On nous a dit : laissez faire le marché...

dimanche 12 octobre 2008
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Aminata Traoré, ex-ministre de la Culture du Mali, craint que les peuples du Sud ne paient la facture.
Pour l’écrivaine, chercheuse en science sociales et militante altermondialiste, la mise à plat du capitalisme mondialisé est une occasion sans précédent pour l’Afrique.
Elle en expose les raisons dans une interview accordée à L’Humanité.
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« Au-delà des sommes abyssales annoncées pour sauver le système financier, je pense que, sur un plan politique, il y a un sérieux problème. Je trouve scandaleux que Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI, évoque les possibilités d’intervention de cette institution après que celle-ci a perpétré tant de crimes en Afrique. Après le sommet du G8 au Japon, où les pays les plus riches ont reconnu ne pas avoir tenu leurs promesses en matière d’aide au développement, l’argent subitement sort de partout pour faire ce que ces pays ont toujours interdit aux pays d’Afrique.

Chez nous, les gens crèvent dans les hôpitaux. On nous a dit que l’État est superflu et que le marché fait l’affaire. Aujourd’hui, on tombe des nues. Au vu de la réaction des États-Unis d’Amérique et de l’Europe, chevilles ouvrières des institutions de Bretton Wood, véritables pousse-au-crime en Afrique, je suis scandalisée. Quand on regarde l’état de déliquescence de ce continent où l’agriculture ne nourrit plus son homme, où l’école va à vau-l’eau, où les gens meurent de tout, y compris de maladies guérissables, du manque d’eau, et que l’on sait que les institutions internationales et les puissances occidentales n’ont oublié aucun secteur de nos vies. Tout a été objet de réformes sous-tendues par la logique du marché.

On nous a dit "Retirez-vous de tout, vous ne savez pas vous y prendre. Laissez le marché faire." Il est donc aujourd’hui de la plus grande importance de faire le lien entre le chamboulement des économies locales et l’immigration légale ou illégale, et dl’attention des Européens sur le fait que les États libéraux et les puissances de l’argent rechignent à payer pour leurs erreurs. Il y a longtemps que l’Afrique paye pour cela. On ne sait plus si l’Europe est libérale ou pas. Une chose est sûre : elle est ultralibérale dans les pays dominés. Je ne cesse de le répéter : cette crise n’est pas que financière, énergétique ou alimentaire : elle est morale et politique. Finalement, la mise à plat du capitalisme mondialisé est peut-être une occasion sans précédent pour l’Afrique, qui depuis 150 ans paye pour la prospérité de l’Europe, de dire aux puissances financières : "Ayez l’honnêteté de reconnaître que vous avez exigé l’impossible de nos pays."

D’ailleurs, pour sortir de cette crise, rien ne nous dit que les tenants du système ne vont pas faire davantage dans l’agression de nos sociétés pour se remettre à flot, quand, aujourd’hui, ils sont en panne sèche. Les pays du Sud doivent continuer à dénoncer les criminels accords de partenariat de l’Union européenne. Sinon, ils vont continuer à pleurnicher sur le sort des femmes africaines ou des enfants soldats. Tout est lié. Les cris de détresse de nos enfants qui se noient en mer dans leur quête d’Europe, les guerres, la famine… Il a fallu que le moteur de leur système - l’argent - soit en question pour qu’ils reconnaissent enfin qu’ils ont un problème avec le modèle capitaliste. Il y a une impérieuse nécessité de se sauver pour les peuples d’Europe, d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie. Dans cet esprit, je me félicite du contre-sommet euro-africain auquel je participe le 17 octobre en France, avec près de 300 associations. L’Europe ne fait pas que se barricader derrière des murs, elle avance masquée, et n’a pas envie que les Africains comprennent la nature et la part du marché qu’elle veut gagner contre la Chine sur le dos de l’Afrique. »

Propos recueillis par Dominique Bègles
L’HUmanité 11-10-2008



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