Or noir ou or vert ?

jeudi 20 mai 2010
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A quelques jours d’une nouvelle soirée ciné-débat du cercle Manouchian consacré à la lutte des paysans d’Equateur (voir Agenda et dans cette rubrique les articles consacrés à la vallée de l’Intag) cet article illustre à quel point ce qui ne fut d’abord que combat local est devenu national et interpellation mondiale.

Quel prix pour l’énergie et l’avenir de la planète ? Quel développement des activités humaines ? C’est la question que pose l’Équateur (tout comme Morales, Chavez ou Castro) au reste du monde.

Raison de plus pour venir en débattre le 4 juin.

Au nom de la préservation de l’environnement, le président de l’Equateur, Rafael Correa, est prêt à renoncer à l’exploitation d’un gisement d’or noir découvert dans une des dernières parcelles sauvages du parc national du Yasuni, situé en pleine jungle amazonienne. Un éden tropical qui pourrait offrir jusqu’à 850 millions de barils par an, soit 20 % des réserves en hydrocarbures du pays.

Mais, aussi, un poumon vert pour la planète : 100 000 hectares classés par l’UNESCO comme la plus grande réserve mondiale de la biosphère, car ils abritent 2 274 espèces d’arbres, 567 d’oiseaux, 80 de chauves-souris, 10 de primates, 105 d’amphibiens et plus de 100 000 espèces d’insectes à l’hectare ! C’est aussi le refuge de deux peuples indigènes, qui vivent en isolement volontaire – les Tagaeri et les Taromenane –, et de plusieurs milliers d’Indiens Huaorani.

Mais la conservation du parc Yasuni n’est pas gratuite : l’Equateur demande à la communauté internationale une contrepartie financière équivalente à la moitié de ce que l’exploitation pétrolière lui aurait rapporté. Une enveloppe estimée à près de 6 milliards d’euros, selon les experts. “Ce ne sont pas des aides ou des subventions que l’on demande aux pays riches”, précise Tarcisio Granizo, sous-secrétaire d’Etat au ministère du Patrimoine équatorien. “On fait appel à la responsabilité partagée. Les pays développés doivent leur expansion en partie à la destruction des ressources naturelles. Aujourd’hui, nous les invitons à participer à la préservation de la planète.”

Sans parler du fait que la non-exploitation du gisement de Yasuni permettrait d’éviter l’émission de 410 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Le principe défendu par le président Correa est simple : les pays riches sont invités à alimenter un compte bloqué à hauteur de 275 millions d’euros sur dix ans. L’Equateur utiliserait les intérêts produits par ce compte pour investir dans quatre domaines : les énergies renouvelables, la conservation des zones protégées, la reforestation et le développement social durable en Amazonie.

L’idée a déjà séduit l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne. La Suisse et la France sont intéressées par le projet. D’autres pays, comme la Turquie ou même l’Iran, feraient aussi un geste. “C’est le projet le plus novateur et le plus concret actuellement pour lutter contre le réchauffement climatique”, affirme Alberto Acosta, ex-ministre des Energies et des Mines.

Repère.

La première fois que Rafael Correa a présenté le projet Yasuni ITT (pour Isphingo-Tambococha-Tiputini, la zone amazonienne où se trouve le gigantesque gisement), c’était à la tribune de Nations unies, le 24 septembre 2007.

Il s’inspirait alors d’un projet défendu par des ONG qui luttent contre l’exploitation pétrolière sauvage en Equateur. Depuis, l’initiative Yasuni fait des vagues : le 13 janvier dernier, le chef de la diplomatie équatorienne a démissionné pour manifester son désaccord avec les propos du président ; celui-ci avait accusé les pays partenaires de bafouer la “dignité” de son pays en demandant au PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) d’administrer le projet environnemental.

Le 22 avril dernier, Rafael Correa défendait de nouveau le projet Yasuni dans le cadre de la Conférence mondiale sur les droits de la nature et sur le changement climatique, organisée à Cochabamba, en Bolivie.

Car si l’Equateur opte finalement pour le plan B – l’exploitation du gisement –, les conséquences financières pour la communauté internationale ne seront pas anodines. Rien que pour neutraliser les émissions de carbone émises par la combustion de ce pétrole lourd, il faudrait dépenser près de 7 milliards d’euros, selon le gouvernement de Quito. Sans parler des impacts en termes de perte de biodiversité, de déforestation, de pollution des eaux et de l’air ou encore de maladies.

Les dommages collatéraux du pétrole, l’Equateur ne les connaît que trop bien ! A quelques encablures du parc du Yasuni, sur l’autre rive du fleuve Napo, se trouve l’ancienne exploitation de la compagnie américaine Texaco, aujourd’hui reprise par l’entreprise nationale Petroecuador. Dans cette espèce de no man’s land survivent des communautés indigènes au milieu des pipelines rouillés et des cheminées qui crachent sans arrêt d’immenses flammes. “Cela fait quarante ans que les populations locales vivent sur des terres imbibées de pétrole. Et il n’y a pas eu le moindre bénéfice pour la région. En revanche, nous avons les plus hauts taux de cancer du pays, nous ne pouvons plus boire notre eau”, fulmine Luis Yanza, coordinateur d’un procès historique contre la compagnie pétrolière Chevron Texaco. Certes, la technologie pétrolière a évolué ces dernières années. Les pipelines sont de plus en plus enterrés et les procédés de combustion se sont améliorés. Mais pas une semaine ne s’écoule sans que les autorités de la région amazonienne ne reçoivent une plainte pour fuite de pétrole

Par Diane Cambon dans Le Temps le 17/05/2010

Transmis par Linsay



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