Fralib, 500 jours de lutte !

De l’usine à l’assemblée nationale
jeudi 9 février 2012
par  Charles Hoareau
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Depuis l’annonce de la fermeture en septembre 2010, cela fait 500 jours aujourd’hui jeudi 9 février 2012 que la lutte des Fralib a commencé. On devrait plutôt dire recommencé tant les luttes nombreuses, longues et dures, ont marqué l’histoire de cette usine. Une occasion de revenir sur ce conflit et en particulier sur l’initiative peu banale et très enrichissante du 2 février dernier, dont ce conflit hors norme a été le théâtre.

Le 17 novembre la cour d’appel d’Aix cassait le PSE (plan de « sauvegarde » de l’emploi) d’UNILEVER par un arrêt qui a fait retentir chez les salariés une déferlante de joie qui continue à les porter. Au-delà de la décision qui oblige l’employeur à réintégrer les salariés et tout reprendre à zéro, cet arrêt, par les raisons qu’ont donné les juges, porte bien au-delà de l’usine de Gémenos.
En effet, normalement selon la loi, les magistrats ne doivent donner leur avis que sur le plan social et les conditions de sa mise en œuvre. C’est ce qu’ils avaient fait la première fois en cassant le 1er plan parce toutes les informations n’avaient pas été données aux salariés.
Là, les juges sont allés plus loin. Malgré les limites de la loi, ils ont aussi donné leur avis sur la stratégie économique d’UNILEVER et ont condamné «  la froide logique économique du groupe » dans un plan qui « privilégie purement l’aspect économique et financier » . [1]

C’est tirant les leçons de cet arrêt et de ses motivations que les Fralib et la fédération CGT de l’agroalimentaire ont décidé de pousser l’avantage sur ce point précis pour faire avancer le droit du travail et donc les droits des travailleurs à Fralib et ailleurs.

Le 2 février était convoqué un colloque à l’assemblée nationale sous la houlette de André Chassaigne député PCF et co-président du comité de soutien aux Fralib. Initiative très enrichissante pour celles et ceux qui ont eu la chance d’y participer.

Une fois les formalités d’usage et passage sous le portique de sécurité accomplis, soixante et dix travailleurs plus habitués aux habillages métalliques des ateliers qu’aux ors de la république, suivent le dédalle de couloirs richement carrelés et aux murs boisés de lambris précieux, qui mène à la salle du colloque.

5 intervenants sont prévus : André Chassaigne, Jocelyne Hacquemand secrétaire fédérale de la fédération CGT de l’agro alimentaire, Amine Ghenim avocat des Fralib, Jean Louis Polly, expert du cabinet PROGEXA auquel a fait appel le CE et Olivier Leberquier, délégué de Fralib qu’on ne présente plus aux lecteurs de Rouge Midi.

Le premier à prendre la parole est André Chassaigne qui souligne dans son mot d’accueil, le rassemblement que les Fralib ont su créer autour d’eux, l’intelligence de leur combat, leur détermination et leur pugnacité, leur claire conscience des enjeux de ce conflit, au-delà de l’usine même. Toutes appréciations partagées par les participants à cette rencontre.

Jocelyne lui succède. « L’analyse de l’arrêt du 17 novembre avive les débats syndicaux ». Elle ajoute que « si la cour d’appel reconnait qu’elle est limitée par la loi et ne peut juger les arguments économiques, elle semble le regretter quand elle dénonce la froide logique économique du groupe ». Elle dénonce cette logique inhumaine qui, pour faire croitre les dividendes des actionnaires, n’hésite pas à jeter 182 familles à la rue. Et d’observer que le juge n’a pas retenu l’argument de la direction sur la perte des parts de marché mais au contraire a parlé dans son arrêt de « déclin organisé » puisque 2007 une partie de la production a été transférée en Belgique et en Pologne. En creux l’arrêt dit que les salariés sont sacrifiés à la logique économique. L’argument de la surcapacité avancé par la direction est faux puisque 12 nouvelles machines ont été achetées en 2010 pour la Pologne, 10 autres sont aujourd’hui en commande.

Face à ce type de comportement Jocelyne explique que la loi peut et doit changer. Si celle de modernisation sociale de 2001 était encore en vigueur dans sa version initiale les salariés de Fralib pourraient aujourd’hui opposer un droit de véto au plan de la direction. C’était trop pour les capitalistes qui obtenaient très rapidement qu’à la sauvegarde de l’activité, le législateur substitue par la suite la sauvegarde de la compétitivité. Une compétitivité qui revient à mettre les salariés en concurrence entre eux et donc aboutir au moins disant social. Dès janvier 2002, sous le gouvernement Jospin, la nouvelle définition du licenciement économique qu’avait introduite la loi était cassée : au nom de la liberté du capital, on cassait le droit du travail.

