Que deviendra l’Irak si les GI s’en vont ?

mardi 25 novembre 2008
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Un constat du désastre produit par l’intervention américaine qui conduit ce journaliste irakien à dire qu’il n’y a pas d’autre solution... que de perpétuer la catastrophe ! Si nous ne partageons pas sa conclusion, nous ne pouvons qu’observer que plus personne aujourd’hui n’ose parler des bienfaits de la présence des GI...

Il n’y a pas un Irakien qui ne souhaite pas le retrait des armées étrangères. Il ne se trouve plus personne pour justifier leur présence et prendre leur défense. Tout le monde a pâti de leurs erreurs, de leur ignorance des réalités et de leur vision stéréotypée du Moyen-Orient. C’est pourquoi presque toutes les forces politiques irakiennes demandent leur départ, même si des motivations divergentes se cachent derrière ce slogan.

Or ces mêmes forces politiques sont aujourd’hui au pied du mur. Il n’est en effet pas exclu qu’un tel retrait se fasse effectivement, et plus rapidement qu’on ne l’avait envisagé. Les Américains ont annoncé qu’ils pourraient rapatrier leurs troupes et mettre un terme à toute coopération dans le cas où les Irakiens refuseraient de signer leur projet de traité de coopération militaire [le gouvernement irakien a adopté ce texte le 16 novembre]. Or les conséquences risquent d’être considérables. Depuis le renversement de Saddam Hussein, l’effondrement de l’Etat et la déstructuration confessionnelle, ethnique et régionaliste de la société irakienne, les Américains sont dans le pays le seul pôle de stabilité.

Les Irakiens ne se sont pas préparés à ce tournant historique. Si l’avenir reste à ce point incertain, chacun des innombrables dossiers en suspens est susceptible de dynamiter le processus politique et de ramener la situation sécuritaire à son point de départ. Ils sont impuissants à élaborer un projet national acceptable pour tous. Pis, ils n’arrivent même pas à parler un langage commun. La définition de termes tels que terrorisme varie d’un parti à l’autre, de sorte que la loi antiterroriste est appliquée selon le plus petit dénominateur commun. Le fédéralisme signifie-t-il des quotas pour les postes de gouvernement ou une autonomie des provinces ? Qu’est-ce une “minorité” et une “majorité” ? L’identité de l’Irak est-elle arabe ou plurielle ?

Les citoyens ont constaté, au cours des dernières années, que l’armée américaine était le seul recours pour arbitrer entre les forces politiques concurrentes et trancher. La plupart des acteurs politiques irakiens y ont consenti. A Bagdad, centre névralgique du pays, ce sont les Américains qui ont eu l’idée de séparer les quartiers sunnites et chiites par des murs de béton afin d’éviter les attaques. Ce sont eux qui ont élaboré une alliance contre Al-Qaida dans la province d’Al-Anbar et qui ont constitué la Sahwa, ces milices composées d’anciens insurgés reconvertis dans la lutte contre Al-Qaida. Ce sont eux qui ont mis fin aux pillages de l’Armée du Mahdi [de Moqtada Al-Sadr, chiite radical]. Et ce sont encore eux aujourd’hui qui empêchent les tensions entre les groupes armés de dégénérer en conflit armé à Kirkouk, où les forces politiques sont hantées par le spectre de l’épuration ethnique et prêtes à dégainer au moindre signe.

Chaque faction a sa milice, ce qui contribue à diviser le pays en fiefs. Ces milices ne reculent devant rien, malgré d’innombrables conférences de réconciliation, de fatwas interdisant de verser le sang et d’appels au calme lancés par les autorités religieuses. La plupart du temps, les conflits ne portent pas sur le projet politique mais sur le partage des richesses, des ressources et des postes. L’attrait du pouvoir, des petits avantages, de l’argent, des privilèges et des postes est plus fort que tous les principes patriotiques professés dans les médias.

En cas de retrait soudain des Américains, il n’y aura ni armée nationale, ni police, ni services de renseignements irakiens pour contrôler le terrain. En effet, les différents gouvernements qui se sont succédé depuis la chute de l’ancien régime n’ont pas su former une armée capable d’intervenir dans toutes les régions du pays. L’armée de l’air est inexistante et l’armée de terre sous-équipée, la corruption est endémique et le commandement est divisé en clans, factions et courants politiques, régionaux et confessionnels, chaque groupe ayant ses colonels et ses bataillons. Il en va de même pour la police, qui est infiltrée par des miliciens confessionnels. Chaque province a ses propres services de sécurité et sa propre police, susceptibles de se transformer à tout instant en force d’appoint confessionnelle afin de défendre des intérêts catégoriels.

L’imbroglio politique est parfaitement illustré par l’étrange débat qui s’est déroulé au Parlement sur les jours fériés. La proposition de faire passer le jour de repos hebdomadaire du samedi au jeudi a soulevé les passions. Certains députés ont alors demandé que chaque province puisse fixer ses propres règles pour les jours fériés annuels, pour la plupart religieux. Il ne fallait pas s’étonner que d’autres demandent que chaque quartier et chaque rue puisse instaurer son propre calendrier.

Le pays est confronté au choléra, à l’effondrement des services publics, à l’absence d’hôpitaux et de services médicaux d’urgence, à l’accumulation des ordures, au chômage, à la peur des assassinats, aux coupures d’électricité, à la pollution causée par des millions de générateurs au mazout, à l’exode de millions de personnes instruites, au pillage par les soldats d’occupation et les sociétés de sécurité privées, à l’infiltration par des services de renseignements étrangers et à l’effondrement du civisme. Tout cela exige des réponses rapides de la part des forces politiques. Or celles-ci ne s’y sont pas préparées durant les six années qui se sont écoulées depuis la chute de Saddam Hussein. Qui garantira que les luttes confessionnelles ne reprendront pas quand les Américains seront partis ?

Le problème des quotas confessionnels dans les forces de l’ordre, par exemple, n’a pas été résolu par le gouvernement. De même, les divisions confessionnelles et ethniques dans les ministères menacent l’unité du pays. Le confessionnalisme détruit la cohésion sociale et prépare le terrain à d’autres campagnes d’épuration. Ainsi, à Mossoul, le déploiement de l’armée irakienne n’a pas empêché que des voitures circulant dans la ville ne diffusent par haut-parleurs menaces et injonctions de quitter la ville à l’adresse des chrétiens.

Personne ne souhaite le maintien des forces d’occupation dans le pays, mais l’Etat n’est pas suffisamment fort pour combler le vide que créerait le départ des près de 150 000 soldats américains avec tout leur matériel et leurs services de renseignements. En revanche, les pays voisins, et notamment l’Iran, se tiennent en embuscade pour étendre leur influence. Dans cette situation embrouillée, que peuvent faire les Irakiens sans les “barbares” ? Au moins sont-ils une partie de la solution, comme le disait le poète grec Cavafy.

Shaker Al-Anbari dans Al Mustaqbal 19/11/2008

Transmis par Linsay



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