En Inde, le blé pourrit à l’air libre pendant que des gens ont faim

jeudi 16 septembre 2010
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Si cela se passait en Chine, qui elle est venue à bout des famines, cette information aurait fait la une des médias qui n’auraient pas manqué de dénoncer l’absurdité du système économique et politique en vigueur...

Au pays des affamés, les céréales périssent de n’être pas bien conservées puis mangées. En Inde, le blé et le riz s’entassent sous des bâches et attendent là le moment où ils seront consommés, s’ils ne pourrissent pas avant. Ce qui arrive souvent. On estime avoir perdu 17,8 millions de tonnes de céréales, faute de hangars de stockage suffisants et adaptés. Dans le seul Pendjab, 1,2 million de tonnes de céréales a été ainsi gâché, alors que chaque soir des centaines de milliers de personnes vont se coucher le ventre vide en Inde.

17,8 millions de tonnes de blé et de riz, soit une perte de 270 milliards de roupies [1]. 17,8 millions de tonnes de céréales qui pourraient nourrir combien de personnes… Les chiffres ne « conviennent » pas au secrétaire d’Etat à l’agriculture KV Thomas : selon lui, « seuls » 11,7 millions de tonnes de céréales sont périmées.

« Le stock est trois fois supérieur à ce qu’il devrait être »

Trop occupée à augmenter sa productivité agricole, l’Inde n’a pas pensé à investir dans l’entreposage, condamnant 40% de la production stockée en plein air à finir à la poubelle, ou plutôt à pourrir à ciel ouvert. Etant données les défaillances du système de distribution, et l’incapacité à le distribuer, « le stock est trois fois supérieur à ce qu’il devrait être », constate la journaliste Rupashree Nanda, spécialiste des questions agro-alimentaire.

Les céréales ne devraient pas être laissées à l’air libre, et ne devraient surtout pas l’être plus de six mois. Les normes indiennes sont connues pour être élastiques, mais même les graines ne peuvent résister sous une bâche à plus d’une mousson, c’est-à-dire plus d’un an. Il y a plusieurs millions de tonnes de blé qui ont maintenant vu deux moussons, parfois trois, au Pendjab et en Haryana. Parmi elles, des milliers de tonnes sont devenues « sans solution ». En clair, cela signifie qu’on ne peut même pas les donner aux animaux.

Mille huit cents entrepôts pour tout le pays, pas toujours remplis, faute d’acheminement à destination. Plus d’un tiers des céréales en Inde gardées sous des bâches. New Delhi a reconnu que le pourrissement des céréales était « une honte », et a promis de prendre des mesures pour augmenter les capacités de stockage dans les trois prochaines années.

Le ministre de l’Agriculture Sharad Pawar a assuré :

« Le gouvernement va d’un côté investir et encourager le secteur privé et les gouvernements des autres Etats à investir dans les entrepôts. Nous sommes en discussion avec le ministre des Finances afin de donner le statut d’infrastructures aux hangars. »

« Distribuez-les gratuitement à ceux qui ont faim »

La Cour suprême a rappelé à l’ordre le gouvernement le 13 août, lui rappelant ses engagements sur la sécurité alimentaire :

« Les céréales sont en train de pourrir. Vous pouvez prendre soin de votre propre peuple. Prenez des mesures d’urgence et distribuez-les gratuitement à ceux qui ont faim ».

La Cour a également suggéré d’augmenter la quantité de nourriture distribuée aux personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, et d’ouvrir tous les jours du mois les « fair price shops » (magasins gouvernementaux où se procurer la nourriture à très bas prix).

Le ministre de l’Agriculture répond :

« L’ordre de la Cour suprême ne peut être respecté, nous ne pouvons le distribuer gratuitement, nous achetons le blé à 16 roupies le kilo et le revendons à 2 roupies. »

Trop cher de nourrir les pauvres. Argument d’autant moins recevable que la Cour parlait du blé pourrissant et non pas du blé « bien portant » auquel se réfère le ministre.

Et construire des hangars ? Trop cher encore : environ 80 milliards de roupies [environ 1,3 milliard d’euros, ndlr]. Alors que faire de ces céréales ? « Vendez-les » écrivait dans son éditorial de l’Hindustan Times le même jour Salmar Halarnkar, proposant d’exporter les céréales pour gagner un peu d’argent, puisque l’argument financier prime sur l’humanitaire.

Les prix du blé augmentent

Si le blé continue à moisir, les prix risquent d’augmenter. L’Inde a banni les exportations de riz non-basmati et de blé depuis 2007, pour des raisons « humanitaires », de peur qu’elles ne fassent grimper les prix de la nourriture. Mais les prix continuent d’augmenter de toute façon, et les gens continuent d’avoir faim. Rupashree Nanda rappelle :

« Même si chaque Indien pouvait se payer deux repas par jour, il n’y aurait pas assez à manger, et il faudrait encore importer des céréales ».

L’Inde condamnée à la faim à perpétuité ?

Par Esther Oyarzun dans Aujourd’hui l’Inde le 26/08/2010

Transmis par Linsay


[1environ 4,5 milliards d’euros, ndlr



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