ce qu’est “l’opposition de gauche” en France il y a peu de chance que les cadeaux de l’Etat au patronat débouchent sur une quelconque nationalisation ou une remise en cause des diktats européens en matière de “concurrence”, comme en a témoigné la forfaiture à Versailles.

[4Là encore il faut bien voir les limites de la fronde. Si la droite et le patronat ont donné un coup de semonce à Nicolas Sarkozy, ils sont condamnés à vivre ensemble et Sarkozy doit demeurer le chouchou du patronat malgré quelques frasques. la Constitution quasi monarchique de la Ve République fait qu’il est difficile de s’en débarrasser…



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur