Que se passe-t-il à Potosi ?

mercredi 25 août 2010
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De ce conflit qui a paralysé toute une région pendant 19 jours les médias français ont surtout retenu le fait que des touristes français étaient bloqués. Tout au plus a-t-on pu apprendre qu’il était question de la revendication d’un aéroport et d’autres revendications confuses liées à l’exploitation minière.

Pour permettre d’y voir plus clair dans un conflit où se sont mêlées revendications économiques, rivalités régionales et oppositions politiques aux choix du gouvernement, Gérard a traduit pour Rouge Midi cette analyse synthétique de Franz Chavez parue sur le site latino-américain IPS au 16e jour du conflit.

Le problème autonomiste mobilise le conflit de Potosi

La dispute entre les départements boliviens de Potosi et Oruro pour une zone riche en pierre calcaire, matière première du ciment, a été le détonateur du plus grand conflit régional auquel est confronté le président Evo Morales lors de son second mandat qui a commencé en janvier.

Les habitants du département de Potosi, à 574 kilomètres au sud-est de La Paz, maintiennent bloquées depuis 16 jours les routes d’accès à cette région.

La protestation, qui inclut aussi des marches et des grèves de la faim, est dirigée par le Comité Civique Potosiniste, appuyé par 28 organisations syndicales, sociales et citoyennes.

Jusqu’à maintenant, six tentatives de rencontres entre ministres d’Etat et dirigeants de la région en conflit ont échoué, pendant que le manque d’aliments dans la ville de Potosi et les blocages, avec des dizaines de personnes assiégées, génère un état de désespérance dans la population.

La revendication, qui initialement était concentrée sur un vieux conflit limitrophe entre peuples anciens (ayllus [1] indigènes) qui date des années antérieures à la fondation de la République, en 1825, s’ajoute à d’autres pétitions régionales, comme la construction d’un aéroport international et la réhabilitation d’un complexe métallurgique.

A cela s’ajoute la demande de conservation de la structure conique de la colline argentifère de Potosi, principale pourvoyeuse de l’argent européen à l’époque coloniale, et aujourd’hui menacée d’écroulement par les dizaines de galeries qui traversent ses entrailles quasiment épuisées. [2]

Les citoyens et dirigeants de la région réclament aussi l’installation d’une usine de ciment dans la ville de Coroma, limitrophe avec le département d’Oruro, la zone qui est au centre du conflit.

Le gouvernement n’est pas parvenu à résoudre les revendications surgies de peuples appauvris dont le principal intérêt est d’améliorer leurs revenus par l’usage de leurs ressources naturelles, plus que d’augmenter les territoires sous leur domination, a indiqué à IPS l’expert en décentralisation, Mario Galindo.

Dans l’optique de l’analyste, la promulgation de la Loi “Marco de Autonomias y Descentralizacion” le 19 juillet, a ouvert les portes au retour de mouvements sociaux oubliés et aujourd’hui résolus à exiger leurs droits dans une ambiance de décentralisation que le gouvernement lui-même encourage mais ne parvient pas à résoudre.

Potosi possède l’indice de Développement Humain le plus bas des neuf départements du pays, selon un rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) de 2004.

Dans une échelle de zéro à un, où ce dernier est l’idéal, Potosi atteint 0,521. Le meilleur résultat est obtenu par le département oriental de Santa Cruz, avec 0,679, alors que la moyenne nationale était de 0,641.

“Nous ne sommes pas encore dans le processus d’ingouvernabilité comme celui que nous avons vécu dans l’année 2008, quand il y eut une série de conflits provoqués par des secteurs liés aux préfectures conservatrices de Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija”, a indiqué à IPS le directeur du Centre d’Approfondissement de la Démocratie (Ceprode), Hugo San Martin.

Mais si le gouvernement ne parvient pas à contrôler le processus qui commence à émerger du bas vers le haut et avec des acteurs qui appartiennent au parti gouvernant, “il peut y avoir des problèmes d’ingouvernabilité”, avertit-il.

