La bête immonde et les apprentis sorciers

vendredi 7 juin 2013
par  Charles Hoareau
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Au lendemain de la guerre de 39/45, le peuple se libérait aux cris de « plus jamais ça ! ». Bertolt Brecht avait beau avoir écrit « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde » on se refusait à croire que cela pouvait revenir chez nous. On pensait le fascisme réservé à l’Amérique du Sud où il régnait en maître sur tout le continent. L’éducation, l’histoire devait suffire pensait-on souvent.

Après plus de 30 ans de luttes, débarrassée de la droite et de sa politique de régression sociale, la France de 1981 pouvait croire que la gauche allait « changer la vie ».

Hélas, il y eut le « tournant de la rigueur » de 1983 où l’on vit un gouvernement tourner le dos à son anticapitalisme claironné au lendemain de 1968 [1].

Reprendre les mêmes recettes que le gouvernement précédent, faire payer le travail et non le capital, la différence entre gauche et droite devenait diffuse, il fallait recréer un clivage.

C’est là que Mitterrand a fait le choix stratégique de ressortir Le Pen des poubelles de l’histoire afin de lui donner visibilité et crédibilité. Invité à de multiples reprises des plateaux de télévision bien que représentant moins d’1% de l’électorat, il put soutenir ses thèses nauséabondes réhabilitées de fait par le pouvoir et les médias obéissantes au nom de la liberté d’expression. Ce fut l’époque où l’on vit fleurir pour la première fois sur les murs des campagnes électorales ce slogan machiavélique : « le PS ou l’extrême droite, c’est vous qui choisissez » .

La fausse alternance droite gauche, des choix économiques de plus en plus semblables et antisociaux, un pays s’enfonçant dans la crise, une UE de plus en plus totalitaire et niant la souveraineté populaire, ont creusé le lit de la montée du fascisme à laquelle nous sommes confrontés.

Récemment le discours médiatique sur la montée des « extrêmes » pour qualifier tout refus d’accepter les délocalisations ou les attaques sur la protection sociale, comme si la seule voie « raisonnable » possible était la soumission au capital ont encore aggravé le phénomène.

La CGT des Bouches du Rhône a bien raison d’écrire « Cette violence entretenue par l’extrême droite, sur un terrain de crise sociale doit être éradiquée et sanctionnée. Les responsables politiques de notre pays ont le devoir d’agir face à l’idéologie de la haine de l’autre.
Cela passe nécessairement par une politique qui réponde aux exigences sociales du monde du travail.
En effet, la situation est grave, austérité, chômage, misère ne font qu’enraciner ces discours d’extrême droite qui alimentent les tensions, la xénophobie et le racisme, l’homophobie et les violences pour en arriver à des drames inacceptables… ».

Ce n’est pas d’aujourd’hui que datent ces groupes fascistes qui s’en prennent régulièrement aux arabes, aux noirs, aux roms, aux travailleurs en lutte… et plus généralement à celles et ceux qui ne pensent pas comme eux, sans que cela ne fasse forcément autant de bruit que cette fois-ci. Dissoudre les groupes d’extrême droite, si tant est que cela serve à quelque chose, ne suffit pas, c’est le terreau sur lequel ils se développent qu’il faut éradiquer. On ne combat pas une idée en l’interdisant mais en la combattant par des idées dont les actes et les faits démontrent la validité.

L’histoire récente montre assez que la stratégie Mitterrandienne avec laquelle le PS n’a jamais rompu, loin d’affaiblir l’extrême droite l’a renforcée et ses liens avec la droite « décomplexée » se sont affirmés comme jamais sous le quinquennat précédent. On avait bien vu dans les années 80 des alliances électorales droite/FN au nom de l’anticommunisme, mais sous Sarkozy un pas supplémentaire est franchi, c’est sur le terrain des idées que le rapprochement se fait sentir au point de ne plus voir sur certains points (le racisme en particulier) où est la différence entre la droite et son extrême.

Si ce gouvernement à son arrivée avait augmenté le SMIC de 30% et s’était opposé aux fermetures d’entreprises en les réquisitionnant pour en donner les clefs aux salarié-e-s, les opposants au mariage pour tous auraient-ils pu avec tant de facilité développer leur discours homophobe face à une loi censée représenter à elle seule le retour du clivage gauche/droite ?…Ce qui en plus est faux quand on voit la couleur politique des gouvernements qui de par le monde ont adopté une loi semblable.

Le fascisme ne se combat pas avec les bons sentiments mais avec une politique de progrès social faite par et pour le monde du travail. Il en va ainsi des quartiers populaires en manifestation le 1er juin, comme des jeunes épris de liberté et d’antiracisme.

Le capitalisme qui condamne à la mal-vie et au chômage des quartiers entiers, est directement responsable de la mort des jeunes tombés dans les trafics comme il est responsable de la montée des haines fascistes dernier rempart du maintien de son ordre. Celles et ceux qui, ayant le pouvoir, ont cru pouvoir jouer aux apprentis sorciers avec l’extrême droite pour masquer leurs renoncements à attaquer le mal à la racine portent une lourde responsabilité dans la situation actuelle.

Ce sont leurs renoncements que Clément a payé de sa vie et les larmes hypocrites de leurs auteurs sont encore moins supportables.


En médaillon, hier la manif marseillaise rassemblait plus de 1000 personnes


[1« Celui qui n’est pas anticapitaliste n’a pas sa place au Parti socialiste » François Mitterrand congrès d’Epinay 1971



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samedi 8 juin 2013 à 23h39 - par  Xuan
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samedi 8 juin 2013 à 18h02 - par  Danièle

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