Crimes de guerre à Gaza : les ONG rassemblent les preuves

mercredi 11 février 2009
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Après la plainte des 350 ONG et associations déposée le 22 janvier 2009, l’Autorité Palestinienne a donné compétence à la Cour Pénale Internationale. Une quarantaine d’avocats y travaillent et la Cour Pénale Internationale étudie les moyens de poursuivre en justice des commandants israéliens pour crimes de guerre à Gaza. Dans un premier temps la CPI s’était déclarée dans l’impossibilité de saisir l’affaire car elle n’avait aucun pouvoir de juridiction sur Israël, qui n’est pas signataire du Statut de Rome. Des groupes palestiniens ont présenté des arguments affirmant que l’Autorité palestinienne est l’État de fait dans le territoire où les crimes présumés ont été commis. Dans une interview au Times, Luis Moreno-Ocampo, le procureur de la CPI, a indiqué qu’il était, maintenant en train d’examiner si la juridiction palestinienne pouvait s’exercer sur des crimes présumés, perpétrés à Gaza. La première étape était d’établir une juridiction, a t-il déclaré, et c’est seulement après cela qu’il pourra décider de lancer une enquête.
Sur le terrain, les ONG poursuivent leurs constatations comme le rapporte ce reportage de Clémence Holleville, publié par Mediapart.fr

« On trouve les obus. L’artillerie, les missiles.... Tout ça à l’intérieur des maisons des civils. » Dans la bande de Gaza, Donatella Rovera dirige une équipe d’Amnesty International. Objectif : recueillir le plus d’informations sur les violations du droit international commises pendant le conflit. « Le phosphore brûle encore dans certains endroits », décrit la chercheuse interrogée par Mediapart. Mais il faut faire vite. « Les preuves matérielles ne durent pas toujours. Les gens ne sont pas au courant de l’importance de les garder. Ils jettent les éclats d’obus à la poubelle, ou revendent le métal. Avec les intempéries en plus... », déplore-t-elle.

Car pendant presque toute la durée du conflit, c’est en étant bloquée aux frontières que les ONG s’inquiétaient de ces violations. « Nous avions demandé à rentrer dans Gaza dès le début du conflit. Mais les autorités égyptiennes et israéliennes avaient fermé les frontières. Nous ne sommes arrivés que deux jours avant le cessez-le-feu », rappelle Donatella Rovera. Depuis, on photographie, on recueille des témoignages. Un consultant militaire accompagne la mission. Les découvertes sont détaillées sur un blog tenu par les membres d’Amnesty. Un premier rapport, rendu public par l’ONG, détaille les lois applicables à la situation de Gaza.

Premier exemple cité par la chercheuse : l’usage de l’artillerie sur des quartiers densément peuplés. L’emploi d’armes non discriminantes – frappant indistinctement les objectifs militaires ou les personnes et biens civils – se trouve contraire aux principes des Conventions de Genève, selon lesquels le maximum doit être fait pour épargner les civils.
« Il y a aussi le phosphore blanc, poursuit Donatella Rovare. D’abord, ce n’est pas une arme de précision. Ensuite, c’est une arme incendiaire, dont le feu tue et blesse beaucoup de civils. » Dès les premiers jours du conflit, l’éventuel emploi d’obus au phosphore blanc, relayé par les médias, avait été dénoncé par les organisations internationales. Autorisée pour former des écrans de fumée ou marquer une cible dans le Protocole III de Genève, cette arme incendiaire est interdite sur les civils ou dans des zones densément peuplées.
Face à ces accusations, Tsahal [1] a d’abord affirmé n’avoir utilisé les armes au phosphore blanc que dans le cadre prévu par la loi. Puis, d’après le quotidien Haaretz, une enquête a été ouverte par l’armée d’Israël. Elle devrait examiner les circonstances dans lesquelles une vingtaine d’obus au phosphore ont été tirés vers la ville de Beit Lahiya, au nord de Gaza.

Les civils, cibles d’attaques

Moins connu est l’usage d’obus à fléchettes, projetant des milliers de pointes métalliques sur des centaines de mètres.
Pour Donatella Rovera, des armes plus précises, comme les missiles lancés depuis des drones ou des F16, ont directement ciblé les civils. Quelques jours plus tôt, deux jeunes hommes en motocyclette ont fait l’objet d’une attaque de l’armée israélienne. 16 autres personnes ont été blessées, en majorité des enfants sortant d’une école. « Même si les cibles étaient armées, lorsqu’on lance un missile à 11h30 du matin, en plein centre-ville, il ne faut pas être une lumière pour savoir qu’on a de fortes probabilités d’atteindre des civils ! » s’agace-t-elle.
On se souvient des écoles de l’ONU bombardées durant les trois semaines de conflit, tuant plusieurs dizaines de civils. Le 15 janvier, c’était au tour d’un bâtiment de l’UNRWA, agence d’aide de l’ONU pour les Palestiniens, d’être la cible d’obus. Trois employés avaient été blessés, et plusieurs tonnes d’aide humanitaire détruites. Ce dernier événement doit d’ailleurs faire l’objet d’une enquête de l’ONU. Pour se justifier, Israël a affirmé répliquer à des tirs provenant des bâtiments visés.
Et la liste de s’allonger, selon la spécialiste d’Amnesty International : destruction massive de propriétés civiles « sans raison militaire », « quartiers entiers réduits à des décombres », convois médicaux attaqués. Selon le blog de l’organisation, au moins sept auxiliaires médicaux auraient été tués, et plus de 20 blessés, alors qu’ils transportaient ou tentaient de prendre en charge les blessés et les morts. « Pendant le conflit, les ambulances avaient interdiction de se rendre sur les lieux pour évacuer les blessés », poursuit la chercheuse.
Les cas de violation du droit international ne s’arrêtent pas à l’armée d’Israël. « On mène l’enquête des deux côtés », précise Donatella Rovera. Les actes du Hamas, comme « les roquettes lancées dans les villes et villages israéliens, qui blessent et tuent parfois les civils », font aussi l’objet d’investigations. Un article du Jerusalem Post fait état d’éventuels tirs de roquettes depuis les écoles de Gaza, et de la réquisition de l’aide alimentaire apportée par l’ONU.

Enquêtes et témoignages

Amnesty International n’est pas la seule : sur place, d’autres ONG, internationales ou locales, mènent l’enquête. Le 27 janvier, un communiqué d’Human Rights Watch annonçait que l’organisation était « en train d’enquêter sur des allégations de graves violations du droit de la guerre ». L’usage de civils comme boucliers humains, le fait de prendre pour cible des civils indiquant clairement leur statut, ou encore les attaques contre des infrastructures civiles y sont évoqués.
Deux jours avant la diffusion du communiqué d’HRW, une tribune de Kenneth Roth, directeur de l’ONG, dans le Jerusalem Post, concluait : « Bien sûr, Israël a le droit de se défendre contre les roquettes du Hamas, mais quand il le fait en violant son obligation de protéger les civils, et avec un tel bilan civil, la réprobation publique est totalement prévisible. »

Les associations de la région ne sont pas en reste pour évoquer les dommages parmi la population civile. A commencer par B’Tselem, le Centre d’informations israélien pour les droits de l’homme dans les territoires occupés. Sur le site de l’organisation, les témoignages relatent tantôt le bombardement d’une maison, causant la mort de 21 membres d’une même famille, tantôt l’histoire d’un enfant de 10 ans devenu aveugle suite à une explosion.

Dans une interview au quotidien Libération, Khalil Chahine, du Centre palestinien des droits de l’homme, accuse : « L’armée israélienne a cherché à éradiquer, de façon délibérée et systématique, des secteurs complets de la vie civile et des pans entiers de civilisation pour faire revenir Gaza des dizaines d’années en arrière. »

Les témoignages se poursuivent avec l’arrivée des journalistes étrangers dans la zone. Comme ce reportage à Zeitoun, qui décrit la façon dont 22 membres de la famille Samouni ont été tués par l’armée israélienne. Les soldats israéliens auraient empêché la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge, son équivalent dans les pays musulmans, de porter assistance aux blessés.

Une fois les investigations d’Amnesty International terminées, les conclusions seront présentées aux autorités israéliennes. « Nous demandons à ce qu’une enquête internationale indépendante soit mise sur pied par les organes de l’ONU. De préférence, par le Conseil de sécurité. Nous, les ONG, ne pouvons pas nous substituer aux mécanismes internationaux », conclut Donatella Rovera.

Si une telle enquête voit le jour, elle pourrait être le point de départ de poursuites internationales pour crimes de guerre, à l’encontre de hauts responsables militaires ou civils israéliens. De quoi mettre Israël dans une situation délicate, alors même qu’une autre affaire judiciaire secoue l’Etat hébreu. La justice espagnole a annoncé, la semaine dernière, l’ouverture d’une enquête pour crimes de guerre contre six responsables israéliens, impliqués dans la mort de 14 civils et d’un chef militaire du Hamas en 2002.

Clémence Holleville
Mediapart.fr


[1Tsahal : abréviation de l’hébreu « Tsva Haganah Le-Israel » (Armée de défense d’Israël) créée le 28 mai 1948, par une ordonnance de David Ben Gourion, qui officialise la création de « Tsahal », laquelle absorbe immédiatement la Haganah, le Lehi et l’Irgoun, trois organisations sionistes armées clandestines, créées avant la naissance de l’Etat d’Israël dans le but de permettre et de protéger l’immigration des Juifs en Palestine sous mandat britannique. Le Lehi se déclarait ouvertement « terroriste », visant la création d’un Etat juif sur toute la Palestine et l’actuelle Jordanie.



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