Pourquoi les luttes ne se proposent-elles plus l’abolition du salariat ?

lundi 18 janvier 2010
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Avec Friedrick Nietzsche, « Ainsi parlait Zarathoustra » :

« L’Etat est le plus froid des monstres froids.
Il ment fortement ; et voici le mensonge qui s’échappe de sa bouche :
Moi l’Etat, je suis le peuple. »

UNE OPPOSITION A L’AUGMENTATION DES SALAIRES

Mais pourquoi revenir ainsi à l’Etat, si c’est le salariat qui est au menu ?

L’abolition du travail salarié, nous dit Wikipédia, est l’un des fondements de certains courants du « socialime », dont le marxisme et l’anarchisme.

Wikipédia poursuit :

« Marx a élaboré cette notion pour l’opposer à la lutte pour l’augmentation des salaires, qui est un éternel recommencement puisque, répartie dans le coût de production, elle ne fait qu’amener une continuelle hausse des prix.

« L’abolition du travail salarié vient interrompre ce cycle... »

ELLE N’A PAS ETE L’OBJET DE MISE EN PRATIQUE

Durant la révolution russe de 1917, le parti bolchevik a employé l’argumentation marxiste contre la petite propriété, mais n’a pas aboli le salariat et on voit dès lors qu’il peut y avoir un rapport entre l’Etat et une mesure concrète d’extrême importance qu’il pourrait être à même de décider...

Je dis bien mesure d’extrême importance car chacun est à même d’estimer la place que ces questions de travail salarié peuvent avoir sur leur vie et celle associée de leurs familles.

Mesure d’extrême importance aussi dans la pensée de Marx mais qui n’est nulle part mise en oeuvre dans les pays qui se réclament du communisme.

Mais qui disparaît également des objectifs de lutte dans les pays capitalistes où elle figurait pour »mémoire ». Et c’est bien en 1968, après « les évènements », que la CGT enlève l’abolition du salariat de ses statuts dans lesquels elle figurait certainement depuis les origines.

POURQUOI ABANDONNER UNE DISPOSITION MAJEURE ?

Reste à s’interroger sur les raisons qui ont conduit, ici ou là, les dirigeants politiques et syndicaux à abandonner cette disposition majeure dans la lutte contre le capital, voire constitutive de l’existence du capital, et donc du capitalisme.

Cependant d’autres aspects tout aussi majeurs du marxisme ont été également ignorés et « passés à la trappe » comme l’appropriation sociale, le dépérissement de l’Etat, l’extension des gratuités...tant et si bien que l’on est rapidement conduit à s’interroger sur le caractère communiste des pays qui s’en réclamaient.

On sait aussi comment et combien ces questions du travail reviennent fort dans les luttes actuelles mais le plus souvent sous des aspects et selon des modalités combattus par Marx en son temps, comme si la place du travail salarié dans le développement et l’accroissement du capital avait disparu, et de long temps, c’est-à-dire sans rapport avec les changements plus récents intervenus dans le travail.

LES FRANCAIS ET LE TRAVAIL AUJOURDHUI

Ainsi uneenquête réalisée par TNS-SOFRES en juillet 2007 révèle-t-elle que 78% des actifs considèrent que c’est le stress qui décrit le mieux la façon dont la plupart des salariés vivent leur travail aujourd’hui.

Interrogés sur les problèmes qu’ils considèrent les plus difficiles à supporter dans leur travail, ils sont 54% à citer l’incertitude face à l’avenir professionnel, 45% à considérer le manque de reconnaissance, 36% la surcharge de travail et 36% les conditions de travail.

Toujours selon la même enquête et interrogés plus avant sur ces conditions de travail, ils sont 32% à considérer qu’elles se sont améliorées mais 61% qu’elles se sont dégradées.

Enfin revenant sur l’évolution du stress au travail par rapport à des perceptions antérieures de quelques années, 53% ont le sentiment que dans leur entourage les gens souffrent beaucoup plus du stress et 38% un peu plus.

Ces données sont causantes et, en conséquence, il serait étonnant que seuls les salariés de France Télécom recourent au suicide face aux préoccupations graves qu’ils partagent avec les autres salariés.

QUELLES SOLUTIONS ?

De même qu’il serait étonnant que ces salariés qui souffrent se contentent de revendiquer une travail décent et des améliorations de salaires sans pousser au-delà leurs revendications et leurs exigences de changement.

