A la recherche de l’eldorado promis...

lundi 9 avril 2012
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La Journée internationale des Roms est l’occasion de rendre hommage à la culture rom, mais aussi de mettre en lumière les persécutions et les discriminations que les Roms subissent dans toutes les sphères de leur vie.

Au nombre de 10 à 12 millions, les Roms constituent l’une des plus importantes minorités d’Europe, mais aussi l’une des plus défavorisées. La chute des pays de l’est et la guerre des Balkans n’ont apporté ni à ce peuple, ni à leurs compatriotes l’eldorado promis. Les guerres et le capitalisme échevelé ont au contraire semé misère et discriminations.

Et comme le montre cet article ce n’est pas l’actuelle union européenne qui peut inverser le cours des choses.
Là aussi seul un changement de système...

"Les stéréotypes et les préjugés négatifs vis-à-vis des Roms, ancrés dans certains médias et une partie de l’opinion publique européenne, alimentent la discrimination sur tous les plans. Les gouvernements doivent montrer l’exemple et battre en brèche les préjugés sociaux qui favorisent la discrimination envers les Roms, et doivent garantir leur égalité. Pourtant, trop souvent, les gouvernements se détournent de leurs responsabilités vis-à-vis de leurs citoyens roms, au détriment de l’ensemble de la population (...) Cette Journée internationale perd tout son sens si les gouvernements ne garantissent pas aux Roms la jouissance de leurs droits fondamentaux.", (Jezerca Tigani, directrice adjointe du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.)

Le 8 avril est la journée internationale des Roms, mais une part importante des 12 millions d’entre eux qui vivent en Europe vit encore dans une pauvreté écrasante dans une situation comparable à celle des les bidonvilles du Brésil ou de l’Inde. Des cabanes en tôle ondulée sans eau courante ni égouts, des enfants qui ont les cheveux emmêlés, les pieds nus dans la boue.... Ils sont des millions à vivre ainsi en Orient, mais aussi en Europe occidentale dans des ghettos sans n’avoir de rapport avec une population qui en général ne voit en eux que des gens sales et paresseux.

Les tensions ethniques sont plus fortes que jamais comme on a pu le constater avec les attaques des campements roms en Italie en 2008 ou les intimidations auxquelles se livrent des paramilitaires racistes en Hongrie.

Pire, en septembre dernier, des milliers de Bulgares sont descendus dans la rue, en criant des slogans comme "Les tziganes, il faut en faire du savon". Jusqu’à présent les roms sont restés calmes, mais jusqu’à quand ?

La chute du bloc de l’est...

"Le traitement réservé aux Roms est le test décisif de la démocratie", affirmait prophétiquement feu le président tchèque Václav Havel en 1993. La transition vers le capitalisme a eu des conséquences désastreuses pour les Roms.

Sous le régime communiste, ils avaient un emploi et étaient logés et scolarisés gratuitement. A présent, sous le feu des privatisations, beaucoup perdent leur emploi et leur logement, et le racisme à leur encontre ressurgit impunément.

...et les illusions de l’UE

A la fin des années 1990, la perspective de l’adhésion à l’UE de certains pays d’Europe centrale et orientale a laissé entrevoir une amélioration. "Les responsables roms étaient très enthousiastes", se souvient l’ancien député européen Jan Marinus Wiersma [1]. Lui même pensait que l’UE allait les protéger et les soutenir. Les pays candidats à l’adhésion adaptaient leur législation à celle de l’UE et proposaient des projets.

Ce n’était que de la poudre aux yeux, disent désormais les ONG et les militants des droits des Roms. En Bulgarie, par exemple, les Roms ont retrouvé massivement un emploi, d’après les chiffres officiels.

"En réalité, ils se sont retrouvés quelques mois plus tard à la rue", dit à Sofia la chercheuse bulgare Ilona Tomova. "Nous, les pays postcommunistes, nous nous y connaissons en manipulation des chiffres. Mais l’Union ne s’en est pas rendue compte."

« Bien sûr, nous n’avions pas l’illusion que les problèmes que nous avons depuis des siècles seraient résolus en quelques années », reconnaît Wiersma, qui était rapporteur pour la Slovaquie. "Mais nous voulions voir un réel engagement."

Au début l’intégration des roms était posée comme une condition dure de l’admission. Peu à peu cette condition est devenue en "beurre mou" si bien qu’aujourd’hui la vraie question est de savoir si les roms auraient été mieux avec une adhésion reportée. Selon Wiersma cette question des roms "était un argument informel, mais elle a joué un rôle énorme dans les délibérations."

