Pacifisme et Internationalisme : l’exemple de la Confédération Générale du Travail, Intro et Part.1

lundi 23 décembre 2013
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Rouge Midi reprend un article paru sur le blog Pensée Libre, il sera repris en plusieurs parties. Cet article est tiré d’une intervention de Jean-Pierre Page [1]

Introduction de la rédaction du Blog Pensée Libre

A l’heure où la passivité permet la généralisation des guerres et des interventions guerrières des puissances en crise chez plus faibles qu’elles, la question du rôle des travailleurs dans la reconstruction d’une politique démocratique à l’échelle nationale et internationale devient urgente. A un moment où les forces politiques et syndicales ayant prôné l’élaboration d’alternatives politiques face à l’épuisement du capitalisme se retrouvent elles-mêmes en crise, à cause du retour d’une « aristocratie ouvrière » et d’un « crétinisme parlementaire » qu’on avait déjà connus avant 1914. Avec les conséquences que l’on sait !

C’est dans ce contexte que nous [2] avons pensé qu’il faut écouter les réflexions et les analyses de notre collègue de rédaction, militant syndical international faites à l’occasion d’une conférence syndicale, en terme d’expérience historique et en terme d’analyse de la situation internationale.

Introduction de l’auteur

Luttes pour la paix, actions contre les guerres coloniales et l’impérialisme, solidarité internationaliste constituent depuis sa naissance des engagements fondateurs de la CGT. On n’aura de cesse de rappeler que la CGT est aussi née contre la guerre et qu’elle s’est transformée à travers son combat internationaliste tout au long du 20e siècle !

Ces principes ont toujours donné lieu dans la CGT, le Mouvement syndical français et international à des débats allant parfois jusqu’à la division et la scission. Ils furent depuis la naissance de la CGT animés d’une part par les tenants d’une vision réformiste et de collaboration de classe avec la bourgeoisie et d’autre part par les partisans d’une conception de luttes des classes et de rupture avec le capitalisme ! Rien ne fut jamais acquis d’avance, et rien n’est jamais définitivement tranché ! Pour autant ce sont ses traits identitaires, ses débats, ses victoires et ses défaites qui ont forgé la CGT tout au long de son histoire, une histoire fondé sur les valeurs inséparables qui sont celles du Mouvement ouvrier français et international. Pendant près d’un siècle, elles ont valu un grand prestige international à la CGT !

Celui-ci constitue un patrimoine dont ses syndiqués sont fiers mais dont ils doivent continuer à être comptables, et cela d’autant que de nombreux militants et dirigeants de la CGT ont sacrifié leur vie pour un idéal de fraternité, de solidarité humaine, de coopération entre les travailleurs et les peuples dans un monde définitivement débarrassé des guerres ! C’est pourquoi il est important de militer en faveur d’une réappropriation de l’histoire du mouvement ouvrier par ses acteurs eux mêmes ! C’est d’autant plus important que certains dans le mouvement syndical et ailleurs confondent pensée critique et réécriture de l’histoire. Ils cherchent ainsi à gommer les contradictions fondamentales, les contradictions de classe en pratiquant l’ostracisme, la censure tout comme en cultivant une forme d’ignorance médiocre qui cherche à enfermer le débat dans un discours consensuel qui se garde de poser les vraies questions !

Alors que ces mêmes considèrent comme idéaliste voir obsolète cette opinion, elle est en réalité plus actuelle et moderne que jamais, justement parce que nous sommes confrontés à la crise du capitalisme et à celle de la domination impérialiste d’une minorité sur le reste de l’humanité ! Chacun sent obscurément qu’il se passe quelque chose. Nous sommes entrés dans une dynamique apparemment chaotique, elle correspond aux traits de ce que l’on appelle une période de transition ou encore… un changement d’époque. Elle n’est pas sans opportunités ! Ainsi par exemple, on n’a jamais autant critiqué et questionné le prétendu « exceptionnalisme américain », « véritable insulte à l’égalité des humains » [3] comme l’ont montré cette année les interventions de nombreux chefs d’États et de gouvernements à la tribune de l’Assemblée Générale de l’ONU.

« Notre survie dépendra du degré de détermination que nous engageons pour la défense de la vie et de la vitesse avec laquelle nous remplissons notre devoir urgent visant à créer une Organisation mondiale indépendante de l’Empire, et capable de lutter efficacement contre les différentes crises convergentes qui nous assaillent, et par dessus tout, contre l’Origine principale, c’est-à-dire les Etats-Unis, qui sont possédés par le démon de la Full Spectrum Dominance,du contrôle total et absolu de la planète Terre. » [4]

Renoncer à ce combat et cette ambition serait renoncer à être nous mêmes ! Par conséquent, on ne saurait réfléchir à ce qui nous réunit aujourd’hui indépendamment de ce qui nous a forgé, et nous rassemble quand bien même les différences donnèrent lieu et donnent lieu encore à des débats passionnés et contradictoires ! Tant il est vrai que « celui qui n’a pas de mémoire n’a pas d’avenir ». Je voudrai donc évoquer ici 4 sujets :

1-Le combat pour la paix et les principes de solidarité internationale de la CGT, avant et après la Première Guerre mondiale !

2- Les luttes contre les guerres coloniales, l’OTAN et les ambitions impérialistes de suprématie mondiale.

3 - De l’Europe aux menaces de guerre, la Syrie !

4- Nos responsabilités syndicales.

I - Le combat pour la paix et les principes de solidarité internationale de la CGT, avant et après la Première Guerre mondiale !

C’est le 19 avril 1915 à Mort Mare en Meurthe et Moselle que furent fusillés pour l’exemple et sur ordre du Général Deletoile : le caporal Antoine Morange, les soldats Félix Beaudy et Henry Prébost [5]parce qu’ils avaient refusé avec leur compagnie d’en finir avec une tranchée allemande mais surtout parce qu’ils étaient adhérents et militants de la CGT ! « Ils étaient morts par la patrie, et non pour la patrie ». Mais d’abord quelques dates en forme de repères :

Après la création de la 1re Internationale ouvrière, [6]le fameux « Prolétaires de tous les pays, unissez vous ! » du Manifeste du Parti communiste de 1848 [7], 6la défaite de la guerre de 1870 et les massacres de la Commune, les travailleurs se réorganisèrent, Friedrich Engels contribua après la mort de Marx à la fondation de la Seconde Internationale en 1889. Avec la création de la CGT, on assista en 1895 à la conclusion d’un long processus, original, de débats intenses qui vont avec la fédéralisation permettre la création d’un Centre National interprofessionnel pour l’animation et la coordination des luttes. En 1906, a lieu le Congrès d’Amiens et la charte qui y est votée devient la référence théorique du syndicalisme français, celles des conceptions de lutte de classes et du syndicalisme révolutionnaire !

1912 : La CGT est la seule confédération syndicale existante en France, elle compte 700 000 adhérents sur un total de 7 millions de salariés. Le 24 novembre, elle tient un congrès extraordinaire sur le thème de l’action préventive contre la guerre.

1913 : Se constitue le Secrétariat syndical international (CSI) auquel participe la CGT. Le 25 février, la CGT publie un manifeste antimilitariste.

1914 : La CGT compte alors environ 300 000 adhérents. Elle organise des manifestations syndicales contre la guerre le 27 juillet. Le 31 juillet, Jean Jaurès est assassiné ! Le 1er août c’est la mobilisation générale et le début d’un conflit mondial, il va durer 4 ans ! Le 3 août, c’est la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France. Le 4 août, la CGT rallie l’Union sacrée . Lors du CCN de la CGT, tenu du 26 novembre au 5 décembre, seule une minorité se prononce contre la guerre. En septembre 1914, Léon Jouhaux Secrétaire général de la CGT entre au Comité de Secours national, délégué à la Nation pour “soutenir le moral du pays et l’effort de guerre”. Seule une minorité rassemblée autour de la Fédération des Métaux et du groupe de “La vie ouvrière”combat les orientations du groupe dirigeant !

1915 : Après la démission de Pierre Monatte de la direction de la CGT, le 3 janvier, en protestation contre le ralliement de celle-ci à l’Union Sacrée, la guerre fait chuter les effectifs à 50 000 adhérents.