Ainsi récemment j’ai fait état d’une autre enquête TNS-SOFRES, que j’ai titrée « 72% » pour mettre en évidence le fait qu’ils étaient 72% parmi les salariés d’un échantillon représentatif à considérer le capitalisme comme négatif, en progression de 11% sur les résultats d’une enquête de fin 2005 ( 61% ), pourcentage que je mettais en relation avec la majorité des NON au référendum sur le traité constitutionnel européen, décision souveraine du peuple français, et qui demeure comme telle puisqu’elle n’a pas été remise en cause par le peuple lui-même.

De même d’ailleurs que le peuple français et les autres peuples européens ont confirmé puissamment leur refus de l’Etat européen en s’abstenant, en boycottant massivement, les élections au Parlement européen du 7 juin dernier.

UN FORT DECALAGE DES FORCES POLITIQUES

Ainsi il apparaît que les forces politiques et syndicales accentuent un décalage déjà profond entre les propositions de leurs programmes et les aspirations vives du peuple français qui le conduisent à se prononcer, de façon renouvelée dans le temps et dans les modes d’expression, pour des changements qui concernent le caractère, le système, la société, dans lesquels ils vivent et ne se retrouvent pas.

Sans doute découvriront-ils de nouveau, à l’occasion des prochaines élections régionales, les moyens d’exprimer leurs mécontentements vis-à-vis de ceux qui continuent d’être sourds à leurs attentes réitérées.

LES GRANDS CONCEPTS DE MARX

Et sans doute convient-il de trouver, de retrouver, de mettre à jour, les grandes orientations marxistes ou marxiennes permettant d’avancer vers le changement de société. Même si, bien évidemment, le capitalisme a changé de forme depuis Marx, il convient en même temps de prendre conscience de ce que les outils conceptuels qu’il a mis à notre disposition demeurent utiles, sinon indispensables, pour procéder à l’analyse de ses évolutions, bref que ses principaux concepts demeurent opératoires pour analyser les situations concrètes en perpétuel mouvement.

Et sans doute encore convient-il de considérer que c’est précisément parce que ces principales conceptions n’ont pas été mises en oeuvre dans les pays considérés que ce n’est pas le communisme selon Marx qui a pu échouer, même si toutes les situations concrètes ne se prêtaient pas à leur expérimentation.

Cela n’apparaît plus être le cas de nos jours où nombre de pays capitalistes développés, dont la France, ont acquis les forces productives et les moyens de production susceptibles de satisfaire en abondance, et sans gaspillage productiviste, les besoins et aspirations des salariés de nos pays avec d’ailleurs de larges coopérations internationales dont on ne voit pas pourquoi, ou pour quelles raisons, elles seraient réduites et contenues, retenues dans les seuls pays européens, a contrario d’ailleurs des expériences et développements de notre histoire qui nous ont conduits très tôt, avec les initiateurs, à parcourir mers et océans devenus moyens de communication privilégiés entre les peuples du monde dès que les caravelles se sont substituées aux caravanes.

C’est en conséquence d’abord avec Marx qu’il convient de faire ressurgir ses principaux concepts opératoires à différentes étapes historiques pour animer et conforter théoriquement les luttes , voire pour faire renaître certains d’entre-eux qui n’ont point été considérés ou trop tôt abandonnés.

LE CONCEPT D’ABOLITION DU TRAVAIL SALARIE EST AUSSI FECOND QUE D’AUTRES

Ici nous avons souvent renoué avec le concept de dépérissement de l’Etat dans ses rapports avec celui d’appropriation sociale, commune ou collective, des principaux moyens de production en tant que concepts décisifs pour penser le changement de société mais sans doute celui d’abolition du travail salarié est-il tout aussi fécond, sinon fondamental, que les précédents pour ce faire.

Le recours aux citations de Marx est nécessaire pour rappeler l’importance qu’il accordait à cette notion d’abolition alors que toute son élaboration théorique et politique et bâtie autour d’elle.

Il ne peut en conséquence s’agir ici que d’exprimer l’essentiel, sinon l’essence, d’une immense démonstration à laquelle s’est livré l’auteur du Capital.
« Essentielle », Marx le dit lui-même :

« La condition essentielle de l’existence et de la domination de la classe bourgeoise est l’accumulation de la richesse entre les mains des particuliers, la formation et l’accroissement du capital ; la condition d’existence du capital, c’est le salariat. Le salariat repose exclusivement sue la concurrence des ouvriers entre-eux. ( Le Manifeste )

Et encore :

« Ou bien veut-on parler de la propriété bourgeoise moderne ?