Dès 2007 la loi était complètement abolie pour être remplacée par la loi actuelle qui limite le pouvoir des Comités d’entreprises à la cogestion des restructurations par des accords de méthode qui ne sont rien d’autres que des accompagnements des licenciements. Le 25 janvier dernier, la bataille des élus au CE de Fralib a bien porté là-dessus : forcer la direction à étudier le projet alternatif dans le cadre du CE et de son PSE. Et Jocelyne de conclure : « Nous revendiquons le droit de véto, le droit de recours à une expertise économique et la redéfinition du licenciement économique ».

A sa suite Amine Ghenim met en évidence les paradoxes de la législation actuelle qui permet qu’un groupe florissant ferme une usine aux résultats satisfaisants. Il lance aussi la réflexion sur quelques pistes de travail à mettre en débat. Actuellement dans le cadre de la loi on ne peut pas débattre du motif du licenciement, on peut seulement gagner du temps. Dans le cas de Fralib notre seule ouverture a été la question de la qualité des informations. En 2001 on a eu des avancées pourtant frileuses qui ont de suite été remises en cause par le patronat qui a fait pression sur les gouvernements successifs. Si le droit d’entreprendre est reconnu il ne peut s’opposer au droit du travail. Il faut que soient mises en place des sanctions lourdes contre les employeurs afin de décourager ces comportements. Actuellement le seul recours des salariés pour faire juger du bien fondé des licenciements est la procédure prud’homale, mais c’est bien trop long ! Et quand elle produit ses effets, que l’employeur est sanctionné c’est trop tard, à la place de l’usine il y a une friche et les salariés sont au chômage et dispersés. C’est l’exemple de Lustucru riz à Arles où la cour de cassation vient de nous donner raison…des années après.

Il y a une bataille à mener de la part des élus, y compris sur le terrain de la loi en s’appuyant par exemple que l’article L1233-62 du code du travail [2] et exiger que les projets des salariés soient examinés dès le CE et donc avant la fermeture de l’entreprise. On a aussi un débat à porter sur la différence entre sauvegarder et améliorer la compétitivité. L’autre piste est aussi celle du véritable employeur. Dans un groupe qui décide ? Le directeur local ou les actionnaires de la multinationale ? Pourtant on ne peut attaquer ces derniers.

Vient le tour de l’expert, Jean Louis Polly qui démontre comment dans le cas de Fralib on est passé en 10 ans d’une entreprise souveraine à un centre de façonnage. Fralib n’est plus une organisation, elle a perdu toute possibilité de décision en matière de volume et de choix de production, d’investissement, d’accès au marché et même de captation du profit. Elle est devenue artificiellement un prestataire de service d’USCC [3] la chaine organisatrice du détournement fiscal. Notre expertise montre de façon irréfutable qu’avec une production de 1000 tonnes (soit à peine le tiers de la production antérieure) l’entreprise est à l’équilibre. Evidemment UNILEVER refuse de parler de cela et on les comprend quand on sait que l’IRES vient de publier une étude qui montre l’inanité de 300 plans de revitalisation réalisés ces dernières années.

L’exemple de Fralib montre qu’il est temps que la loi permette aux salariés d’intervenir dans la gestion.

Le mot de la fin revient à Olivier dont l’intervention intégrale est jointe à l’article et qui dira en conclusion de son intervention « aucun terrain de combat ne nous est indifférent ».

Evidemment le débat après de telles introductions est riche et aura des prolongements sur lesquels nous reviendrons.

Pour l’instant les Fralib en sont à leur 500e jour de combat et comme ils le disent :

« Hasta la victoria sempre ! »


[1C’est naturellement dans la logique de cet arrêt, lors du CE du 25 janvier dernier où la direction venait pour la 3e fois présenter son plan, que les élus ont exigé que leur projet alternatif soit étudié dans le cadre du PSE et non de repousser, comme cela se fait d’ordinaire, cet examen au plan de revitalisation mis en place après la fermeture de l’usine.

[2Le plan de sauvegarde de l’emploi prévoit des mesures telles que :

1° Des actions en vue du reclassement interne des salariés sur des emplois relevant de la même catégorie d’emplois ou équivalents à ceux qu’ils occupent ou, sous réserve de l’accord exprès des salariés concernés, sur des emplois de catégorie inférieure ;

2° Des créations d’activités nouvelles par l’entreprise ;

3° Des actions favorisant le reclassement externe à l’entreprise, notamment par le soutien à la réactivation du bassin d’emploi ;

4° Des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activités existantes par les salariés ;

5° Des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou de reconversion de nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés sur des emplois équivalents ;

6° Des mesures de réduction ou d’aménagement du temps de travail ainsi que des mesures de réduction du volume des heures supplémentaires réalisées de manière régulière lorsque ce volume montre que l’organisation du travail de l’entreprise est établie sur la base d’une durée collective manifestement supérieure à trente-cinq heures hebdomadaires ou 1 600 heures par an et que sa réduction pourrait préserver tout ou partie des emplois dont la suppression est envisagée.

[3voir articles précédents



Documents joints

Intervention <span class="caps">CGT

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