Le Guatemala et les peuples mayas : changer quelque chose pour que rien ne change

lundi 10 janvier 2011
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Actuellement, en plein XXIe siècle, la situation structurelle des peuples mayas qui habitent le Guatemala et le sud du Mexique (Le Yucatan et le Chiapas, où se trouve le mouvement révolutionnaire armé zapatiste, aujourd’hui très silencieux) ne présente pas de grands changements par rapport aux années et aux siècles antérieurs : la main d’oeuvre demeure surexploitée dans les grandes plantations.

« Naturellement paresseux et vicieux, mélancoliques, lâches, et en général des gens menteurs et fainéants. Ses mariages ne sont pas un sacrement mais un sacrilège. Ils sont idôlatres, libidineux et sodomites. Leur principal désir est de manger, de boire, d’adorer des idoles païennes et de commettre des obscénités bestiales. Que peut-on attendre de gens dont les crânes sont si épais et durs que les Espagnols doivent éviter dans le combat de les frapper à la tête pour que leurs épées ne se brisent pas ? », disait le capitaine Gonzalo Fernandez de Oviedo y Valdés, chroniqueur de la colonie espagnole du XVIe siècle dans son « Histoire générale et naturelle des Indiens », se référant à la population maya originaire du territoire qui aujourd’hui constitue le Guatemala, en Amérique centrale, berceau d’une des plus grandes civilisations de l’histoire.

Des siècles plus tard, en 1894, selon le Décret 243 en date du 27 mars du général José Maria Reyna Barrios, président de la République du Guatemala, territoire constitué alors en pays indépendant, et se référant aux planteurs de café de l’époque, il est décrété que « le patron(...) pourra retenir ou mettre en dépôt les avoirs en espèces, animaux ou objets que la loi permet de saisir et qui appartiennent à un ouvrier agricole qui aurait fuit ou qui aurait donné des indices de fuite sans être solvable vis-à-vis du patron. Les patrons (...) pourront poursuivre les travailleurs fraudeurs qui n’auront pas tenu leurs engagements et les autorités désignées dans cette loi sont strictement obligés d’expédier des ordres de capture et de faciliter les moyens qui sont à leur portée pour leur arrestation ».

Aujourd’hui, à l’issue de la première décennie du XXIe siècle, les choses n’ont pas tellement changé : la semaine passée [1] il y a eu un accident de la route, où un camion chargé (illégalement) d’environ 80 manoeuvres (hommes adultes, femmes, jeunes et enfants) étaient transportés à une plantation pour un travail de récolte du café-de même que dans le siècle passé- causa la mort de 20 personnes. Le fait, absolument abominable, fut très peu relaté dans la presse. Mais c’est bien une démonstration synthétique de ce qui s’est passé et continue de se passer avec les peuples mayas, qui sont des paysans sans terre, pauvres, exclus, et qui à la fin d’une guerre qui tenta de modifier cette matrice historique ne semble pas avoir changé grand-chose. Pour cela, il est important de ne pas laisser passer l’incident, au delà de la chronique policière proprement dite.

Dans l’Empire Romain, l’aristocratie dominante distinguait trois types d’instruments de travail : muets (charrues, pelles, houes), semi-parlants (animaux de charge, boeufs, chevaux) et parlants (esclaves). Plus de deux mille ans plus tard, au Guatemala les choses ne paraissent pas si éloignées de ce que pensaient les aristocrates romains de l’Imperium. Aujourd’hui, après une guerre qui, ayant tenté de changer la situation historique d’exploitation des grandes majorité rurales, des mayas pour l’essentiel, fit 200.000 morts et 46% de tous les disparus des guerres sales qui ensanglantèrent l’Amérique latine récemment, avec plus de 600 villages anéantis et une terreur installée dont les effets sont toujours visibles, le pays centre-américain ne paraît pas avoir changé substantiellement, en dépit d’une série d’accords de paix qui étaient supposés poser les bases d’une nation moderne et incluante. S’il y a eu des changements, en tout cas ils sont plus cosmétiques, superficiels (« politiquement corrects », pourrions-nous dire) que structurels en profondeur. L’Etat-plantation reste dominant.

Le Guatemala est le pays d’Amérique latine qui compte le plus fort pourcentage de population originaire ; si les données officielles sont équivoques (ce qui montre le racisme régnant) on l’estime entre 50% et les deux tiers. Les peuples mayas, héritiers d’un des grands projets de civilisation de l’antiquité, sont étrangers sur leur propre terre. Depuis l’arrivée des Espagnols ils sont la main d’oeuvre surexploitée des grandes propriétés (plantations). Leur travail, comme celui de toute la population indigène du continent américain, de même que celui de la population noire amenée d’Afrique, a contribué à l’accumulation originaire du capitalisme européen. Ils firent partie du grand saut en avant de l’économie industrielle en ascension, mais seulement du point de vue du sacrifice : les bénéfices-toujours dans le Nord-demeurent absents sous ces latitudes.

