Lettre à un ami

Le conflit de la RTM et la situation politique
jeudi 1er décembre 2005
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Un texte personnel sans concession et qui apporte sous le ton de la confidence matière à réflexions

Cher ami

J’étais en Espagne pour la présentation de la traduction de Cuba est une île, quand la reprise a eu lieu.
Voici cependant quelques éléments d’information qui n’engagent que moi :

1) DES CONFLITS ISOLES

Comme tu l’as bien souvent noté toi-même, Marseille a constamment été isolée en particulier par les directions syndicales et politiques. C’est vrai pour le conflit des marins, ça l’est également pour celui des traminots. Cet isolement, alors qu’il s’agissait de luttes exemplaires pour la défense du service public me parait pouvoir se résumer à quelques caractéristiques riches d’enseignements :

- Alors que l’on aurait pu envisager le rassemblement des luttes autour de la défense du service public, de Marseille à l’EDF en passant par la SNCF, les directions syndicales ont tout fait pour les aborder en ordre dispersé. C’est vrai pour l’UNSA, FO, sans parler de la CFDT, le traître de service, mais ça l’est également malheureusement de la direction actuelle de la CGT. Cette question trouvera sans doute son prolongement lors du prochain congrès de la CGT.

- De surcroît, il n’y a eu aucune organisation de la solidarité au plan national, celle menée par l’UD 13 n’a pas été relayée.
Je reviendrai plus loin sur le rôle des partis politiques.

2) LA REPRISE ET LA SITUATION ACTUELLE

Traminots de la RTM votant le 24 novembre 2005 la suspension de leur mouvement de greve

Après 46 jours de grève, les traminots n’en pouvaient plus, ils étaient égorgés sur le plan financier. Ce qui fait que personne n’a critiqué ceux qui ont cédé les premiers. A Marseille il y a quatre dépots, trois ont des habitudes collectives, ils sont dirigés par la CGT. Le quatrième plus récent et qui couvre les quartiers du 13e arrondissement (mairie socialiste), ceux qui sont le plus en voie de ghettoïsation, avec incidents fréquents entre les jeunes et les chauffeurs, est majoritairement F.O. Donc après des propositions jugées insuffisantes de la mairie, ce quatrième dépôt a voté la reprise. Les trois autres ont tenu quelques jours, mais le front était cassé. La reprise s’imposait. Cependant symboliquement la reprise n’est intervenue que quand la grève de la SNCF a été terminée et il n’y a pas eu de débandade.
Il me semble que, comme pour les marins, la combativité reste très forte. C’est pourquoi il faut continuer la solidarité financière parce que le combat continue et reprendra quand les circonstances le permettront.
Pour cela il faudra sans doute une clarification syndicale, car on peut dans la situation actuelle tabler sur une perspective politique quelconque.

3) LE ROLE DES PARTIS POLITIQUES.

La droite mène sa stratégie avec détermination, elle passe en force, ne négocie pas et table à la fois sur la sectorisation des luttes, leur impopularité, les divisions internes. Elle est prête à aller jusqu’au bout, y compris comme dans le conflit des marins jusqu’à liquider une compagnie de navigation. Jamais autant qu’à Marseille, l’aspect copain-coquin des privatisations n’est apparu aussi clairement, le candidat de la privatisation n’a pas de concurrent, on lui livre le patrimoins marseillais comme une affaire juteuse. L’appareil de justice, avec Dragon, le juge ami du maire, qui s’est déjà illustré à propos de Netslé est prêt à remettre en cause le droit du travail. Le journal local la Provence, propriété de Lagardère mène une campagne contre les grévistes, en appelle aux usagers (en vain). des organisations venues de Paris tentent de provoquer des manifestations (en vain). Des pseudos-experts se répandent dans ses colonnes et les journaux nationaux pour déconsidérer grèvistes et la CGT. Au delà c’est tout une ville qui est stigmatisée.

