Sœur de pensée et d’action

Une interview de Zora Berriche
jeudi 20 janvier 2011
popularité : 3%

Discrète et menue, cette petite femme d’une quarantaine d’année à la voix douce est loin de manquer de détermination. Nombre d’habitants du 14e arrondissement ont pu apprécier depuis 30 ans son caractère bien trempé quand il s’agit de défendre les droits de ses concitoyens et notamment leur droit à un logement décent.
Zora Berriche, salariée au théâtre du Merlan comme chargée des relations avec le public est mère d’un adolescent de 15 ans. Elle sera candidate de Rouges Vifs dans le canton de Saint-Barthélemy, à Marseille, suppléante de Charles Hoareau.
C’est la première fois que Zora s’engage dans une élection politique. Elle s’en explique :

Zora Berriche : C’est une élection qui me paraît accessible. A mes yeux, l’élection cantonale se rapproche plus d’un travail de terrain, d’un travail militant, que d’autres élections comme les législatives par exemple. Mais c’est une décision grave. Il ne m’a pas été facile de dire oui tout de suite. Charles me l’avait déjà proposé une fois dans le passé mais je ne me sentais pas prête. Aujourd’hui, ce n’est pas que je sois davantage préparée mais je pense qu’il ne faut pas reporter ce qui doit avoir lieu. A l’époque, je ne me sentais pas prête mais je crois que c’était surtout une question d’image que j’avais de moi et de toutes les personnes « issues de l’immigration » qui envisageaient de se lancer dans une campagne électorale. Je me disais : ils veulent des « Arabes de service ».

R.M. : Et tu ne veux pas être « l’Arabe de service »… ?

Zora Berriche : Ah ! Non, sûrement pas ! Ni pour la campagne électorale ni au travail ni ailleurs, dans quelque domaine que ce soit. « L’Arabe de service », c’est quelqu’un qu’on met en avant mais qui n’a aucun moyen réel d’intervenir. En fait, il n’est même pas soutenu, on se contente d’exploiter son image. Malheureusement j’avais l’impression que c’était comme ça qu’on nous percevait. Je faisais partie de ces nombreuses personnes qui hésitaient (et qui hésitent encore aujourd’hui). Je comprends leur hésitation mais aujourd’hui, pour moi, c’est différent. C’est différent parce que je vis au cœur de préoccupations qui me font dire qu’il ne faut pas remettre à demain ce qui peut contribuer aujourd’hui à améliorer la situation de pas mal de personnes. Si je peux jouer un rôle dans ce sens, je ne dois pas hésiter.

R.M. : Quand on se demande si on ne risque pas de servir d’alibi, est-ce que cela ne signifie pas qu’on ne se sent pas reconnu en tant que citoyen français comme les autres ?

Zora Berriche : Si, bien sûr !

R.M. : Et tu as décidé de te lancer quand même… Photo F<small class="fine"> </small>; Leblanc

Zora Berriche : Oui, parce que sur le canton où nous allons nous présenter, je pense que, tant Charles que moi-même et surtout Rouges Vifs, nous avons plus d’un avantage. Nous avons des atouts pour parvenir à nous faire entendre et surtout à faire entendre la voix de ceux qu’on n’entend jamais.

Rouges Vifs est connu dans ce canton depuis plus de 8 ans. Ce mouvement aurait pu davantage marquer la population et même gagner des élections s’il ne s’était pas retrouvé face à quelque chose que j’appelle le clientélisme et qui lui a vraiment fait barrage. Il est temps d’y mettre un terme maintenant, une fois pour toutes. Nous allons peut-être nous retrouver de nouveau en face de lui mais je pense que nous sommes mieux armés maintenant. Jusque là, on a manqué d’un certain courage sur ce territoire, sur ce canton. Et cette fois-ci, il va falloir l’avoir. Je sais que Rouges Vifs en a toujours eu et moi, en m’engageant dans cette campagne, j’ai décidé de faire preuve de ce courage-là et j’espère que beaucoup de gens nous suivront dans cette voie.

R.M. : Et comment fait-on pour combattre le clientélisme ?

