Retraites en Grande Bretagne, virage à gauche aux Pays Bas, flexicurité à Bruxelles

vendredi 7 avril 2006
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GRANDE-BRETAGNE : LA "BOMBE A RETARDEMENT" DES RETRAITES

Ségolène Royal n’a pas hésité récemment à se référer au " modèle" économique et social mis en place par Tony Blair en Grande-Bretagne. Le faible taux de chômage officiel ( 5% selon les normes du BIT ) masque l’exclusion de larges couches de salariés, l’importance de la pauvreté, la nécessité pour de nombreux salariés de cumuler deux emplois pour s’en sortir. Une récente étude réalisée par "Liverpool Victoria", une société d’assurances, montre que 25% des salariés cumulent ou ont cumulé deux emplois pour pouvoir payer leurs dettes ou leurs factures. Pour ces salariés, ce cumul a duré plus d’un an, pour certains plus de cinq ans.

Commentaire d’un responsable de cette étude :" Il est inquiétant que tant de Britanniques aient à faire des heures supplémentaires dans un second travail mais ne réussissent pas pour autant à mettre de l’argent de côté pour leur avenir". Le cumul des emplois va de pair avec une augmentation de la durée du travail qui dépasse 45 heures par semaine pour plus de 20% des salariés. Cette situation ne risque pas de s’améliorer dans les mois qui viennent puisque le gouvernement britannique veut continuer à bénéficier de dérogations au plafond hebdomadaire de 48 heures prévu par la directive communautaire sur l’aménagement du temps de travail.

Contraints de travailler toujours plus, les plus pauvres subissent de plein fouet la libéralisation des services publics. C’est ainsi que, pour leur consommation électrique, ils disposent de clefs qu’ils rechargent quand ils ont de l’argent.

Pour les travailleurs britanniques, le dossier le plus inquiétant est celui des retraites qui est devenu une véritable "bombe à retardement". La faiblesse des cotisations sociales s’est accompagnée d’un système de retraites par capitalisation qui connaît une grave crise. A cause de la faillite de nombreux fonds de pension d’entreprises, comme aux Etats-Unis, l’épargne de dizaines de milliers de salariés est partie en fumée. S’ils n’ont pas encore fait faillite, les fonds de pension de nombreuses entreprises, et non des moindres, connaissent d’énormes déficits : plus de 4 milliards d’euros pour BAE Systems, près de 3 milliards pour British Airways...Ces firmes se tournent donc vers le budget de l’Etat pour enrayer leurs pertes colossales.

D’après un récent rapport parlementaire, neuf millions de Britanniques risquent la pauvreté à la fin de leur vie active. Pour essayer d’y remédier, le gouvernement se prépare à augmenter les cotisations sociales et prévoit de relever l’âge de la retraite de cinq ans (de 60 à 65 ans) comme l’avait préconisé le Conseil européen de Barcelone en mars 2002.

Les premiers à réagir ont été les salariés du public : le 28 mars (le jour même de la puissante manifestation contre le CPE en France), 1,5 millions de fonctionnaires ont fait grève. Transports, bibliothèques, administrations, écoles ont été touchés par cette puissante grève dont peu de médias se sont fait l’écho en France. Sans doute pour ne pas gêner leur propagande sur le soi-disant isolement de la France en Europe dans sa résistance au rouleau compresseur du libéralisme contre les droits sociaux.

Le "modèle" économique et social de Tony Blair, vanté par de nombreux responsables politiques sur le continent a vraiment du plomb dans l’aile !

VIRAGE A GAUCHE AUX PAYS-BAS

Le non du peuple néerlandais au projet de Constitution européenne (après le non français) était un signe annonciateur de futurs changements qui se sont pour une part concrétisés aux élections municipales du 7 mars.

Les partis de droite (démocrates-chrétiens et libéraux) ont été sévèrement sanctionnés. Comme aux élections régionales en France, les Néerlandais se sont servis du vote social-démocrate pour punir la droite. Le Parti travailliste (PvdA) passe de 15,8 à 23,4% des voix. Par ses orientations sociales-libérales, ce parti se rapproche du Parti travailliste britannique.

Fort de sa campagne contre la guerre en Irak et pour un non progressiste à la Constitution européenne, le Parti socialiste (dont deux députés européens siègent dans le groupe GUE/NGL avec les communistes d’autres pays d’Europe) connaît une nouvelle progression. Avec 340 conseillers (contre 170), il passe de 2,7 à 5,7% des voix avec plus de 10% dans certaines communes.

Par contre, le parti Verts (Groene Links), qui avait mené campagne pour le oui à la Constitution européenne, est resté stable. Le Nouveau Parti Communiste des Pays-Bas (NCPN), proche du PTB de Belgique, qui s’est présenté dans sept communes, a obtenu six sièges dans les conseils communaux.