- Le PS est égal à lui-même, au plan local il dénonce du bout des lèvres « l’intransigeance » du gouvernement et du maire, mais se prononce en fait pour les privatisations. Ainsi Christophe Masse, l’élu du XIII ème arrondissement(là où se trouve le dépôt qui a repris), interviendra en faveur de cette solution. Les divisions entre courants s’exercent sur le dos des grévistes, en particulier lors du conflit des marins. De fait, dans ces conflits, comme dans celui d’EDF, le PS joue les abonnés absents. Il subordonne tout à l’élection de 2007, présidentielles mais aussi municipales, et comme on l’a vu au congrès du PS, explique que la gauche fera ce qu’il faut mais en attendant contribue puissamment à l’affaiblissement, à l’isolement.
Le PCF est aussi ce qu’il est. En gros, il est le seul avec la LCR à soutenir les grévistes. La Marseillaise, le journal local qui est resté pour une part communiste mais dont le financement dépend du Conseil Général à dominante socialiste, mène une bataille exemplaire aux côtés de la CGT. Mais le PCF est désormais vidé de ses militants de terrain, plus de cellules, les sections sont devenues des coquilles vides. Sa seule activité consiste à faire des forums où les mêmes viennent parler sur le service public, les retraites, les femmes, etc... C’est un groupuscule d’environ 200 personnes... Ils sont dans l’incapacité tant sur le plan organisationnel que sur le plan politique (dans l’incohérence de leur stratégie actuelle) de toucher les milieux populaires. Les liens avec la CGT départementale sont de plus en plus distendus, même s’il reste un attachement sentimental... Il faut encore noter l’existence de groupuscules contestataires qui pratiquent le « dedans-dehors » du PRCF à « Rouge-vif » de Charles Hoareau. Dans ce conflit ils ont été très actifs et ont tenté à leur manière de suppléer aux carences manifestes du PCF.

La LCR ressemble beaucoup au PCF, à la seule différence qu’elle touche essentiellement les couches diplômées, les jeunes étudiants... Elle a connu de multiples crises en particulier avec son union avec LO... On ne peut pas lui reprocher sa tiédeur face aux grèves mais le caractère irréaliste de ses proclamations. Là encore, il existe une myriade d’organisations que l’on peut qualifier de « gauchistes » et dont la tendance est d’être minuscules et de ne regrouper que le bureau de « l’association ». Ils se méfient des partis et au premier chef de la LCR et se divisent en ce moment entre ceux qui veulent travailler avec « les islamistes » et ceux qui s’y refusent.

- On pouvait espérer que la campagne pour le NON à la Constitution (60% à Marseille) et la victoire référendaire donnerait lieu à une recomposition politique. Mais je l’ai analysé dés le lendemain du scrutin, la rupture avec l’électorat qui a voté NON était si profonde que l’on voit mal comment elle aurait pu être surmontée. Imaginer que des comités du NON, qui déjà lors de la bataille n’avaient jamais touché les couches populaires auraient pu survivre avec comme objectif l’élaboration d’une autre constitution européenne, était un pur fantasme qui ne concernait que la fondation Copernic... Ne pas voir que le rassemblement des nonistes devant les grilles du port, était plus ou moins vécu non comme un apport mais comme le symbole d’une division politicienne... Ce meeting n’était que le moyen de peser dans le sens de la constitution d’un pôle d’extrême-gauche en vue d’une candidature aux présidentielles. Le récent congrès du PS a prouvé l’inanité de telles espérances... De telles manoeuvres étaient d’autant plus mal vécues par les salariés en lutte, que la CGT était confrontée aux difficultés du rassemblement, d’abord les marins qui devaient maintenir l’unité avec un syndicat corse aux méthodes maffieuses et puis les traminots qui devaient maintenir l’unité de l’intersyndicale...
Cela tient pour une grande part non seulement à ce qu’est le PS, mais aussi aux incohérences stratégiques du PCF. En fait il me semble que la direction du PCF a choisi son objectif : participer au gouvernement et le faire avec un maximum de forces derrière elle... Pour cela fédérer les nonistes, tout en prétendant à une union de la gauche, de « toute la gauche » est une tactique dans laquelle, cette direction s’épuise et rencontre de fait la concurrence de la LCR. Elle rejoue la stratégie de 95, avec les débats qui visaient à la participation gouvernementale, mais dans une situation de rupture encore plus grande avec les salariés en lutte, les préoccupations populaires et un affaiblissement de l’organisation devenu sans doute irreversible.

4. QUELLE ISSUE ?

La première donne de la situation est la montée des résistances, tant au plan marseillais qu’au plan national sur une toile de fond internationale que nous tentons d’analyser dans notre dernier livre DE MAL EMPIRE. Pendant plus de 20 ans la mondialisation néo-libérale n’a pas rencontré de résistances réelles et le mouvement français de 95 a été une glorieuse exception. Aujourd’hui la question n’est plus la révolte, les résistances, mais comment, avec quelles organisations, comment surmonter les divisions ? Mais aussi quelle perspectives : faut-il s’inscrire dans une rupture avec le capitalisme, inventer un néo-socialisme comme le dit Chavez basé sur la maîtrise des ressources et leurs bénéfices partagés par les peuples. Un socialisme non doctrinaire mais comme réponse aux besoins matériels, de justice et de paix des peuples.