Le président de gauche Evo Morales a exprimé ce jeudi qu’un courant politique impulsé par des secteurs de droite et néolibéraux conspire contre son gouvernement.

“Certains dirigeants convertissent les revendications dans une conspiration contre le processus de changement”, a assuré le président indigène.

Divers acteurs qui dirigent les manifestations et les grèves de la faim appartiennent ou furent des collaborateurs du Mouvement vers le Socialisme (MAS) au pouvoir, mais les revendications régionales ont fini par s’imposer et maintenant ils critiquent la lenteur de la réaction du président lui-même pour résoudre ce conflit.

“Le gouvernement doit observer qu’il n’a pas à faire à des conflits connus, mais d’une autre nature et avec d’autres caractéristiques, dans un scénario du nouvel Etat autonome”, a commenté San Martin.

Le ministre du Gouvernement et ex-activiste pour les droits humains Sacha Llorenti, en charge de la sécurité interne, a manifesté sa crainte que quelqu’un veuille sortir du conflit non à travers le dialogue mais au travers du “désastre”, avec des faits de violence.

Néanmoins, il a assuré que son mandat ne “tombera pas dans la provocation” et a écarté une intervention policière contre les points de blocage.

Une des conséquences du conflit est la paralysie d’une importante industrie minière.
L’entreprise San Cristobal, filiale de la japonaise Sumitomo, localisée dans la province Nor Lipez de Potosi, a suspendu ses opérations d’extraction et de traitement de minéraux, avec une perte quotidienne de deux millions de dollars, a informé le ministre du secteur, José Pimentel.

Des populations paysannes ont pris l’usine de production hydroélectrique de Yura, qui alimente San Cristobal, comme moyen de pression pour obtenir l’attention du gouvernement.

L’entreprise minière, la plus importante en Bolivie, avec des investissements estimés à 1.400 millions de dollars, a exporté en 2009 un total de 869 millions de dollars, et a payé des impôts pour 358 millions de dollars en 12 années d’activité.

Galindo a avancé que le conflit de Potosi peut être le premier d’une longue succession de disputes et a ajouté qu’il existe 700 réclamations pour des délimitations intermunicipales, 200 interprovinciales et plus de 80 interdépartementales.

Avant la promulgation de la Loi “Marco de Autonomias y Descentralizacion”, l’Etat central ne considérait pas ces revendications ou les cachaient, mais aujourd’hui le processus d’autonomie permet les réclamations qui surgissent par un désir d’améliorer les revenus des communautés et départements, et le présent conflit en est le meilleur exemple, selon Galindo.

L’analyste observe aussi une erreur dans la législation qui concède des pouvoirs de solution de conflits limitrophes à l’Assemblée Plurinationale législative, sous un principe centraliste et régi par le parti gouvernant, au lieu d’affecter ces attributions à des instances intermédiaires comme les assemblées départementales.

“En Bolivie (les gouvernants) ne veulent pas laisser le pouvoir, et par conséquent ils affectent la gouvernabilité”, a t-il affirmé.

Franz Chavez

Source : http://ipsnoticias.net/nota.asp?idnews=96163

Traduction Gérard Jugant


[1Un ayllu (mot d’origine quechua et aymara) est une communauté composée de plusieurs familles dont les membres considèrent qu’ils ont une origine commune (réelle ou fictive), qui travaille de façon collective dans un territoire de propriété commune. Cette forme d’organisation sociale était très répandue dans la région andine lors de la période précolombienne.

[2A ces revendications présentées en 6 points le gouvernement par la voix du vice-président Alvaro Garcia Linera avait répondu « Ce n’est pas un problème de fond mais de rythme. Il y a certaines revendications qui nécessitent du temps pour rechercher des financements et analyser les meilleures solutions ».L’accord de fin de conflit a confirmé cette position. NDR



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