1917 Dans l’année, on compte 696 grèves et 293 810 grévistes en France. Parallèlement, les effectifs remontent à 300 000. Les 6 et 7 novembre, c’est la rupture de l’Union sacrée. Au même moment, éclate la Révolution d’Octobre en Russie. Dans les heures qui suivent le déclenchement de la Révolution, Lénine fait approuver le fameux Décret sur la paix . Il annonce l’abolition de la diplomatie secrète et la proposition, à tous les pays en guerre, d’entamer des pourparlers « en vue d’une paix équitable et démocratique, immédiate, sans annexions et sans indemnités ». Seule l’Allemagne accepte ! [8]

1919 : 25 mars : « on vote la loi sur les conventions collectives. 28 mars : la loi supprimant le travail de nuit dans les boulangeries. Le 23 avril : les lois sur la journée de 8 heures ». Le 1er mai, la grève générale de 24 heures est marquée par 500 000 manifestants à Paris (1 mort). La CGT passe à un effectif de 1 million et demi d’adhérents. Dans l’année, on compte 2 206 grèves et 1 160 000 grévistes en France » [9]. Le 30 avril : Pierre Monatte crée les Comités syndicalistes révolutionnaires. En décembre 1920, dans la salle des Manèges jouxtant l’Abbaye St Julien de Tours, la majorité du Parti socialiste crée le Parti communiste français. En 1921, les partisans de la lutte des classes vont gagner progressivement en influence au point de faire pratiquement jeu égal avec les réformistes au Congrès de Lille de la CGT. Toutefois, bien que faisant tout pour préserver l’unité, les minoritaires seront exclus et constitueront la CGT unitaire (CGTU) au congrès de St Etienne en 1922, ils rejoindront dans ces circonstances les rangs de la jeune Internationale Syndicale Rouge ou Pro-fin ternnée de la Révolution d’Octobre.

Au contraire de la Fédération syndicale internationale (FSI) créée en 1919 qui maintient une politique de présence dans les institutions de la Société des Nations, l’ISR privilégie l’action revendicative sur le terrain. Elle s’implique aussi beaucoup sur les questions internationales, comme par exemple, au sujet de l’Occupation de la Ruhr contre laquelle la CGTU lance ses mots d’ordre de grève politique, en lien avec l’ISR et l’internationale communiste. Elle favorise aussi l’action des syndicalistes des pays colonisés ou dominés, comme en Chine.

Après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, l’ISR, à la suite du Komintern change de tactique, et propose le 7 mars 1935 une conférence commune à la FSI pour le rétablissement de l’unité. Des discussions démarrent donc au niveau international, mais avant même qu’elles soient finalisées, des centrales rouges ont déjà intégré les rangs de la FSI, comme par exemple la CGTU en France. Devant cette situation, l’ISR se dissout à la fin de 1937. Les syndicats rouges essayent alors de s’affilier à la FSI. Cette dernière envoie une délégation à Moscou en novembre 1937 pour discuter avec les syndicats soviétiques. Mais les accords de Munich, puis le Pacte germano-soviétique interrompent les contacts. Ils reprendront après l’invasion de l’URSS par les troupes allemandes pour préparer la création de la Fédération syndicale mondiale (FSM).

Mais revenons quelques années en arrière : le 12 octobre 1925, éclate la guerre du Rif. La troupe est massivement mobilisée contre le révolutionnaire Marocain Abdel Krim et les forces qui le soutiennent, comme l’Internationale communiste. C’est à mes yeux un événement fondateur, le premier grand engagement internationaliste pour la toute jeune CGTU et le tout aussi jeune PCF. La différence avec la CGT et le PS est alors sensible ! Car dans la tradition d’avant 1914, la CGT acceptait le fait colonial, ayant seulement la volonté d’y introduire davantage de justice et d’humanité. La CGTU, elle, renverse totalement ce discours. Avec la révolution bolchevique, la constitution de l’Internationale communiste, et de l’Internationale syndicale rouge (ISR), une nouvelle orientation fut mise en avant : la défense de l’indépendance nationale des pays dépendants, la communauté de combat entre colonisés et prolétaires. Celle-ci est censée s’imposer !

Toutefois, l’internationalisme ne se décrète pas ! Pas plus qu’il ne saurait être une pétition morale, il n’a de sens que dans la mesure où il contribue aux luttes et donc au rapport des forces à l’échelle nationale et mondiale, c’est à quoi voulut s’employer la CGTU. Dans les années qui suivent la fin de la Première Guerre mondiale,on ne peut encore parler de rupture radicale, mais le mouvement était engagé. On peut lire de nombreux articles dans la Vie Ouvrière !Un groupe de jeunes militants, [10]dont certains issus des colonies, prit alors au sérieux les nouveaux principes.

