Impérialisme : Le combattre ou en être complice ?

vendredi 15 mars 2013
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Le combat anticolonialiste n’a jamais fait recette en France.

Cela tient sans aucun doute au conditionnement idéologique (souvent raciste) que la bourgeoisie a su mettre en oeuvre pour convaincre l’opinion du bien-fondé de la constitution et de la conservation d’un empire colonial.

Cela tient aussi au fait, moins reconnu, que les forces impérialistes – toutes à leurs conquêtes territoriales et désireuses de s’assurer la paix sociale à domicile – ont fait en sorte qu’une fraction non négligeable de la population française bénéficie d’une partie de la rente coloniale.

Dès la fin du XIXe siècle, Engels observait avec consternation comment la classe ouvrière anglaise s’était ralliée à la politique coloniale de son État. En 1858, il notait que celle-ci s’embourgeoisait de plus en plus et que cela lui semblait « logique » dans la mesure où leur nation exploitait « l’univers entier ». [1]. Les ouvriers anglais jouissaient « en toute tranquillité […] du monopole colonial de l’Angleterre et de son monopole sur le marché mondial », ajoutera-t-il, plus tard.

En 1902, c’est John Atkinson Hobson qui observe que les Etats qui possèdent des colonies peuvent à la fois enrichir leur classe gouvernante et corrompre leurs classes inférieures, « afin qu’elles se tiennent tranquilles ». [2]

Sur ce point, Lénine est de l’avis d’Hobson qu’il cite dans sa célèbre brochure parue en 1916 [3]. Pour le révolutionnaire russe, l’idéologie de l’impérialisme et la défense de sa politique de domination pénètrent toutes les classes sociales, y compris la classe ouvrière.

Il écrit : « Le capitalisme a assuré une situation privilégiée à une poignée […] d’Etats particulièrement riches et puissants, qui pillent le monde entier […]. On conçoit que ce gigantesque surprofit […] permette de corrompre les chefs ouvriers et la couche supérieure de l’aristocratie ouvrière. Et les capitalistes des pays avancés la corrompent effectivement : ils la corrompent par mille moyens, directs et indirects, ouverts et camouflés. » Pour parvenir à cette corruption, la bourgeoisie utilise « mille façons » parmi lesquelles les « milliers de sinécures aux dirigeants des coopératives, des syndicats, des chefs parlementaires », note Lénine.

C’est cette corruption que Hannah Arendt qualifiera, plus tard, de distribution des « miettes du banquet impérialiste ». [4]

En 1919, le Ier congrès de l’Internationale communiste dénonce la communauté d’intérêts dirigée contre les peuples coloniaux qui enchaîne l’ouvrier européen ou américain à la « patrie » impérialiste.

En juillet 1920, Lénine revient sur le sujet : « Qu’est-ce qui explique la persistance de ces tendances réformistes en Europe et pourquoi cet opportunisme réformiste est-il plus fort en Europe occidentale que chez nous ? Mais parce que ces pays avancés ont pu bâtir et bâtissent toujours leur culture sur l’exploitation d’un milliard d’opprimés. » [5]

Commentant les thèses de Lénine, le sociologue brésilien Emir Sader [6]remarque qu’elles permettent d’expliquer comment de larges secteurs de la classe ouvrière des pays capitalistes avancés en sont venus à privilégier les « intérêts nationaux » de leur propre Etat impérialiste au détriment des intérêts des peuples dominés. En quelque sorte, la solidarité nationale a primé sur la solidarité internationale.

Pour Sader, « la question nationale a croisé le XXe siècle comme une des plus importantes et, en quelque sorte, des plus énigmatiques. Si dans la périphérie elle a assumé le caractère – plus ou moins prononcé – d’anti-impérialisme, de réaction et de résistance à la domination externe, au centre du capitalisme c’est le chauvinisme qui a prédominé ».

Aujourd’hui, tout comme au temps de leur empire colonial, les Français acceptent très majoritairement les aventures guerrières de leur État en Libye, en Côte d’Ivoire, au Mali, etc. Dans le même temps, les partis de la gauche ont non seulement renoncé à s’y opposer mais le plus souvent font leur les « phrases philanthropiques-humanitaires » [7] censées les justifier.

Le combat politique et les textes théoriques de Lénine et de ses compagnons n’auraient-ils plus rien à nous apprendre ?

Jean-Pierre Dubois le 11/03/2013

Transmis par Linsay



[1Engels écrivait à Marx : « […] le prolétariat anglais s’embourgeoise de plus en plus, et il semble bien que cette nation, bourgeoise entre toutes, veuille en arriver à avoir, à côté de sa bourgeoisie, une aristocratie bourgeoise et un prolétariat bourgeois. Evidemment, de la part d’une nation qui exploite l’univers entier c’est, jusqu’à un certain point, logique »

[2John Atkinson Hobson, Impérialism, A Study, 1902.

[3Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme.

[4Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, L’impérialisme, Ed. Fayard.

[5IIe Congrès de l’Internationale communiste.

[6Emir Sader est diplômé de l’université de São Paulo (philosophie et science politique). Penseur d’orientation marxiste, il est membre du conseil éditorial du périodique anglais New Left Review. Il a présidé l’association latino-américaine de sociologie (ALAS, 1997-1999) et est un des organisateurs du Forum social mondial.

[7Expression utlisée dans une résolution du Ier congrès de l’Internationale communiste : « La question coloniale révéla clairement que la conférence de Berne était à la remorque de ces politiciens libéraux-bourgeois de la colonisation, qui justifient l’exploitation et l’asservissement des colonies par la bourgeoisie impérialiste et cherchent seulement à la masquer par des phrases philanthropiques-humanitaires ». La conférence de Berne en février 1919 était une tentative des partis sociaux-démocrates de faire renaître la Deuxième Internationale.



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