Tricherie

"Maintenant que ces pays sont devenus des Etats membres de l’UE, Bruxelles a perdu son bâton pour frapper et ne peut plus utiliser la perspective de l’adhésion comme moyen de pression", estime Rob Kushen, directeur du Centre européen des droits des Roms (ERRC) à Budapest. "De la part des gouvernements des pays, il n’y a pas la volonté politique de changer les choses."

La Commission européenne est en outre liée par le principe de subsidiarité : "En ce qui concerne les Roms, ce sont les pays membres qui jouent un rôle déterminant en matière d’enseignement, d’emploi, de logement et de santé. Notre rôle se limite à coordonner", dit Matthew Newman, porte-parole de Viviane Reding, la commissaire chargée des Droits fondamentaux et de la Justice.

Bruxelles peut toutefois influer sur la politique par le biais des fonds européens. Pour la période 2007-2014, par exemple, la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie ont reçu chacune 172 millions d’euros spécialement affectés à la question rom.

Les pays membres où vivent des Roms peuvent aussi déposer des demandes au titre de programmes sociaux plus étendus. Cette cagnotte représente au total 17,5 milliards d’euros.

La Slovaquie avait obtenu 200 millions d’euros pour un nouveau programme. De 2001 à fin 2006, Klara Orgovanova a travaillé dans ce pays avec une équipe de 30 personnes.

Mais en juillet 2006, le parti social-démocrate [2] est arrivé au pouvoir et a formé une coalition improbable [jusqu’en 2010] avec le Parti national slovaque [3], dont le leader, Ján Slota, estimait que les Roms se domptent avec un "long fouet dans une arrière-cour".

La plus grosse partie des sommes allouées a "disparu", transformée en de nouveaux feux tricolores, des équipements technologiques pour les hôpitaux ou des clubs de football où aucun Rom ne joue. Quant à Klara Orgovanova et son équipe, elles ont été licenciées. "On était trop critiques et le gouvernement ne voulait pas dépenser de l’argent pour les roms". La Slovaquie n’est pas le seul pays où les comptes ont été truqués.

Parfois, l’argent a été empoché par des ONG factices ou des hauts fonctionnaires corrompus qui se sont octroyés des salaires exorbitants, estiment certains eurodéputés, comme [l’ancienne élue] Els de Groen, des militants des droits des Roms et des journalistes de renom, comme ceux du collectif BIRN (Balkan Investigative Reporting Network).

Cela dit, l’argent n’est pas toujours détourné volontairement. Les demandes de subventions sont compliquées et exigent une bonne compréhension du jargon de l’UE. "Beaucoup de ces pays n’étaient pas en mesure de gérer les fonds de l’UE," dit Wiersma. En 2010 la commission européenne a stoppé le financement du programme roms slovaques. Sous peine d’amende, la Slovaquie a du prendre des mesures...sauf qu’en janvier dernier la commission a estimé que l’argent n’était toujours pas utilisé à bon escient. "On a perdu 10 ans" dit Orgovanova. Elle est effondrée

Nomade d’urgence

On se souvient de cette jeune roumaine [4] de 16 ans qui à Naples en mai 2008, dans le quartier Ponticelli, avait enlevé un enfant ce qui donna prétexte à une vague de violences anti-roms. 150 000 roms, vivant pour la plupart dans des camps à l’extérieur des villes furent touchés.

Le gouvernement au lieu d’empêcher les actes racistes prit des mesures de fermeture et de destruction des camps, d’expulsion des familles et voulut mettre en place le fichage des roms. La Commission a alors simplement critiqué les mesures allant dans le sens d’une violation de la libre circulation, mais pas les mesures qui instauraient les discriminations racistes.

« Les pratiques nazies »

A l’été 2010 la France fait scandale en affrétant des avions pour expulser des roms vers la Bulgarie et la Roumanie. Mme Reding compare la déportation française à des pratiques nazies. La Commission lance une procédure d’infraction contre la France là encore seulement pour atteinte à la liberté de circulation.
Les organisations de défense des droits s’insurgent contre cette restriction. « C’est en fait une violation des droits fondamentaux dans l’UE » disent-elles. Ce à quoi la commission répond que "la France a mis en œuvre la législation européenne." et qu’en tout état de cause "la commission ne peut pas être un superflic des droits fondamentaux." Ce qui fera dire à Nele Meyer d’Amnesty International que la question "de la politique de discrimination envers les roms est une patate encore plus chaude que ce qu’on l’avait imaginé."