Aux Pays-Bas, contrairement à la France, tous les étrangers (de l’UE et des pays tiers) peuvent voter aux élections locales à condition de justifier de cinq ans de résidence légale. Victimes d’une montée du racisme ces dernières années, qui s’est concrétisée par l’arrivée d’un parti d’extrême-droite (Leefbaar) à la direction de la ville de Rotterdam , les immigrés ont voté majoritairement à gauche.

UN NOUVEAU CONCEPT A BRUXELLES : LA "FLEXICURITE"

Suivant l’exemple du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, le commissaire belge Louis Michel a prononcé le 27 mars à Genève un vibrant plaidoyer en faveur du CPE... devant les instances du Bureau international du Travail (BIT). C’était sa façon de "défendre le modèle social européen dans la mondialisation" !

On comprend que la Commission se félicite du CPE, du CNE et de toutes les mesures qui visent à précariser et flexibiliser le travail puisque ces orientations constituent la base de la "Stratégie de Lisbonne", adoptée au Sommet européen de Lisbonne de mars 2000 dont "Le Monde" écrivait le 26 mars que ce Sommet entérinait "une vision libérale de l’avenir de l’Europe".

Fondée prioritairement sur l’amélioration de la compétitivité des entreprises, cette stratégie contribue à construire "l’Europe de la flexibilité et de la libéralisation". Après cinq ans d’application, quels sont les résultats : croissance faible, chômage élevé, pauvreté croissante. Par contre, les grandes sociétés ont connu une explosion de leurs profits. En France, la flexibilité accrue et les exonérations de charges pour les patrons se sont traduits par les mêmes résultats : maintien du chômage et progression des profits..

Au lieu d’en tirer les conséquences et de corriger le tir concernant la croissance et l’emploi, la Commission de Bruxelles a appelé à poursuivre dans la même voie en passant "à la vitesse supérieure". La Confédération européenne des syndicats (CES) n’a rien trouvé à redire et s’est contentée de demander "la reconnaissance du rôle central que jouent les partenaires sociaux dans la mise en Å“uvre de la stratégie de Lisbonne".

Les Etats membres ont été invités à poursuivre et accélérer les réformes du marché du travail et des politiques sociales ainsi que les libéralisations. Ces recommandations se traduisent par la réforme des retraites, la remise en cause de la protection sociale, la "modération salariale", la flexibilité et la mobilité du travail. "Le Monde" pouvait titrer le 22 mars :" La tendance à l’assouplissement du droit de licenciement domine en Europe".

Toujours au nom de la compétitivité, la Commission a décrété 2006 "année de la mobilité" pour encourager les salariés, qu’elle juge "trop casaniers", à changer de région et de pays, c’est-à-dire à se délocaliser volontairement. Elle a également demandé que "l’esprit d’entreprise" soit présent dans les programmes scolaires, de la primaire à l’université, pour développer "la culture de l’entreprenariat chez les jeunes".

Consciente que les réformes brutales du marché du travail et de la protection sociale se heurtent à de fortes oppositions des travailleurs dans de nombreux Etats membres, la Commission a inventé un nouveau concept pour envelopper de velours le bâton des réformes, le concept de "flexicurité" ou "flexsecurité" qui prétend concilier sécurité pour le salarié et flexibilité au profit de l’entreprise. Cette notion s’inspire du "modèle" danois qui combine absence de contraintes pour les entreprise qui licencient et sécurité pour le salarié, accompagné et fortement indemnisé en cas de chômage.

Comme l’a récemment reconnu Henning Jorgensen, directeur danois du département recherche de l’institut syndical européen : "Au Danemark, le niveau de protection de l’emploi est le plus faible de l’UE. Il n’est pas difficile d’engager puis de licencier les gens". Mais, au Danemark, cette mobilité élevée s’accompagne d’un niveau élevé des prestations sociales. La flexicurité a été officiellement soutenue par John Monks, secrétaire général de la CES, le même qui avait mené campagne pour le projet de Constitution européenne.

En réalité, la mise en Å“uvre du concept de flexicurité, qui a été adopté au Conseil européen de mars 2006, à la grande satisfaction du président des Socialistes européens, se traduit par une forte dose de flexibilité et un zeste de sécurité qui dépend uniquement du niveau de l’indemnisation chômage sans aucune sécurité d’emploi.

Comme en France, où une forte majorité de la population est fermement opposée au CNE et au CPE, les Européens rejettent la flexibilité du travail contrairement à ce que prétendent las principaux médias français qui voudraient faire croire que la France est isolée. D’après un sondage TNS-EuroRSCG, réalisé dans dix pays d’Europe début 2005, 61% des Européens répondent non à la question : "Dans le monde actuel, les entreprises devraient pouvoir embaucher et licencier avec très peu de contraintes". Les gouvernements des Etats membres comme la Commission européenne continuent de faire de belles déclarations vantant la démocratie et l’Europe sociale mais ils refusent toujours d’entendre la voix des citoyens et de répondre à leurs aspirations.

Attention à un autre coup de semonce après celui du 29 mai !



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mercredi 14 mars 2007 à 19h59 - par  Sparte

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