Pourquoi l’explosion du chômage dans la zone euro

lundi 31 décembre 2012
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Dans la zone euro, le chômage est structurel...

La véritable urgence dans la zone euro n’est pas le spread [NdT : nom donné en Italie à l’écart dans les taux de financement des Etats entre l’Allemagne et les autres pays de la zone euro]mais le chômage. La BCE l’admet dans son dernier rapport sur le marché du travail [1], qui révèle combien le fort taux de chômage constitue désormais une caractéristique structurelle de l’économie européenne.

Entre 2008 et 2011, l’Europe a perdu 4 millions d’emplois ( - 2,6%). Aux Etats-unis, la perte est encore plus importante, soit 6 millions d’emplois ( - 4,5%), à mettre toutefois en relation avec une baisse similiare du PIB (- 5%). Mais tandis qu’après 2010 – quand les deux économies ont atteint un taux de chômage de 10% - il a commencé à diminuer aux Etats-unis, en Europe il a continué à croître (atteignant, dans la seule zone euro, en septembre dernier, les 18,5 millions de chômeurs).

Le chômage dans la zone euro, en moins de trois ans, a augmenté de 2 points, passant de 9,6% en 2009 à 11,6% en septembre 2012 [2].
Dans le même temps, le chômage de longue durée [3]a augmenté, regroupant 67,3% du chiffre total (7 points de plus qu’en 2008). Un signe évident que le chômage n’est pas un phénomène conjoncturel. Entre septembre 2011 et septembre 2012, plus de 2 millions 174 000 travailleurs sont venus rejoindre les rangs des chômeurs.

... mais il y a divergence entre l’Allemagne et la quasi totalité de la zone euro

Dans la première phase de la crise en Allemagne et en Belgique, la perte d’emplois n’a été que de 1%, bien que la baisse du PIB reste dans la moyenne européenne, tandis qu’en Irlande elle est de l’ordre de 15%, en Espagne et en Grèce de 10%.
Entre 2009 et septembre 2012, le taux de chômage en Allemagne a même diminué de plus de 2 points (de 7,8% à 5,4%). Il a également diminué en Belgique, certes de peu, comme en Autriche (ou, toutefois, entre septembre 2011 et septembre 2012, il est passé de 4 à 4,4%).

En revanche, dans les autres pays, qui représentent la majorité des travailleurs européens, l’augmentation a été bien plus importante et parfois impressionnante. La Hollande passe de 3,7% à 5,4%, la France de 9,5% à 10,8%, l’Irlande de 11,9% à 15,1%, le Portugal de 10,6% à 15,7%, la Grèce de 9,5% à 24,4%, l’Espagne de 18,1% à 25,8%. L’Italie passe de 5,1% début 2007 à 7,8% en 2009 enfin à 10,8% en septembre 2012. Les prévisions pour l’Italie concernant 2013, selon l’ISTAT, annoncent une dégradation à venir, avec un taux de chômage à 11,4%, à cause de la contraction de l’emploi et de l’augmentation du chômage de longue durée [4].

Un tel pourcentage devrait correspondre à près de 3 millions de chômeurs. Dans de nombreux pays, on atteint déjà un taux de chômage comparable à celui de la Grande Dépression.

En réalité, le taux de chômage [5] ne nous dit pas tout sur la gravité de la crise de l’emploi.

En premier lieu, parce qu’il y a le chômage technique (cassa integrazione) et ensuite parce que le nombre total de chômeurs est rapporté à une main d’œuvre disponible [6] qui est en progression.

En Italie, par exemple, on est passé d’une main d’œuvre disponible de 24,93 de travailleurs potentiels au premier trimestre 2009, à 25,73 millions au second trimestre 2012 [7]. Il s’agit d’une augmentation due au phénomène dit du « travailleur supplémentaire », c’est-à-dire à l’entrée sur le marché du travail de jeunes et en particulier de femmes qui dans leur famille voient une personne perdre son travail, souvent le mari. Selon la BCE, les causes de cette divergence d’emploi dans les pays de la zone euro sont dues à la structure différentes de leurs économies nationales. Là où l’économie est orientée à l’exportation, comme en Allemagne, les entreprises ont réduit les heures de travail mais pas les emplois, en prévision d’une relance du marché mondial. Là où la croissance économique est basée surtout sur le boom immobilier, comme en Espagne et en Italie, l’explosion de la bulle immobilière a conduit à une restructuration permanente du secteur. La BCE tait, cependant, le rôle joué par l’introduction de l’euro qui a objectivement avantagé l’économie allemande et accentué les processus de divergence entre les zones centrales et périphériques d’Europe.

