Ici, ouvrière textile est le pire job du monde

dimanche 14 novembre 2010
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Si l’industrie textile en Inde est un petit paradis commercial pour les marques de mode occidentales, elle fait connaître un véritable enfer à ses ouvrières, raconté par Hexaconso.

Véritable paradis pour les marques de mode occidentales, l’Inde est en revanche beaucoup plus proche de l’enfer pour ses ouvriers, et surtout ses ouvrières du textile.

Tous les grands noms du textile occidental, ou presque, font fabriquer au moins une partie de leur textile en Inde, dans des usines aux pratiques souvent plus que douteuses. Ainsi, KPR est une entreprise indienne qui fournit notamment Carrefour, Pimkie, Les 3 Suisses, Décathlon, Kiabi (groupe Auchan), mais aussi Tesco, Walmart, Marks&Spencer, Gap, C&A et H&M… Elle emploie 10 000 personnes, principalement des filles et des femmes, réparties dans les cinq usines du groupe. Uniquement dédiée à l’export, cette entreprise double sa capacité tous les deux ou trois ans, preuve de l’engouement sans cesse grandissant des marques occidentales pour ces usines aux coûts de main d’œuvre quasiment imbattables (sauf peut-être par le Bangladesh, qui détient le triste record du salaire minimum le plus bas au monde).

Officiellement, tout va bien chez KPR. « Ici, les filles sont heureuses », proclame l’un des dirigeants de l’entreprise, qui a reçu avec faste (bouquets de fleurs et haie d’honneur) des journalistes de Libération venus enquêter dans la plus grosse de ses usines. Près de Coimbatore, une « ville textile » du sud de l’Inde, dans l’État du Tamil Nadu, ce sont 5 000 ouvriers, dont 90% de filles, qui travaillent dans ce qu’il convient d’appeler une « usine prison ».

KPR a en effet mis en pratique dans ses usines le système « Sumangali ». Littéralement, ce terme signifie femme mariée en hindi. Apparu il y a une dizaine d’années au Tamil Nadu, ce système consiste à fournir, pendant trois ans, des emplois d’ouvrières du textile à de jeunes filles (environ 14 ans) non mariées des zones rurales les plus pauvres. Au terme des trois ans, les filles reçoivent de 500 à 800 euros, pour payer leur dot (sans laquelle elles ne trouveraient pas à se marier).

Chez KPR, toutes les jeunes filles sont enfermées 24 heures sur 24 dans l’usine (ceinte de hauts murs), elles y dorment dans des « chambres », entassées à 12 dans 10 m² avec pour tout mobilier une paillasse à même le sol et un petit casier, et bien sûr des barreaux aux fenêtres. Les sorties se résument à huit jours tous les six mois pour retourner dans leur famille. Officiellement, leur salaire est de 2,90 euros par jour. Mais KPR trouve toujours le moyen de leur en prélever un peu pour la nourriture, les uniformes…

Bien qu’interdite, cette pratique du « Sumangali » n’en reste pas moins très répandue. Très sérieusement, le dirigeant de KPR rencontré par les journalistes la justifie ainsi : « les filles sont plus disciplinées que les garçons. Elles ne fument pas, démissionnent moins. Les hommes en veulent toujours plus, ils sont attirés par les salaires, et ils préfèrent sortir. Ils sont soumis à des influences politiques ». Et pour expliquer la masse salariale très faible chez KPR (environ 7%) par rapport à ses concurrents (plutôt 11 ou 12%), ce même dirigeant explique : « les filles ne restent que trois ans. Les salaires ne sont donc pas très élevés ». Encore mieux : « les jeunes filles affichent une productivité de 95%. C’est 20% de plus que dans une usine avec des gens de 45 ou 50 ans ».

Alors évidemment, avec de telles conceptions du respect des droits de l’homme, et de la femme surtout, il ne faut pas s’attendre à des miracles au niveau hygiène et sécurité. Les filles travaillent dans un vacarme assourdissant sans bouchon d’oreilles, sans masque pour éviter de respirer les particules de coton flottant dans l’atmosphère, sans formation pour apprendre à se servir des machines-outils qui vous découpent les doigts aussi vite que le tissu, etc, etc… Pour 5 000 personnes, vivant quasiment toutes à plein temps dans cette « usine-prison », il y a en tout et pour tout quatre lits à l’infirmerie, un médecin et deux infirmières.

Nombreuses sont les filles qui ne tiendront pas les trois ans, et qui ne recevront donc pas leur « dot ». Et qui en plus seront tombées malades (boules de coton dans les poumons, anémie, asthme, saignements chroniques…), ou resteront handicapées à vie (doigts coupés, graves déformations des doigts, des genoux…). Autant dire des filles impossible à marier, et vouées à rester des esclaves ou des parias toute leur vie.

Mais KPR n’a que faire de ces « désaffections », d’abord parce que cela lui permet d’économiser la « dot » promise, ensuite parce que l’entreprise ne manque pas de « candidates ». Payer 30 euros la fille embrigadée, KPR a mis sur pied un réseau de « brokers » qui sillonnent les villages de la région et recrutent ainsi parmi les plus pauvres leur lot de jeunes filles soumises et prêtes à tout pour essayer d’échapper à la misère.

Et les clients de KPR, dans tout ça ? Difficile pour eux de prétendre ignorer les conditions de travail de ces ouvrières. Ils visitent en effet l’usine une à deux fois par an, et même si les jeunes filles sont bien mignonnes dans leur uniforme à fleurs, ils ne peuvent ignorer les violations des droits humains et les conditions de travail déplorables. Mais, interrogées sur leurs « partenariats » avec cette entreprise, toutes les marques occidentales ou presque cherchent à se justifier.

Certaines se retranchent derrière leur « charte-maison » et les audits réalisés dans l’usine, qui, bien sûr, n’ont jamais relevé de « dysfonctionnements » (Décathlon et H&M par exemple). D’autres assurent avoir justement mis fin à leur relation avec KPR tout dernièrement, et ce qui a été vu dans l’usine, portant l’étiquette des marques concernées, était justement « la dernière commande » (argument de Carrefour) ! Vous avez aussi la version qui consiste à dire que ce qui a été vu n’était que des échantillons, et que l’entreprise n’a pas poursuivi ses relations avec cette société » (C&A).

Depuis la publication de cet article par Libération (18 septembre 2010), GAP aurait pris la décision de cesser toute relation commerciale avec KPR, tout comme Carrefour, ainsi que H&M, « s’il s’avère que la compagnie utilise le système Sumangali ».

Comme disait Maurice Allais (disparu ce samedi 09 octobre ) : « La mondialisation, on ne saurait trop le souligner, ne profite qu’aux multinationales. Elles en tirent d’énormes profits. » En voici donc une illustration.

Les chiffres : l’industrie textile en Inde représente 4% du PIB, 14% de sa production industrielle et 17% de ses revenus d’exportation. C’est le deuxième employeur du pays, après l’agriculture, avec 35 millions d’employés, dont beaucoup de femmes et de membres des castes les plus basses.

Par Hexaconso - Blogueur associé Marianne 2 Source : Libération le 12/10/2010

Transmis par Linsay



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dimanche 23 mars 2014 à 13h33

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