Dans l’enfer des enfants handicapés mentaux

mardi 2 novembre 2010
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Près de 230 enfants handicapés mentaux sont morts dans les institutions spécialisées qui les accueillaient, révèle une étude du Comité Helsinki bulgare. Selon cette ONG, la plupart d’entre eux ont succombé à la suite d’actes de malveillance, voire de violence. Le quotidien Dnevnik a ouvert ses colonnes à l’auteur de l’enquête.

Dans un centre pour enfants handicapés mentaux à Mezdra, en 2007
Le 20 septembre, le Comité Helsinki [1] bulgare a rendu publics les résultats d’une enquête effectuée dans tous les établissements spécialisés pour enfants handicapés mentaux du pays. Il s’agit à ce jour de la plus importante étude sur ces institutions faite en Bulgarie. Et les faits rapportés sont monstrueux : ces asiles sont un enfer. On y a constaté un taux de mortalité extraordinairement élevé parmi les enfants : 238 morts ces dix dernières années (53 les trois dernières), sachant que la population de ces « maisons pour enfants handicapés mentaux » est estimée à un millier de personnes. Aucune enquête sérieuse n’a été effectuée sur ces morts, dont une grande partie aurait pu être évitée.

Plus important encore, la thèse selon laquelle ces enfants sont morts à cause de leurs pathologies – une explication que les autorités serinent depuis des années – se trouve définitivement infirmée. La grande majorité de ces enfants ont été assassinés. Des meurtres attestés par de nombreux documents et preuves formelles. Trente et un enfants sont morts de faim, victimes d’une malnutrition systématique. Soit la nourriture n’était pas bonne ou en quantité insuffisante, soit elle n’était pas proposée de manière à ce que ces enfants puissent l’ingurgiter. Soit encore ils étaient incapables de se nourrir parce que trop abrutis par les tranquillisants qui leur sont administrés de manière massive.

La plupart de ces morts surviennent les mois d’hiver, lorsqu’il fait le plus froid. Cent quarante-neuf enfants sont morts dans les asiles et non à l’hôpital. Ce qui veut dire qu’ils n’ont pas été hospitalisés malgré leur état alarmant ; parfois, ils ont été sortis de l’hôpital juste avant leur mort. Onze d’entre eux ont été admis aux urgences, mais pour y mourir. En règle générale, on n’ouvre jamais une enquête sur ces cas. Et dans les actes de décès, on trouve souvent des explications fantaisistes et, d’un point de vue médical, absurdes : « retard mental », « paralysie cérébrale »... Pas d’autopsie ou, en tout cas, rien qui atteste qu’elle a été effectuée.

Cependant les coupables existent. Le Comité Helsinki bulgare a fait appel à de nombreux experts reconnus pour mener à bien cette enquête ; dès le début, le parquet de Sofia a été associé à cette étude. Aujourd’hui, nos rapports sont sur le bureau du procureur général et on attend de lui qu’il ordonne des investigations sur ces faits. Non pas uniquement sur le passé et ses morts, mais pour en éviter d’autres : aujourd’hui, 103 enfants et adolescents souffrent toujours de malnutrition, ils sont épuisés, fragiles et peuvent succomber au moindre virus.

Des coupables existent aussi pour les sept cas d’abus sexuels rapportés par notre étude ; idem pour les huit cas de violence physique. Pour tous ces cas, les institutions d’Etat chargées de la protection de l’enfance ont été averties. A ce jour, elles n’ont rien fait. A ce jour, aucun enfant victime d’abus et de violences n’a été secouru et les responsables de son calvaire jugés.

Des coupables existent aussi pour les 622 cas de maladies infectieuses graves et pour les décès qui en ont découlé. Dans la plupart de ces asiles, l’hygiène est déplorable et les contrôles inexistants ou inefficaces. Dans au moins huit de ces établissements, on pratique l’immobilisation physique : les enfants sont entravés (attachés à leur lit, chaise ou autre), parfois à l’aide d’une camisole. C’est illégal. Parfois, ils restent entravés pendant des mois, voire des années. C’est inhumain et criminel.

Quatre-vingt-dix enfants ont fait l’objet d’une « immobilisation chimique ». On leur a administré de puissants neuroleptiques pour mieux les contrôler. Il s’agit pourtant d’handicapés mentaux et non de personnes souffrant de troubles psychiques, et ce « traitement » était parfois délivré sans l’intervention d’un médecin spécialisé. Cent soixante-sept enfants ont ainsi pris des substances parfois dangereuses pour leur santé ; certains d’entre eux ont été « cachetonnés » pendant des périodes absurdement longues.

Plus généralement, les enfants manquent d’attention dans ces asiles. Ils y sont juste « stockés » sans que rien soit fait pour améliorer leur état mental ou donner un sens à leur existence. La plupart continuent de régresser en raison du traitement qui leur est infligé. Ces asiles manquent aussi cruellement de personnel spécialisé, parfois de médecins. Il existe au moins 86 cas documentés d’incidents graves qui auraient pu être facilement évités. Certains traumatismes physiques sont tout simplement ignorés, d’autres traités avec beaucoup de retard.

Pour tout cela, des coupables existent. Il faut les chercher parmi le personnel de ces asiles, les médecins, les maires des communes où ces établissements sont situés, les inspecteurs régionaux, les agences d’Etat de protection de l’enfance, les ministres... Tous ceux qui par leur action – ou inaction – ont affamé, maltraité, immobilisé de force, déshumanisé et tué ces enfants doivent aujourd’hui répondre devant la justice.

Par Yana Buhrer Tavanier dans Dnevnik le 23/09/2010

Transmis par Linsay


[1Le Comité Helsinki est une ONG qui veille au respect des droits de l’homme. Il existe des Comités Helsinki dans plusieurs pays européens.



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