Zora Berriche : On en revient à la question de l’image de soi, de la confiance en soi : il faut se convaincre qu’on n’a pas besoin de ces gens, qui nous font croire que rien ne peut changer sans eux. Il faut refuser leur soutien, refuser le soutien de ces élus, dont l’élection ne nous apporte finalement pas grand’ chose et quand je dis « nous », je veux dire la population, parce que je vis dans ce canton, je suis directement concernée par la plupart des problèmes que traversent ses habitants. A un moment donné, il faut dire à ces gens-là : nous n’avons pas besoin de vous ! Si nous avons quelque chose à dire, nous allons nous organiser pour le dire, si nous avons quelque chose à défendre, nous allons nous organiser pour le défendre. S’organiser, cela signifie création d’associations, peut-être de comités ou de collectifs, en tous cas cela peut se faire sans eux.

Les associations soutenues par le clientélisme, on sait ce que ça donne : on achète les gens, on les fait et on les défait, on les manipule. Alors, quand on monte une association, il faut avoir le courage de le faire sans leur argent (même si on sait que cet argent-là est en principe un droit) sinon, ils vous laissent entendre qu’il faut mériter cet argent et, pour le mériter, il faut se plier. Quand on connait la situation de plus en plus difficile que vivent dans leur chair les habitants de nos quartiers, je crois que ce courage, on devrait le trouver.


R.M. : Le clientélisme consiste justement à exploiter les difficultés dans lesquelles se débattent les gens, à leur faire des promesses qui seront plus ou moins tenues. Les habitants des quartiers, sachant la situation qu’ils vivent et que tu décris, arriveront-ils à résister et à trouver ce courage ?

Zora Berriche : En règle générale, nos concitoyens ne sont plus dupes depuis longtemps de ce genre de promesses. Le clientélisme dont je parlais, c’est celui qui est pratiqué auprès de représentants associatifs. C’est eux qui doivent particulièrement faire preuve de courage parce que c’est un cercle vicieux : quand un élu fait des promesses aux représentants associatifs, ce sont souvent ces derniers qui se retrouvent coincés à la fin parce qu’il en va de l’avenir de la structure associative, des salariés… Comment fonctionnent les associations ? La plupart ne fonctionnent qu’avec des contrats aidés. Quand on voit ce qu’il en est de ces contrats aidés… Finalement, tout cela ne fait qu’asphyxier le mouvement associatif. C’est donc au mouvement associatif lui-même, qui s’est développé de manière intense dans certains quartiers, de mettre fin à cette situation, de dire stop à cette forme d’assistanat et de refuser aussi ces contrats aidés qui n’assurent aucun avenir aux salariés comme ils en font aujourd’hui la dure expérience. Photo F<small class="fine"> </small>; Leblanc

R.M. : Les candidats de Rouges Vifs invitent donc à la population de se prendre par la main et de s’organiser pour aller de l’avant. Qu’est-ce que vous lui proposez concrètement ?

Zora Berriche : Les gens n’attendent pas de nous des recettes. Je suis persuadée qu’il suffit d’un temps de discussion et d’échange pour que, très vite, les idées et les propositions fusent. Nous, nous serons leur force de soutien et par soutien, j’entends ceux qui apportent l’information. Si s’organiser veut dire monter un collectif, un comité de parents, un comité de défense des locataires, il y a assez de personnes au sein de Rouges Vifs qui ont des connaissances dans ces domaines. Alors, il suffira juste d’apporter cet élément facilitateur et les choses se feront. C’est un travail de terrain, c’est un travail de présence régulière auprès des gens. Nous n’arrivons pas avec des propositions toutes ficelées. La politique, c’est surtout comme ça que je la vois.

R.M. : Vous avez prévu, au cours de la campagne, toute une série de réunions chez les habitants. C’est dans ce but ?