Pas de priorité politique

Le noeud du problème c’est la lutte contre une pauvreté sans précédent dans les pays de l’UE, encore faut-il le vouloir. Newman indique qu’il y a selon lui une « faible absorption" des subventions de l’UE destiné aux Roms. "Il ya des milliards de dollars disponibles, mais seulement une partie est demandée. Les Roms ne sont pas une priorité politique. "

« La vérité, c’est que des pays comme la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie sont pauvres. Ils doivent réellement pouvoir bénéficier des aides de Bruxelles. Et ce qui est réservé pour les Roms, ce n’est rien, » dit Valeriu Nicolae, directeur du Centre de politique pour les Roms et les minorités et rom lui-même. "Pour 1 million de roms, la Roumanie a reçu 230 millions d’euros pour la période 2007-2013. Cela représente moins de 20 cents par ROM par jour. " Et même si la Roumanie recevait aujourd’hui de l’argent à Bruxelles sur un plateau, ce serait encore trop peu. "Je suis sûr que le montant que l’UE consacre aux brebis et aux vaches à travers les fonds agricoles est 100 fois plus élevé."

Le scepticisme concerne aussi le Parlement européen. Si on observe un comportement inadmissible des états, pourquoi la commission n’a-t-elle pas installé un commissaire pour les minorités ce qu’ont demandé en vain à plusieurs reprises plusieurs députés européens ? Pour Wiersma c’est parce que "Les Etats membres craignent que tel commissaire sera également interfére également sur les questions des Hongrois en Roumanie ou des Basques en Espagne." Quant à la hongroise députée européenne Kinga Göncz, [5], elle évoque une peur "compréhensible" : "Les pays pourraient alors penser : ‘Parfait, c’est Bruxelles qui va s’en charger.’"

La position du GUE sur cette question

_ Elle ne se différencie guère de celle du groupe des partis socialistes appelant elle aussi de ces voeux une introuvable stratégie européenne

_ En août dernier, Marie Christine Vergiat, députée européenne Front de Gauche accordait un entretien à La Marseillaise sur cette question : extraits.

_ Depuis 3 ans, la Commission européenne a mis en œuvre des actions en faveur des populations roms dans toute l’Europe, quels en sont ses résultats concrets ?

_ C’est très variable selon les pays. L’épiphénomène de l’été dernier en France a suscité l’intérêt de voir ce qui se passait concrètement dans nos pays respectifs. Le parlement européen a beaucoup poussé dans ce sens.

Une majorité de députés, dont je fais partie, en ont marre du hiatus entre discours et pratiques.
(...)A la suite des expulsions en France en 2010, on a demandé à la Commission européenne de suivre cette affaire. Elle a mis en place la Task force qui doit faire le bilan sur l’utilisation des fonds européens par les États, initiative qui a abouti à la proposition de stratégies européennes, déclinées au niveau national, en faveur des Roms d’ici fin 2011.

L’Europe leur consacre 17,5 milliards d’euros, dont 13,5 milliards proviennent du Fonds social européen (FSE). 12 États ont des programmes de soutien aux Roms : l’Espagne, la Finlande, l’Italie, la Grèce, l’Irlande, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Slovénie, la République tchèque, la Slovaquie. Il faudrait obliger la Commission à enquêter sur place pour vérifier que les plans d’action se mettent bien en place.

Des financements européens existent afin que les États luttent contre l’exclusion et pour l’intégration des Roms, où en est la France ?

_ La France reçoit 4,15 milliards d’euros au titre du Fonds social européen (FSE). 1 million sert à financer des programmes en direction des Roms pour des projets coûtant 2,5 millions d’euros sur 5 ans (2007-2013). Il y a 28 projets.(...) Ils sont très controversés par le monde associatif qui leur reproche d’enfermer les Roms dans des structures où il faut montrer patte blanche pour entrer. D’autres projets existent dans la région de Nantes dans le cadre du FSE. Mais, la France ne cherche pas à cibler ces fonds européens en faveur de ces populations.

(...)Je constate qu’il y a une très mauvaise coordination entre les États- nations et les collectivités territoriales, notamment en France. Le discours de Grenoble a réveillé un certain nombre d’élus français et européens. L’Europe est capable du meilleur comme du pire. Dans le cas des Roms, elle est capable du meilleur à condition que les États ne bloquent pas les mesures positives.

_ Les Roms roumains et bulgares sont des citoyens européens depuis le 1er janvier 2007, ils sont pourtant exclus d’un certain nombre de droits, pourquoi ?

_ 10 à 12 millions de Roms vivent en Europe. La plupart sont sédentaires. Les minorités roms sont les premières à subir les discriminations à travers le continent, ce sont les premières victimes du libéralisme.

La France pratique une politique cynique en adoptant des clauses qui empêchent l’accès à la citoyenneté européenne, particulièrement dans le domaine du travail. Le gouvernement français utilise le racisme et la xénophobie pour masquer ses propres carences en matière économique et sociale. Si on applique les règles européennes, on doit tout faire pour accompagner ces populations vers l’intégration. Si jamais on considère qu’elles seraient mieux dans leur pays, il faudrait travailler avec les pays respectifs afin de mieux les aider à vivre chez eux.

_ Les Roms ne sont pas nombreux, or on leur nie le minimum d’humanité, ce sont des choix politiques et de société à changer. J’ai, à plusieurs reprises, interrogé Viviane Reding à ce sujet, je suis atterrée par ses réponses qui ne règlent pas les problèmes de discrimination. Je vais travailler avec les associations pour lui répondre point par point avec des exemples à l’appui. J’ai toujours milité pour les droits de l’Homme. L’Europe ne doit pas se contenter de discours. Il ne suffit pas d’avoir adopté la charte des droits fondamentaux et la Convention européenne des droits de l’Homme, il faut passer aux actes, car il est insupportable que les gens survivent dans ces conditions.

Un cadre européen

Depuis les drames qui se sont produits en Italie et en France, l’Union semble entrer en mouvement. En avril 2011, le Conseil européen a décidé d’établir un cadre européen commun, sous la forme de "stratégies nationales d’intégration des Roms".

Lívia Járóka– seule députée européenne d’origine rom – [6]se montre optimiste car on met davantage en avant l’intérêt socioéconomique de l’intégration des Roms. "Car les politiciens ne vont pas purement et simplement aider les Roms". Ainsi elle avance l’argument que donner du travail aux roms c’est permettre qu’ils "rapportent plus qu’ils ne coûtent" (sic !)...Comme quoi une fois de plus, l’origine n’est pas une garantie antiraciste...

Là encore, le scepticisme domine. Les piliers de l’intégration sont l’emploi, le logement, l’éducation et les questions de santé, toutes questions sur lesquelles l’Union européenne n’a aucun pouvoir ; les pouvoirs qu’elle a c’est sur les discriminations et elle n’intervient pas. La Commission s’en remet finalement aux Etats pour trouver une solution.

Ainsi comme le dit Reding "Si quelqu’un ne trouve pas de travail en raison de son origine ethnique, alors c’est à l’échelle nationale qu’il faut agir. La législation communautaire interviendra en complément des lacunes éventuelles de la législation nationale". Et quand on lui demande si c’est efficace, elle répond : "C’est ce qui a été décidé au plus haut niveau politique et dont tous les pays ont convenu. "

La Hongrie actuelle montre ce que cela peut donner dans la pratique. "Le gouvernement de Viktor Orbán a récemment abaissé l’âge maximal de la scolarisation obligatoire, si bien que les enfants roms peuvent quitter l’école plus tôt", dit Rob Kushen de l’ERRC [7].

Cela montre à quel point il est difficile d’obtenir de quelconques mesures en faveur des Roms dans le climat actuel. Viktor Orbán est confronté en Hongrie, comme dans d’autres pays européens, à une opposition d’extrême-droite : Jobbik, un parti ouvertement anti-Roms. "La démocratie consiste aussi à défendre les minorités. Mais Viktor Orbán ne semble pas le comprendre. C’est justement l’avertissement que lançait Havel en 1993", souligne Rob Kushen.

D’après Hellen Kooijman source MO* Bruxelles le 06/04/2012
Traduction : Rouge Midi

Transmis par Linsay

Sur le même sujet lire aussi Roms, gitans, manouches, le café du commerce et le 7 septembre


[1groupe des partis socialistes

[2SMER-SD

[3SNS

[4Roms, roumains c’était tout pareil...

[5membre du groupe des partis socialistes

[6membre du FIDESZ, le parti de Viktor Orban affilié au PPE (droite européenne)

[7European Roma Rights Centre, Centre européen pour les droits des roms



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