Faire allégeance ?

mardi 27 septembre 2011
par  Charles Hoareau
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Ballon d’essai sans conséquence ou vision du futur ? L’UMP voulait (veut encore ?) exiger des personnes qui souhaitent acquérir la nationalité française qu’elles fassent « allégeance aux armes » de la France ou en d’autres termes qu’elles fassent le serment d’être prêtes à mourir pour la patrie au cas où celle-ci serait en danger…A y regarder de près cette proposition, vite reformulée, devant le tollé qu’elle a provoqué, en « engagement solennel », « engagement de loyauté » ou « engagement tout court » [1] n’est ni une nouveauté ni la dernière lubie à la mode à l’UMP.

Quand en 1996 Chirac a supprimé le service militaire il avait avancé des arguments qui en apparence ne pouvaient que satisfaire les partisans de la paix. Il déclarait en effet : « (...) Le service militaire a été créé en 1905, comme vous le savez, à une époque où il fallait des poitrines à opposer à d’autres poitrines -si j’ose dire - face à un danger extérieur (...) Cette époque est complètement révolue. Nous n’avons plus besoin d’appelés, de gens faisant leur service militaire ».

Cette décision mettait également fin à l’obtention de la nationalité française pour ceux qui, nés hors de France ou de parents étrangers avaient effectué leur service militaire dans notre pays. Elle soulageait des millions de jeunes qui avaient le sentiment de perdre une année de leur vie pour une institution guerrière, devenue ringarde dans un monde où la guerre semblait appartenir à une époque révolue.

Pour autant cette décision n’était pas guidée par un souci pacifiste, mais au contraire par un choix guerrier adapté au nouveau contexte mondial.

Le choix de Chirac et de la droite avec lui était de transformer le projet initial d’une armée du peuple, dont le rôle était censé être limité à la défense de la nation si celle-ci était attaquée, en une armée de métier appelée à intervenir aux 4 coins du globe, (les fameuses OPEX [2]) en fonction des intérêts des capitalistes français. Bien sûr disant cela, nous ne prétendons pas qu’avant 1996 l’armée était au service du peuple. Nous avons encore en tête les massacres de Sétif et Guelma en 1945, ceux de Madagascar en 1947, l’Indochine, la torture en Algérie…sans parler du rôle qui était promis à l’armée en 1968 si les évènements avaient mal tourné pour le pouvoir.

Nous savons bien que les appelés ont toujours été soumis à l’autorité des engagés.
Nous savons aussi qu’à des périodes cruciales c’est sur le peuple, avec ou sans son armée (et parfois contre elle !) qu’a reposé la défense des habitants de ce pays.

L’histoire nous apprend qu’à au moins deux reprises (en 1870 avec la Commune, en 1940 après « l’armistice de la honte » ) c’est le peuple qui a résisté aux envahisseurs quand l’armée et ses généraux avaient cessé le combat. L’UMP veut elle nous dire que le peuple de Paris aurait du faire allégeance à l’armée en déroute de Thiers et laisser les canons aux prussiens ? Que les résistants de 1940 auraient du faire allégeance à l’armée du maréchal Pétain ?

C’est aussi le peuple, enrôlé dans le contingent, qui a été déterminant pour refuser l’engrenage guerrier de la colonisation en Algérie.

Connaissant le rôle historique du peuple de France et sa capacité d’intervention, le pouvoir a toujours préféré une armée de métier à une armée du peuple ou armée de conscription, armée indocile par nature et bien moins formatable puisque faite de milliers de jeunes appelés venant des entreprises et des quartiers et n’ayant aucune envie de faire carrière dans « la grande muette » eux qui, pour ne prendre que la dernière période, de 1968 au CPE, ne sont justement pas restés muets.

Le grand virage de 1996 c’est justement la plongée assumée, par une droite qui revendiquait le droit à un outil au service de son impérialisme, vers cette armée de métier destinée à obéir sans faille aux choix guerriers faits sans consultation et au plus haut niveau de l’Etat, comme ce fut récemment le cas pour la Côte d’Ivoire ou la Libye.

Des appelés auraient-ils accepté d’aller combattre en Afrique ? Rien n’est moins sûr et l’exemple de leurs ainés qui refusèrent l’incorporation ou fraternisèrent avec les algériens en lutte pour l’indépendance aurait pu inspirer nombre des jeunes d’aujourd’hui.