Et revenons à 1925 et à la guerre du Rif en France, une campagne d’une violence inouïe se mit en place pour expliquer que, plus que les intérêts français, c’est la « civilisation occidentale » qui était menacée. Abd El-Krim, soutenu par son peuple et par l’Internationale communiste, était présenté comme l’enfant monstrueux de deux fanatismes : l’islam et le communisme. Les Rifains sont surnommés par une certaine presse les« Boches de l’Afrique ». Les hommes politiques de tous bords se livrent à des effets de manche. Les journaux rivalisent dans les descriptions des atrocités de ces « indigènes »retournés à l’état sauvage. Décidément les médias d’aujourd’hui n’ont rien à envier à ceux d’hier ! Mais la CGTU, le PCF et des intellectuels prestigieux rassemblés autour de Henri Barbusse et des surréalistes comme Louis Aragon se mobilisent au sein d’un Comité d’action contre la guerre du Rif. Ils affirment avec force un principe anticolonialiste sans ambiguïté : « Nous proclamons une fois de plus le droit des peuples, de tous les peuples, à disposer d’eux-mêmes [11]

Un mot d’ordre de grève générale est lancé pour le 12 octobre 1925. C’est une première et une traduction concrète du principe “d’Internationalisme prolétarien” ! Il y aura des centaines d’arrestations, de lourdes peines de prison, et même un mort lors de la manifestation parisienne. Gaston Monmousseau, Directeur de la Vie ouvrière parlera de 1 million de grévistes et de centaines de milliers d’autres sous d’autres formes ! La lecture des textes de la CGT, en tout cas, ne laisse aucun doute sur l’hostilité farouche que nourrissaient ses dirigeants – et sans doute nombre de ses adhérents– à l’égard de la CGTU en général et de la grève en particulier. [12]Malgré ces obstacles et pourtant dans un climat particulièrement défavorable, les organisations de la CGTU ont visé très haut : faire la démonstration que l’internationalisme pouvait passer – ou plutôt commençait à passer – dans les actes. Les grévistes d’octobre 1925 étaient en tout état de cause minoritaires, mais ils ont marqué de leur empreinte l’histoire sociale et politique française.

Avec la réunification de la CGT en 1936 et l’avènement du Front Populaire, la CGT va inscrire dans le préambule de ses statuts : les principes fondateurs du syndicalisme démocratique, de masse et de classe. Comme on le sait, la CGT prend une place décisive dans les grèves et les occupations d’usine. En 1937, elle compte 5 millions d’adhérents ! Le 18 juillet 1936, alors que l’euphorie consécutive à l’Accord de Matignon commence à retomber, la guerre civile espagnole éclate. Elle va passionner la vie politique française et commencer à diviser le rassemblement populaire. De nombreuses similitudes vont contribuer à faire de ce conflit extérieur une affaire française.Géographiquement proche, l’Espagne est surtout une jeune République fragile, née en avril 1931 et gouvernée depuis février 1936 par une coalition de Frente Popular !La guerre civile en Espagne va devenir un des autres actes fondateurs de l’internationalisme de la CGT. Elle se dresse immédiatement contre le coup d’État franquiste et affirme dans une déclaration solennelle son soutien au peuple espagnol [13]« La CGT française adresse au peuple espagnol et à l’UGT l’expression de son admiration fraternelle pour sa lutte contre la réaction et le fascisme. »

La lutte des républicains espagnols est présentée comme une lutte universelle contre le fascisme, et la CGT met l’accent sur les conséquences d’une éventuelle victoire franquiste. [14]Dès la ratification de la non-intervention par les principales puissances, le Bureau de la CGT se prononce contre. La CGT va alors s’engager pour tenter d’obtenir une réorientation de la politique gouvernementale française, dirigée par le PS et Léon Blum.

De son côté, la FSI réclame la réouverture de la frontière espagnole pour le passage du matériel de guerre, principalement soviétique. Elle demande également que le droit du gouvernement espagnol de s’acheter des armes lui soit légalement reconnu. La démarche est vaine et, le 1eravril 1939, la République espagnole est vaincue. Aux yeux de la CGT, la non-intervention est la principale responsable de cette défaite. Contre le gouvernement de la non intervention, le soutien des militants et des syndicats CGT ne se sera jamais démenti ! Elle va aller du secours aux enfants d’Espagne, à la fourniture des armes jusqu’au héroïques brigades internationales. [15]

Les évènements d’Espagne vont accélérer la montée du fascisme et la guerre. La bourgeoisie est partout à la contre-offensive et la riposte en France se développe dans de mauvaises conditions du fait des atermoiements des dirigeants confédéraux de la CGT ! L’anticommunisme est entretenu, et les communistes vont être exclus du bureau confédéral de la CGT et de la commission administrative ! Plus de 600 syndicats seront dissous. Sous la direction de Benoit Frachon, les militants exclus et ceux qui ne sont pas arrêtés, internés deviendront les futurs cadres de la résistance armée. On sait ici ce que furent les sacrifices de nos prédécesseurs, le courage héroïque de certains qui au plus fort du drame de la guerre entendaient renouer la chaine de fraternité entre les ouvriers de France et d’Allemagne. Allant comme Timbaud dirigeant des métallos de la région parisienne jusqu’à crier “vive le Parti communiste allemand” devant le peloton d’exécution [16].