Actuellement, en plein XXIe siècle, la situation structurelle des peuples mayas qui habitent le Guatemala et le sud du Mexique (Le Yucatan et le Chiapas, où se trouve le mouvement révolutionnaire armé zapatiste, aujourd’hui très silencieux) ne présente pas de grands changements par rapport aux années et aux siècles antérieurs : la main d’oeuvre demeure surexploitée dans les grandes plantations. La référence à l’Empire romain n’est pas fantaisiste.

Pourquoi disons-nous cela ? Le Guatemala, à l’égal d’autres pays centro-américains, mais plus qu’aucun sans doute, s’est construit comme la « grande plantation » agro-exportatrice (indigo en son temps, ensuite coton, plus tard café et canne à sucre, aussi banane, aujourd’hui bio-combustibles-avec l’arrivée de la palme africaine fondamentalement) sur la base de l’implacable exploitation de la force de travail des peuples mayas, à savoir : paysans dépossédés de leurs terres historiques, marginalisés, brutalisés. Exploitation économique qui a construit une idéologie raciste monumentale, un virtuel nouvel apartheid (bien qu’au Guatemala on n’use pas précisément ce terme) qui donna comme résultat une culture d’exclusion où être « indien » est synonyme de « sauvage ». La main d’oeuvre des populations mayas (ouvriers ruraux saisonniers pour les tâches de récolte dans les grandes plantations-cafetières, sucrières-pour les hommes, ou personnel domestique pour les femmes) est toujours mal payée, rarement syndiquée, en général sans aucune protection sociale, et chaque fois qu’elle a voulu s’organiser elle a eu pour réponse la répression. Cette situation de fond, dans le cadre de la contre-révolution antiarbenziste [2] de 1954 appuyée par Washington, fut ce qui motiva le début de la guerre interne de ces dernières décennies, entre 1960 et 1996. A savoir : la situation historique d’exploitation économique des paysans d’origine maya, constitutive d’un racisme excluant en rien différent de celui qu’il y avait en Afrique du Sud, par exemple, fut ce qui domina le scénario politico-social durant des siècles, depuis la colonie déjà dès les premières années de l’arrivée des Espagnols (voir ci-dessus la citation de Fernandez de Oviedo au XVIe siècle), et qui se poursuivit dans la République indépendante à compter de 1821 (voir ci-dessus le décret présidentiel de la fin du XIXe siècle).

L’histoire du Guatemala est l’histoire de cette exploitation : l’Etat-plantation actuel, raciste, de la capitale, est l’expression des forces qui dominèrent la société à travers les siècles. La situation des peuples originaires, à l’intérieur de cette logique de surexploitation, rappelle l’idée qui circulait à Rome il y a des millénaires au sujet des esclaves : ils sont des instruments de travail (pour le cas : parlants) et rien de plus, alors même que l’Etat guatémaltèque a ratifié la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples indigènes de 2007, qui en son article 2 indique que « Les autochtones, peuples et individus, sont libres et égaux à tous les autres et ont le droit de ne faire l’objet, dans l’exercice de leurs droits, d’aucune forme de discrimination fondée, en particulier, sur leur origine ou leur identité autochtones ». Dans la pratique cela ne s’accomplit pas, ou s’accomplit de manière assez relative.

Cela dit : les années de guerre récemment vécues ne servirent pas à rien. Dans le pays, quoique de manière cosmétique, quelque chose a changé. Aujourd’hui la discrimination ethnique est classée comme délit, et avance-très lentement bien sûr-une conscience antiraciste impensable quelques décennies en arrière. De toute manière, dans la structure profonde de la société il reste beaucoup à changer. Pour preuve de cela, est ce qui s’est récemment passé, qui est le noyau du présent article : tout comme lors des décennies antérieures, des manoeuvres d’origine maya, paysans originaires de contrées reculées du pays où ne se parle quasiment pas la langue espagnole, sont amenés aux moissons de café de grandes propriétés situées sur la côte sud du pays. Mais ils sont amenés en camions, comme du bétail, et les conditions de travail sur ces lieux de travail continuent d’être déplorables. Cela se passa durant des années au XXe siècle, et tout indique qu’aujourd’hui, après la guerre et en accord avec le texte des Nations Unies comme celui indiqué ci-dessus, cela ne pourrait pas arriver. Mais c’est arrivé !

