Marseille et le fils caché de Jean Marie Le Pen

mardi 20 septembre 2011
par  Charles Hoareau
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Il fut un temps pas si éloigné où, à intervalles fréquents et calculés, le chef du Front National défrayait la chronique par des propos haineux et racistes qui soulevaient l’indignation générale succédant à la stupeur. Devant des calembours odieux ou des affirmations ignobles aussi bien que mensongères sur la relation supposée entre délinquance et immigration, sur les juifs ou sur les musulmans, les plus naïfs se demandaient à quoi étaient dus ces « dérapages »…qui n’en étaient pas.

Bientôt il devint clair qu’il ne s’agissait non d’écarts de langage, mais de propos bien pesés, de provocations calculées, pour mener par l’esclandre la bataille de la lepenisation des esprits et permettre la présence du chef fasciste au second tour de la présidentielle de 2002 [1], bien plus sûrement que la soi-disant multiplication des candidatures à gauche [2].

En bon élève de son père spirituel, c’est cette stratégie que Guéant reprend aujourd’hui.
Un jour les roms, le lendemain les comoriens, puis retour sur les musulmans, puis les roumains…A coups de propos tous plus insultants les uns que les autres où l’approximation sociologique, le mensonge, et la manipulation se disputent la vedette, c’est un combat incessant qu’il mène…non sans résultats puisqu’il réussit à déporter le débat politique du fond qu’il n’aurait jamais du quitter.

La gauche, enfin du moins ce qu’il en reste du point de vue idéologique, ne cesse de courir derrière ces provocations, drapée de la robe de la bienséance, de phrases creuses et de bons sentiments, toutes attitudes qui ne peuvent avoir d’impact dans la pensée collective et devant la réalité vécue par un peuple qu’elle ne connait pas et auquel elle est étrangère.

Le maigre rassemblement organisé le 15 septembre à Marseille suite à la dernière saillie du fils caché, montre une fois de plus qu’il ne suffit pas de crier au racisme et à la stigmatisation pour mobiliser et faire des arguments de poids face à une telle stratégie qui vise à prendre des électeurs à l’extrême droite en légitimant ses idées, jouant ainsi au jeu dangereux de l’original et de la photocopie qui, à chaque sortie, rend plus poreuse la frontière entre la droite et son extrême.

Pour lutter contre cette stratégie, il faudrait d’abord ne faire aucune concession sur ce terrain du « plus sécuritaire que moi tu meurs » et de ce point de vue il y avait vraiment quelque chose d’indécent à voir des dirigeants du PS marseillais prendre la parole le 15 septembre, quelques jours seulement après qu’une de leur candidate à la présidentielle soit venue ici même disputer à Guéant le discours sécuritaire.

Quand une « gauche maladroite », s’est laissée aller naguère à surfer sur la vague du rejet, quand une autre candidate PS à la présidentielle passée et à venir, en appelle, de même qu’un maire de gauche [3], à l’armée pour nos quartiers, quand des élus de gauche associent immigration et délinquance dans leur discours, la droite et son extrême peuvent s’engouffrer par la porte entrouverte et elles ne s’en privent pas.

La délinquance est une question de classe

Il faut redire avec force avec les mots de notre temps que si la délinquance existe, elle n’est ni une question de couleur ou d’origine des parents, la combattre n’est pas d’abord la question du nombre de policiers (même si cette question existe), elle est avant tout une question de classe.

Si la délinquance augmente c’est que le partage des richesses est de plus en plus inéquitable, que le nombre de personnes vivant en France sous le seuil de pauvreté ne cesse de grandir, que l’emploi, quand il est disponible, est le plus souvent dur, précaire et mal payé…donc pas du tout attractif et que l’ascenseur social tant vanté par celles et ceux « qui ont réussi » reste un leurre pour la majorité de la population des quartiers populaires.

Personne ne nait délinquant ni n’est condamné à le rester.

Les délinquants, en particulier les jeunes, sont le plus souvent français et ce n’est pas la couleur de la peau qui les distingue des autres. Quelle que soit l’origine de leurs parents, l’immense majorité d’entre eux a en commun d’être issue de la pauvreté et de vivre au milieu d’elle. Si on veut éradiquer la délinquance il faut éradiquer le chômage et les emplois sous payés. Avant même de parler des moyens de la répression ou du fonctionnement de la justice, il faut parler de la création d’emplois.

L’immigration un bouc émissaire pluri centenaire

Le capitalisme a réussi ces dernières années à ethniciser la misère, c’est-à-dire à réserver majoritairement les emplois sous payés, la précarité et le chômage à des femmes et des hommes, français ou non, majoritairement issus des anciennes colonies. Il a réussi à cantonner les noirs, arabes et gitans dans les emplois de gardien, de précaires du nettoyage, d’employé-e-s de la sous traitance sous toutes ses formes. La réussite de cette politique calculée de ségrégation est telle qu’aujourd’hui quartier populaire est devenu synonyme de quartier d’immigrés (ce qui est faux)…que l’on nomme pudiquement quartier « sensible » pour mieux faire passer la pilule de la discrimination, arme de division massive du monde du travail. C’est cette politique qui fait qu’aux yeux de la société, un Ahmed ou une Fatima ne sont jamais vraiment français même quand ils sont nés ici et n’ont jamais connu le pays de leurs ancêtres.

Mais si cette politique, pillage des pays pauvres et guerres impérialistes, aidant s’est accentuée, ce n’est pas d’aujourd’hui que le phénomène existe et que l’immigration est le bouc émissaire du pouvoir.