Il est clair qu’il n’y a aucune force politique apte à mener cela... Le syndicalisme a besoin d’un débat de fond et l’absence d’analyse politique est préjudiciable à la clarification.

Vu la manière dont le PCF s’avère incapable de saisir la nouveauté de la période, la manière politicienne dont il perçoit les enjeux, mes dernières espérances sur son utilité sont en train de disparaître et je crains qu’il n’entame un processus terminal. Si je me suis obstinée ce n’est pas par fidelité, encore qu’il n’y a aucune honte à l’être, mais parce qu’il était pour moi la seule force politique ayant encore quelque crédibilité dans les milieux populaires. Cela aussi est en train de disparaître... De surcroît, il y avait une sorte de conglomérat de militants encartés continuant à agir sur le terrain, d’autres ayant pris leurs distances et agissant dans les syndicats, les associations, voire fondant des groupes contestataires et des communistes sans carte... La fête de l’Huma reflète assez bien cela, mais depuis de nombreuses années une foule est rassemblée, de multiples débats ont lieu, mais aucun objectif politique, aucune stratégie si ce n’est de vendre un rapport de forces pour une participation gouvernementale... En alternant proclamations gauchistes, discours creux et « réalisme » pour « battre la droite »...

Pourtant il y avait, il y a un espace politique et, avec les luttes il s’élargit. Il passe par le rassemblement tranquille, responsable... D’abord des communistes eux-mêmes... Aujourd’hui tout est éclaté et chacun s’oppose pour mieux poser son groupuscule... C’est épuisant quand tu veux agir avec l’un de ces groupuscules, tu as droit à l’exposé complet de leur différence, de leur audience, par rapport au groupuscule concurrent à qui l’on attribue les divisions... C’est la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf (le PCF devenu effectivement bovin)... Pourtant on sent bien qu’il existe des questions fédératrices, je le perçois avec Cuba et derrière ce pays, la nécessité de la résistance, et l’objectif du socialisme... Il y a eu le NON à la Constitution, mais aussi malgré les trahisons, les incapacités, les luttes qui montent, à Marseille plus qu’ailleurs. Et même si elles se heurtent à un mur, chacun sent bien que ce n’est pas la démission mais une étape. les problèmes demeurent, la nécessité du combat aussi.

Manifestation des chomeurs dans les rues de Marseille

Donc surmonter les divisions, se rassembler est une nécessité, surtout si l’on veut toucher la jeune génération qui prend de plein fouet tous les problèmes... (1)Emploi, précarité, remise en cause des droits sociaux et qui non seulement n’a plus d’organisation à sa disposition, mais à qui la droite et le patronat démontrent le peu d’efficacité des luttes collectives... Cherchent à décourager, pendant que la gauche ne pense qu’à les transformer en clientélisme électoral pour la même politique...

Mais la nécessité de l’union s’impose pour tous, personnellement je travaille avec tous, sur des objectifs limités et clairs, mais jamais je ne m’impliquerai dans une quelconque organisation dont les jeux de pouvoir passent avant tout autre objectif. Si l’on peut accuser les directions des partis de gauche de privilégier ces jeux de pouvoir, il existe des gens désintéressés mais leurs conduites visant à confondre appareils, voire groupuscules, et objectif politique ne mène à rien...

Le PCF aurait pu mener son congrès selon le modèle thorézien : « Que les bouches s’ouvrent, pas de mannequins dans le Parti ». Mais le parti est déjà depuis de nombreuses années un foutoir, donc un tel débat aurait du être précédé d’une analyse d’une direction responsable qui s’engage dans une stratégie autonome et claire. Ne plus regarder du côté du congrès du PS ou des altermondialistes, mais dégager sa propre analyse qui parte des exigences populaires. Se donner les moyens organisationnels de reconstituer le parti à la base, rassembler sans exclusive et quand ce travail sera mis en chantier, la question des alliances électorales pourra être envisagée... Mais il est bien tard, tout ce que nous venons de vivre depuis le triomphe du NON à la Constitution, à Marseille et ailleurs me fait penser que nous en sommes au stade ultime de la décomposition, une agonie...

(1) Comme je ne suis qu’une sociologue, une intellectuelle, je suis en train de m’interroger sur un travail d’enquête sur cette jeune génération, d’abord en France et aussi dans d’autres pays...



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