Les responsabilités des politiques d’austérité et les nouveaux « travailleurs pauvres »

Pour comprendre l’évolution du taux de chômage, il faut le mettre en relation avec les choix de fond en terme de politique économique. Ce n’est pas un hasard si la situation de l’emploi n’est devenue difficile qu’en 2010, quand la crise de la dette a touché l’Irlande et la Grèce. Au début de la crise, on avait réagi en soutenant la demande agrégée et en encourageant la réduction du temps de travail.

Par la suite, avec le passage à une politique centrée sur les coupes drastiques dans les dépenses publiques pour réduire les déficits publics, le chômage a explosé. Le phénomène est évident également en Italie. En 24 mois, dans la pire période de la crise, entre janvier 2008 et décembre 2009, le nombre de chômeurs a augmenté de 463 000. En seulement dix mois, entre novembre 2011, date de l’investiture du gouvernement Monti, et septembre 2012, ce sont 416 000 travailleurs qui ont rejoint les rangs des chômeurs, passant de 2 359 000 chômeurs à 2 774 000 en septembre 2012 [8].

La BCE de Mario Draghi juge que la cause principale du chômage structurel n’est pas la crise mais la rigidité salariale excessive. La solution, donc, serait de garantir une plus grande flexibilité salariale en poursuivant les « réformes du marché du travail », comme celles qui sont mises en œuvre en Italie (réforme Fornero), en Grèce, au Portugal, en Irlande et en Espagne. Petit problème, à ce jour on a réduit le pouvoir d’achat des travailleurs sans que le chômage n’ait cessé de croître.

Le fait est qu’aujourd’hui en Europe, comme aux États-Unis, on tend à reconstruire une grande « armée industrielle de réserve », composée de travailleurs à temps partiel qui peuvent être intégrés et licenciés à volonté selon les cycles d’une économie qui est destinée à végéter, pour on ne sait combien de temps encore, à un taux de croissance très faible et très loin du plein-emploi.

Vu que les baisses de salaires et du coût du travail n’ont jamais créé de nouveaux emplois, le véritable objectif des réformes du travail est d’affronter la concurrence mondiale toujours plus aiguë, en comprimant les salaires de millions de travailleurs à des niveaux de subsistance ou même en dessous de ce seuil.

Renvoyée à l’histoire la société du bien-être et de la consommation, sous la bienveillance des théoriciens de la « décroissance heureuse », tandis que fait son retour sur la scène sociale la figure du travailleur pauvre, victime du chantage et disposé à accepter des conditions et des rythmes de travail encore pires. Du reste, qu’importe si le salaire réel baisse ? Ce n’est pas le marché intérieur qui intéresse les grandes entreprises multi-nationales mais celui mondial. C’est le modèle allemand qui s’impose. Le problème c’est que, si tout le monde le copie, le marché mondial s’écroulera, comme est en train de s’effondrer celui de la zone euro. Un scénario qui pourrait devenir bientôt réalité, en particulier si les États-Unis, après les élections présidentielles, renonçaient à l’instrument des hausses fiscales pour faire face au fiscal cliff[NdT : concept inventé au début de la crise évoquant un « gouffre fiscal » rendant nécessaire l’adoption d’un programme de hausses d’impôts et de coupes budgétaires].

Domenico Moro, économiste du Parti des communistes italiens (PdCI), consultant pour la CGIL

Transmis par Jean Pierre Page


[1BCE,Euro area labour market and the crisis, Octobre 2012.

[2Pour les données entre septembre 2011 et septembre 2012 voir Eurostat, Euro area unemployment rate at 11.6. 31 Octobre 2012.

[3Pour la BCE il y a chômage de longue durée lorsqu’il excède six mois. Pour l’ISTAT, c’est lorsqu’il dépasse un an

[4Le prospettive per l’economia italiana nel 2012-2013, 5 novembre 2012.

[5Le taux de chômage est le rapport entre les personnes qui sont à la recherche d’un emploi (soit qu’elles ont perdu leur emploi soit qu’il s’agisse de leur premier emploi) et les forces de travail totales. Le taux d’activité traite en revanche du rapport entre force de travail et population totale entre 15 et 64 ans ;

[6La main d’œuvre disponible est composée des personnes de 15 à 64 ans occupées ou qui sont à la recherche d’un emploi. Le taux d’activité mesure le rapport entre cette main d’œuvre et la population totale entre 15 et 64 ans.

[7Istat, juillet2012 Occupati e disoccupati.

[8Istat, Septembre 2012 Occupati e disoccupati



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