C’est arrivé tragiquement, bien que ce ne fut pas une grande nouvelle, ni dans le pays, et encore moins hors du pays. Vingt personnes viennent de mourir dans un accident qui aurait pu être évité. Mais le plus important est que cela démontre la dynamique réelle d’une société qui continue d’être fondée sur une structure impitoyable, de surexploitation économique et retranchée dans un racisme pathétique (« je serai pauvre mais pas indien », pourrait dire un pauvre urbain non indigène, par exemple).

Mais il y a quelque chose de plus pathétique encore. Introduisons le ainsi : gatopardisme [3] !, changer quelque chose pour que rien ne change. Que signifie cela ? Une fois terminées les décennies de la guerre interne avec un sanglant bilan où 83% des victimes furent mayas, la situation d’exclusion économico-politico-sociale de ces peuples ne s’est pas transformée pour l’essentiel. Il y eut, sans doute, une série d’améliorations qui leur donne une plus grande présence, une plus grande visibilité sur la scène nationale. Très peu encore (seulement 8 députés mayas sur 158 dans un pays à majorité indigène), mais cela était absolument inexistant et impensable il y a quelques décennies. Un Prix Nobel de la Paix d’origine maya, lauréate le jour du 500e anniversaire de l’arrivée des Espagnols sur le sol américain, le 12 octobre 1992, la maya-quiché Rigoberta Menchu, c’est tout un symbole, bien que cela ne changea pas les racines des choses. Et comme vont les choses, il semble qu’il n’y ait à la vue aucune transformation profonde. Les années d’après-guerre, avec une forte présence de la coopération internationale dans certaines tâches de reconstruction-infiniment loin d’être un nouveau plan Marshall, parce que ce qui vint ici fut de l’argent seulement-servit pour donner un nouveau lieu à la culture maya. Il faut toutefois pointer très précisément ce que cela signifia : un nouveau lieu à la culture (folklore pittoresque ?), parce que la situation de base, comme nous l’a montré pathétiquement l’accident récemment survenu, n’a pas changé. Bien qu’actuellement les mayas aient le droit de célébrer leurs cérémonies religieuses dans leurs propres idiomes, ils continuent d’être la main d’oeuvre bon marché, exclue et oubliée.

Aujourd’hui, appuyé par des agences de coopération internationales des grandes puissances du Nord, ces mêmes pays qui continuent de profiter de main d’oeuvre bon marché et désorganisée du Sud pour installer là ses nouvelles usines industrielles (le Guatemala est un exemple évident avec ses nombreuses usines de sous traitance-maquilas), qui continuent de profiter de ses ressources naturelles au détriment de la population native (les bio-combustibles sont une évidence : il faut un hectare de maïs-la principale source d’alimentation des mayas-pour élaborer un gallon d’éthanol), ces mêmes pays développés et opulents appuient les peuples traditionnels...mais curieusement pour reprendre ses racines ancestrales et revitaliser ses cosmovisions spirituelles ! C’est ainsi qu’aujourd’hui nous assistons à une renaissance des pratiques culturelles traditionnelles des peuples mayas, ayant développé toute une structure de nouveaux guides spirituels et intellectuels qui se consacrent au sujet. Mais ceux du camion, la forme dans laquelle travaillent encore les manoeuvres des plantations et ces 20 morts qui rappellent la division des instruments de travail des romains..., cela continue sans heurter. Cérémonies religieuses traditionnelles : oui. Penser modifier quelque chose de la structure historique des plantations, n’ont parlons pas !

Dans un bel article d’une représentante maya sur ce cliché, Maria del Carmen Culajay, nous trouvons une réflexion fine en rapport à ce processus d’ « étayement » de la spiritualité maya : « Faire des cérémonies religieuses (...) qu’est-ce que cela apporte, si les conditions de vie réelle ne se transforment pas ? Ce changement en herbe, ’politiquement correct’, semble un complot silencieux entre ces bureaucraties intellectuelles avec un nom maya (qui ne vivent pas dans les communautés, bien sûr, accoutumés aux hôtels cinq étoiles et à l’air conditionné) et les agences de coopération, qui sont celles qui ont constitué cet appareil au cours de ces dernières années ». Comme correctement elle le dit : au-delà du gatopardisme en jeu, changer quelque substantif est « non pas appeler à des cérémonies religieuses et demander la multiculturalité d’une société correcte politiquement » mais transformer cette situation d’inégalité historique.

Marcelo Colussi

Sur l’auteur : Argentin d’origine, il est psychologue, licencié en philosophie, écrivain et journaliste. Après avoir vécu à Caracas, il réside au Guatemala.

Source : www.aporrea.org/internacionales/a114003.html

Traduit de l’espagnol par Gérard


[1l’article a été publié le 14 décembre

[2en référence au président de gauche Arbenz, renversé par un coup d’Etat organisé par la CIA, Ndt

[3Allusion au roman Le Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, et à l’idée « qu’il faut tout changer pour que rien ne change »(Ndt)



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