Mais avec une armée de métier le risque est quasi nul et du coup on peut se demander à quoi sert cette proposition d’allégeance aux armes (la veille de la journée de la paix !) auprès de jeunes qui ne seront pas appelés à servir sous les drapeaux.

Il y a d’abord bien sûr la volonté de chasser sur les terres électorales du Front National et d’exalter un patriotisme dont le ciment et le symbole seraient la politique guerrière de la France.

Selon les hommes du pouvoir, un « vrai français » était pour l’union sacrée en 1914 et pour la guerre d’Algérie en 1958, aujourd’hui il doit approuver les guerres coloniales de notre temps. Évidemment dans cette optique les français qui ne sont pas « de souche » voire pire binationaux et ayant des liens avec un pays susceptible de devenir demain « l’ennemi de la nation », deviennent des suspects en puissance.

Vrai français synonyme de guerrier ?

C’est bien là que réside l’aspect le plus dangereux de cette proposition qui, si elle a suscité l’émotion, n’a pas entraîné toutes les protestations qu’elle aurait du faire naître. Dangereux pour les « non souchiens » mais aussi tous les autres, qu’ils soient français de naissance ou non, qui remettent en cause les boucheries impérialistes de notre temps. Au cas où on n’aurait pas bien compris, François Cornut Gentille [3] précise les choses : « La France n’est pas simplement un mode de consommation, c’est l’adhésion à un projet qui mérite d’être défendu ».

Au nom de l’adhésion au « projet » on va retirer la nationalité à toutes celles et ceux qui le remettent en cause ? Ou autrement dit, contre la guerre en Libye pas français ?

Le pillage des ressources de l’Afrique, par la guerre si nécessaire, ferait partie du « projet » ?

Et comme si cela ne suffisait pas Jean François Copé en rajoute quand il déclare « Sous Jospin(…) le budget du ministère de la Défense a été tailladé au bénéfice des budgets sociaux ». Bons français, répétez après lui : sus aux « assistés » de l’intérieur et aux « ennemis » de l’extérieur.

C’est une volonté de mise au pas d’un peuple qui s’exprime à travers cette proposition mûrement réfléchie.

-  Mise au pas nécessaire pour un système qui, arrivé à son « stade suprême », l’impérialisme, a besoin de la guerre pour imposer « les unions internationales capitalistes se partageant le monde et le partage territorial du globe par les grandes puissances capitalistes » [4].

-  Mise au pas rendue nécessaire aussi par le fait que malgré la propagande forcenée du pouvoir, il n’a pas réussi à rendre légitimes les guerres néo coloniales qu’il mène en Afrique et en Asie.

-  Mise au pas enfin pour dire en substance aux habitants de France : il y a une armée de métier, elle est aux ordres et obéit à nos choix. Le peuple doit lui obéir et la jeunesse être prête à se mobiliser sous sa bannière si nous le décidons. Celles et ceux qui refuseraient ne mériteraient plus la nationalité française.

C’est bien à une volonté de soumission générale à l’idée de la guerre que nous assistons. Pour ceux qui nous gouvernent, la guerre devient la ligne d’horizon et l’hypothèse de la « nécessaire » mobilisation au-delà du seul corps professionnel [5] est donc sous-jacente à cette vision de l’avenir du monde.

Il se vérifie une fois de plus que pour ce système qui vacille la guerre est tout à la fois sa réponse à la crise et la conséquence de celle-ci. Elle est d’ailleurs aussi une cause quand on voit les budgets que l’armement mobilise.

Ce que nous dénoncions dans notre édito de juillet se trouve chaque jour un peu plus vérifié.

C’est cette vision du monde qu’il nous est demandé « solennellement » de partager.

Raison de plus pour que nous refusions de faire allégeance au capitalisme et à ses guerres et que nous lui opposions un monde où les peuples construisant chacun à leur rythme et à leur manière leur socialisme du 21e siècle, portent encore plus haut et plus fort le drapeau de la paix.


[1Jean François Copé

[2En 1958 on disait pacification pour ne pas dire guerre d’Algérie, aujourd’hui on dit OPEX pour OPérations EXtérieures pour ne pas dire expéditions coloniales.

[3UMP, secrétaire national à la réforme des armées

[4L’impérialisme stade suprême du capitalisme, livre de Lénine écrit en 1916 d’une étonnante actualité. A lire ou à relire dans cette période. Le Temps des cerises 12€ disponible aussi à Rouge Vif 13

[5la question du manque de moyens en matériel mais aussi en hommes a été plusieurs fois évoquée dans le presse à propos des conflits en cours



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