« Mais est-ce que le travail salarié, le travail du prolétaire crée pour lui de la propriété ?

« Absolument pas. Il crée le capital, c’est-à-dire la propriété qui exploite le travail salarié, et qui ne peut s’accroître qu’à la condition de produire davantage de travail salarié pour l’exploiter de nouveau. »

DEUX TERMES ANTAGONIQUES : LE CAPITAL ET LE TRAVAIL

Et Marx poursuit :

« Dans sa forme actuelle, la propriété oscille entre ces deux termes antinomiques : le Capital et le Travail. »

La conséquence ?

« Le prix moyen du travail salarié, c’est le minimum du salaire, c’est-à-dire la somme des moyens de subsistance nécessaires pour maintenir en vie l’ouvrier en tant qu’ouvrier ;

« Par conséquent, ce que l’ouvrier s’approprie par son labeur est tout juste suffisant pour reproduire simplement sa vie...Ce que nous voulons, c’est supprimer le caractère de détresse de ce mode d’appropriation où l’ouvrier ne vit que pour accroître le capital et ne vit qu’autant que l’exigent les intérêts de la classe dominante... »

Et Marx interpelle les bourgeois !

« Vous nous reprochez donc de vouloir abolir une forme de propriété qui ne peut exister qu’à la condition que l’immense majorité soit nécessairement frustrée de toute propriété...

« Le communisme n’enlève à personne le pouvoir de s’approprier des produits sociaux ; il n’ôte que le pouvoir d’asservir à l’aide de cette appropriation du travail d’autrui.

« On a objecté qu’avec l’abolition de la propriété privée toute activité cesserait, qu’une paresse générale sévirait.

« Si cela était, il y a beau temps que la société bourgeoise aurait succombé à la fainéantise puisque dans cette société, ceux qui travaillent ne gagnent pas et ceux qui gagnent ne travaillent pas.

« Toute l’objection se réduit à cette tautologie qu’il n’y a plus de travail salarié lorsqu’il n’y a plus de capital... »

Je répète après Marx : « Il n’y a plus de travail salarié lorsqu’il n’y a plus de capital. »

C’est pourquoi, dit-il, « la première étape de la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie. »

AVEC SA CRISE LE CAPITAL EXPOSE SA NATURE PROFONDE

Bien évidemment, il en est aussi parmi les salariés, même s’ils sont toujours plus nombreux à considérer le capitalisme comme négatif comme nous l’avons montré ci-avant, qui pensent pouvoir faire l’économie de l’abolition de la propriété capitaliste, qui considèrent que le capital peut s’amender, s’améliorer, se moraliser à l’instar du président de la république .

Et il est vrai qu’à certaines époques fastes pour lui le Capital, a pu concéder aux salariés des avantages qui amélioraient leur situation matérielle au point de développer quelques illusions.

Avec l’approfondissement de sa crise, le Capital met en évidence sa nature profonde et affiche tout clair son renoncement à « acheter la paix sociale. », le temps n’est plus d’une répartition plus équitable des richesses et des profits.

C’était déjà la constatation et la démonstration que faisait Marx en son temps.

LE MOT D’ORDRE REVOLUTIONNAIRE : ABOLITION DU SALARIAT

« En même temps, dit Marx, et tout à fait en-dehors de l’asservissement qu’implique le régime du salariat, les ouvriers ne doivent pas s’exagérer le résultat final de cette lutte quotidienne.

« Ils ne doivent pas oublier qu’ils luttent contre les effets et non contre les causes de ses effets, qu’ils ne peuvent que retenir le mouvement descendant, mais non en changer la direction, qu’ils n’appliquent que des palliatifs, mais guérir le mal.

« Ils ne doivent donc pas se laisser absorber exclusivement par les escarmouches inévitables que font naître sans cesse les empiètements ininterrompus du capital ou les variations du marché.

« Il faut qu’ils comprennent que le régime actuel, avec toutes les misères dont il les accable, engendre en même temps les conditions matérielles et les formes sociales nécessaires pour la transformation économique de la société.

« Au lieu du mot d’ordre conservateur : « Un salaire équitable pour une journée de travail équitable », ils doivent inscrire sur leur drapeau le mot d’ordre révolutionnaire : « Abolition du salariat ». ( Karl Marx, Salaire, prix et profit, 1865 )

Et si ce devenait aussi le mot d’ordre que les assemblées générales mettent aujourd’hui à l’ordre du jour !



Documents joints

Salariat et sortie de crise

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