Zora Berriche : Evidemment, ce n’est pas pour aller chez les gens prêcher la bonne parole du politicien, qui a son discours tout prêt ! Quand on va chez eux, quand on a la prétention de faire des réunions chez l’habitant, on n’arrive pas en conquérant. Quand on est reçu chez quelqu’un, on attend pour parler qu’il vous adresse la parole, qu’il vous offre quelque chose à boire ou à manger. On n’arrive pas en conquérant pour manger le couscous ! Là, c’est pareil, il faut être dans un réel échange et se soutenir mutuellement. Nous n’avons pas de baguette magique et nous ne faisons pas de miracles : nous sommes dans le partage. Et le partage, ça passe par des échanges d’idées, de réflexions, d’actions. Parler de partage et de solidarité, c’est comme ça qu’il faut voir la politique, en reconnaissant l’autre comme son égal dans la pensée et dans l’action. Sinon je n’en vois pas l’intérêt et, en tous cas, moi je ne m’imagine pas me présenter comme quelqu’un qui apporte des solutions toutes faites.

R.M. : En admettant que la population s’organise, comme tu le dis, monte des collectifs, se batte, que peut le conseiller général pour la soutenir ?

Zora Berriche : Le conseiller général, tel que je le vois, doit faire entendre ce qui est désiré par la population, ce qui est décidé par elle aussi parce que, pour le moment, les décisions viennent plutôt d’en haut. Les gens d’en bas, on se contente de les consulter et ça s’arrête là. Or, ce que va décider la population, ce que souhaitent les gens, c’est justement ce que doit défendre un conseiller général. Nous en serons les porte-paroles et nous les défendrons au mieux pour qu’il y ait des répercussions dans leur quotidien.

R.M. : Ça ne va pas être facile ! Vous avez déjà annoncé qu’en aucun cas vous ne feriez partie de l’actuelle majorité départementale. Vous n’allez pas non plus vous allier à l’opposition. Alors ?

Zora Berriche : Ce serait plus simple d’être un conseiller général membre d’un groupe majoritaire et de laisser entendre que cela suffit pour améliorer le quotidien des habitants du canton mais ce n’est pas le cas. Bien sûr, être un conseiller général libre, qui vote selon ses convictions, indépendamment de toute alliance, ce ne sera pas facile mais c’est une manière de gagner des points pour l’avenir. Il faudra communiquer sur cette question, expliquer qu’au début, nous ne pèserons peut-être pas aussi lourd dans les votes que nous l’aurions souhaité mais qu’avoir cette dignité-là jusqu’au bout c’est aussi une manière de gagner du terrain et, petit à petit, de s’imposer. Photo F<small class="fine"> </small>; Leblanc

Le vrai soutien c’est la population qui peut nous l’apporter. Ce n’est pas le jeu des alliances qui nous facilitera la vie à nous, Rouges Vifs. Faire des alliances, c’est facile mais, pour le moment, on n’a pas vu ce que ça apportait de positif dans la vie des gens. S’il était prouvé que les alliances permettent d’améliorer la vie de la population, on ne se poserait même pas la question. Le vrai travail c’est d’être en contact avec les gens et de ne jamais l’oublier. La vision de Rouges Vifs, c’est de faire avec les gens. Si une fois élus, on ne les voit plus, on n’échange plus avec eux, on n’imagine plus rien avec eux, on n’organise plus une seule action avec eux, alors je ne vois pas l’intérêt d’être élu conseiller général. Si c’est pour s’éloigner d’eux, aller s’asseoir derrière un bureau et faire des alliances, ce n’est pas la peine !

Faire de la politique c’est être le porte-parole non seulement des revendications mais aussi de la dignité des gens. C’est un aspect de la politique qui s’est perdu, je crois. Les conseillers généraux ne doivent pas être simplement des images : faire de la publicité, ils ne sont pas là pour ça. Nous, en tous cas, nous ne sommes pas des images. Nous sommes exactement comme la population que nous devons représenter, jusqu’au bout, dans la dignité, pas seulement dans le discours. Peut-être que cette population mettra un peu de temps à le percevoir mais si, une fois élus, nous sommes vraiment à leurs côtés, si nous sommes leur frère et sœur de pensée et d’action, alors là, oui, on avancera. C’est une longue route sur laquelle nous nous engageons mais si nous sommes sincères, c’est comme cela qu’il faut travailler.

Propos recueillis par Danièle Jeammet
Photos : Fabien Leblanc



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur