17 Octobre 1961 : Ils étaient tellement beaux...

Point de vue d’une enfant d’indigènes…
vendredi 4 novembre 2011
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Il y a quinze jours, des manifestations d’une ampleur inégalée, commémoraient l’anniversaire du 17 octobre 1961. A l’occasion de cet évènement une « enfant d’indigène » écrivait ce texte...

Le 17 octobre les algériens de Paris plus beaux que jamais sont dans la rue rêvant d’égalité...

Le 5 octobre 1961 un couvre feu pour les français musulmans d’Algérie est instauré.
Ce couvre feu raciste institutionnalise la confusion « algérien »/criminel.
Le FLN décide d’organiser un boycott : une manifestation pacifique de masse est organisée. Les manifestants
ont la consigne de ne répondre à aucune provocation, à aucune violence, des cadres du FLN vont jusqu’à
fouiller les manifestants [1].

A l’institutionnalisation de l’arbitraire et du racisme, il faut répondre par la revendication d’une existence
politique.

Les Algériennes et Algériens répondent à l’appel. En famille, malgré des moyens faibles et des conditions
d’existences précaires dans les bidonvilles, ils se parent de leur plus beaux habits, beaucoup parlent d’une
journée de fête, certains la comparent à un mariage. C’est la liesse : costumes, cravates, robes, youyou, on tape
dans les mains...C’est un jour de joie. En paix, le peuple algérien de Paris descend dans la rue transpirant la
solidarité, la fraternité, porté par le souffle de la liberté et des voeux d’égalité. Qu’importe les générations, ce
jour là tous étaient jeunes et beaux : une nation nouvelle prenait son envol (quelques mois plus tard l’Algérie
sera libre, ils ne le savaient pas et certains ne le sauront jamais...)
Ce matin-là, la police sait que la manifestation se prépare. Des cars de police quadrillent la ville, les bouches
de métro sont cernées.

Ils ont gâchés cette beauté qu’ils n’ont pas su voir...

La ratonnade est lancée !
Une rafle à vue d’oeil. En effet, il n’y pas que les algériens qui subiront la répression. Ratonnade au facies
oblige, toute personne bronzée, aux cheveux frisés, sera inquiétée : tunisiens, marocains, portugais... Le délit
de faciès est initié !
On frappe, on tire, les corps sont jetés dans la Seine !!!

Pas de réponse à cette violence bestiale. La meute de loups est lâchée... _ L’algérien reste beau, il ne
revendique que sa liberté. Aucune violence en retour, pas de résistance...

Elie Kagan témoigne « cette manifestation pacifique fut brutalement chargée par la police. C’était dans l’indifférence la plus totale de la population française. Pour moi qui ai été le seul reporter à photographier ces événements l’homme que je suis a ressenti ces brutalités d’un côté et l’indifférence de l’autre comme un affront et m’a rappelé le 16 juillet 1942 [2] ».

Plus de 10.000 algériens seront interpellés. Ils sont internés au palais des sports, au parc des expositions, au
stade de Coubertin, au centre d’identification de Vincennes, pendant près de 4 jours…Quatre jours pendant
lesquels les violences continuèrent. À leur arrivée les manifestants sont systématiquement battus. Dans
l’enceinte des lieux d’internement, on assista à des exécutions sans appel et nombreux sont ceux qui meurent
de blessures non soignées.

Ce fut un massacre...

Un silence meurtrier, des responsabilités non avouées, un mépris haineux institutionnalisé... Encore une fois,
la guerre d’Algérie sonne le glas de l’honneur des politiques françaises.

Ils étaient beaux.
Ils étaient désarmés.
Ils étaient courageux.
Jusqu’au bout, ils auront cru à une possible fraternité.

La réponse de l’état français n’est rien de moins qu’une insulte à sa devise républicaine.

Pour reprendre les mots du philosophe Jacques Derrida : « Nous aurions contre l’oubli un premier devoir:pensons d’abord aux victimes, rendons leur la voix qu’elles ont perdue »

Et le 17 octobre 2011, on se souvient...
« Il y a de 1961 à maintenant une certaine continuité des pratiques de l’état. Les réseaux étatiques qui ont
permis qu’aucun crime commis ne reçoive de sanction sont toujours actifs. La réticence de l’état et de la
société civile à reconnaitre les crimes du 17 octobre 1961 témoigne plus profondément de ce que l’histoire
de la colonisation reste à faire. »
 [3]

Une telle situation est inacceptable, car elle ajoute à ce massacre l’outrage aux victimes et à leurs proches.

Pour que cesse cette injustice qui se soutient d’un silence complice et voulu, demandons que soit créé un
lieu du souvenir à la mémoire de ceux qui furent assassinés, et que la République reconnaisse enfin ce
véritable crime d’Etat.

Soraya Chekkat


[1Même un simple canif était confisqué NDLR

[21a rafle du Vel d hiv du 16 juillet 42, Elie Kagan né en 1929 de parents juifs d’Europe orientale devait en avoir une idée
précise ; il a échappé à la déportation en vivant caché dans Paris occupé.

[3Jérôme Vidal.



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