Dans Psychogéographie, recueil de photos et de citations sur Marseille les auteurs avaient mis en évidence des propos pluri centenaires allant dans ce sens là. Citons en quelques uns :

- La population est sursaturée d’éléments étrangers, ses possibilités d’absorption sont arrivées à l’extrême limite.(1923 rapport préfectoral sur les réfugiés arméniens)
- L’Italie, le Piémont surtout, secoue sur Marseille toutes ses saletés, mendiants, vagabonds, aventuriers, cordonniers, réfugiés politiques.(1834 procureur du roi)
- Il ne se commet pas un crime à Marseille sans qu’un Piémontais sorti de sa tanière des Grands-Carmes n’y ait trempé le petit doigt.(1899 Dumazet)

Guéant et consorts ne sont que les héritiers de cette pensée.

Marseille, une ville à mater et épurer

Il y a aussi un autre élément à prendre en compte, sans chauvinisme aucun. Marseille est à nouveau, comme à d’autres périodes de son histoire, la cible d’un pouvoir qui veut faire passer en force des projets que la cité rebelle est souvent en première ligne pour les refuser. Bien avant Guéant (dont les propos ne font que suivre dans la période récente des déclarations tout aussi inacceptables de Gaudin, Le Pen et Muselier [4] ) on trouve dès le 18e siècle, des traces de cette volonté de mater la populace marseillaise. C’est d’ailleurs cette volonté qui explique qu’ici, à l’entrée du port, les canons soient tournés non vers la mer pour défendre la ville d’un ennemi potentiel, mais vers la population.

Les canons des galères et des forts braqués contre la ville avec ordres aux commandants de tirer au premier signe : un moyen de contenir la chiourme qui avait menacé de se révolter et de se joindre à la canaille pour faire main basse aux riches et saccager la ville (1709 P Giraud).

Mater mais aussi épurer comme cela sera annoncé à plusieurs reprises au cours de l’histoire.

Je crois que Marseille est incurable à jamais, à moins d’une déportation massive de tous les habitants et d’une transfusion d’hommes du Nord.(1794 Fréron proconsul)
Si jamais je deviens la servante de la Nation française, je ne sais quel parti je prendrai pour cette ville de Marseille, mais certes je ne garderai pas ce ramassis de banqueroutiers juifs et arabes et cette masse de filles publiques concubines de ces barbares (1844 Flora Tristan).
Marseille est un repaire de bandits internationaux. Cette ville est le chancre de l’Europe. Et l’Europe ne peut vivre tant que Marseille ne sera pas épurée (1943 Karl Oberg officier SS).
Il faut nous débarrasser de la moitié des habitants de la ville. Le cœur de la ville mérite autre chose.(2003 Claude Valette adjoint au maire)

Avec déjà le discours sur la démission des parents…

Et d’où vient ensuite, que le soir tous ces petits Marseillais ne sont pas couchés ? D’où vient que l’on rencontre des gamins de 8 à 10 ans dans les galeries des cafés-concerts ou dans les bonnets d’évêques du Gymnase ? Pourquoi ne sont-ils pas à la maison à cette heure-là ? Autrefois on n’obtenait l’autorisation de sortir dans la soirée que lorsqu’on avait du poil au menton. (1888 Horace Bertin).

la mise en cause du cosmopolitisme de cette porte de l’Afrique…

Plus je vois cette ville de Marseille et plus elle me déplait. Cette ville n’est pas française. Il y a ici un ramassis de toutes les nations (1884 Flora Tristan)
Le Marseille populaire, ce n’est pas le Marseille maghrébin, ce n’est pas le Marseille comorien. Le centre a été envahi par la population étrangère (2001 Jean Claude Gaudin)

Et l’islamophobie mêlée à l’antisémitisme

Ajoutez à cela que tous ces sectaires de Mahomet - de Moise - apportent à Marseille leurs mœurs dépravées. Ici la bigamie règne en plein et publiquement (1884 Flora Tristan).
15000 musulmans ont déferlé dans les rues de Marseille (2010 JC Gaudin suite au match France Algérie)

Comme ses prédécesseurs Guéant et ses amis veulent faire payer à Marseille ville pauvre [5] le prix de ses rébellions, elle qui se trouve régulièrement avec sa région, dans le peloton de tête des luttes pour une autre répartition des richesses.

Face aux enfants de Le Pen, les politiques ne peuvent verser des larmes de crocodile, eux qui, sont si souvent absents du combat qu’il faudrait mener, escalier par escalier, au côté de celles et ceux qui souffrent le plus des ravages du capitalisme.

Et en ce qui concerne les comoriens, si on veut manifester notre solidarité, on pourrait par exemple commencer par prendre part au combat pour la réouverture de la ligne Marseille Moroni ce qu’à ce jour aucun élu politique n’a fait.


[1Evidemment, pour expliquer cette présence, il faudrait ajouter d’autres raisons comme la déception devant les choix du gouvernement Jospin, le sentiment d’abandon qui en a résulté dans un pays confronté à un capitalisme ravageur…

[2Cet argument que le PS va nous ressortir pour 2012, et nous l’avons déjà dénoncé ici, ne tient pas puisqu’il y avait au 1er tour de 2002 16 candidats, 8 classés à gauche et 8 classés à droite

[3Stéphane Gattignon maire de Sevran ex PC passé aujourd’hui chez les écolos

[4voir, dans l’article déjà cité, quelques phrases récentes de ces 3 hommes politiques

[5plus de 14% de chômeurs « officiels »(contre 9% nationalement) et un revenu moyen annuel par ménage inférieur de 1000€ à la moyenne nationale. (source : journal du Net)



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