Ce qu’il faut évidemment retenir de cette période qui a si profondément marqué notre histoire, c’est que le combat de classe contre le fascisme et pour l’indépendance nationale doit reposer sur la justice sociale. Ce n’est pas sans raisons que dans la clandestinité et à la tête des combats de la résistance, Benoit Frachon appelait « à ne pas oublier de se battre pour les revendications » ! C’est donc fort logiquement que les premiers grands mouvements de masse contre l’occupant et la collaboration s’appuient sur les revendications. En 1941, la grève des mineurs du Nord-Pas de Calais sera le déclencheur ! [17]On pourrait évoquer également bien d’autres exemples, en particulier celui des militants de chez Renault dont le patron/collaborateur Louis Renault [18]participait à l’effort de guerre allemande. Plus de 70 ans après sa famille entend de nouveau obtenir réhabilitation et réparation. Il faut se féliciter que la mobilisation et la campagne impulsés par les militants de la CGT et anciens dirigeants du syndicat CGT de Billancourt ai rendu vain cet affront à la centaine de combattants de la résistance déportés ou fusillés au Mont Valérien, ces travailleurs de chez Renault, ces syndicalistes qui furent de tous les combats “pour le pain et la liberté”.

En 1943, l’unité syndicale se reconstitua. La CGT est alors partie prenante du Conseil national de la Résistance (CNR) où siège plusieurs de ses dirigeants. La CGT va contribuer à y inscrire les engagements sociaux, économiques et culturels qui deviendront les piliers du redressement de la nation, après la trahison de la France par les industriels et les collaborateurs. La grève générale insurrectionnelle avec occupation contre l’occupant nazi et le régime de Vichy dont le signal sera donné par les cheminots de Vitry sur Seine et la CGT le 10 août 1944 deviendra une des plus belles pages de l’histoire ouvrière internationale. Aujourd’hui, face à une politique toute dévouée aux intérêts du Capital au plan national et international, ces objectifs du CNR gardent non seulement toute leur pertinence mais impliquent de les revendiquer comme autant d’objectifs de lutte syndicale ! Après la libération et la réunification, la CGT comptait 6 millions d’adhérents, d’importants succès vont être obtenus.

« Seule la classe ouvrière sera restée dans sa masse fidèle à la patrie profanée, » comme devait le rappeler François Mauriac ! [19]Entretemps, sur les décombres du fascisme a été créée la « Fédération Syndicale Mondiale » en octobre 1945, à Paris, et Louis Saillant, Secrétaire de la CGT en est devenu le Secrétaire général.

Lors de l’annonce du Plan Marshall,le 5 juin 1947, les organisations de la FSM se partagent entre ceux qui le refusent catégoriquement (syndicats soviétiques, la CGT, la CGIL italienne) et ceux qui l’acceptent (syndicats nord-américains, britanniques, scandinaves). En mars 1948, l’AFL convoque à Londres une conférence des organisations syndicales partisanes du Plan Marshall, qu’elles soient ou non membres de la FSM. De fait l’unité a vécu. En janvier 1949, le « Trade Union » (TUC) britannique demande la suspension des activités de la FSM compte tenu de la situation. En décembre 1949, ils fondent la « Confédération internationale des syndicats libres » (CISL) avec l’implication directe du gouvernement américain et celle de la CIA. La CISL se transformera beaucoup plus tard en « Confédération Syndicale Internationale » (CSI) à laquelle la CGT décidera d’adhérer en 2006 après son affiliation à la Confédération Européenne des Syndicats » (CES) en 1999. [20] Au niveau national, plusieurs confédérations syndicales connaîtront des scissions, c’est le cas de la CGT où les opposants, par anticommunisme, vont former la Confédération générale du travail – Force ouvrière ou encore en Italie avec la scission en 1948 de la CGIL.

L’année 1947 fut l’une des plus difficiles de l’après guerre ! La pénurie alimentaire se conjuguait avec la hausse des prix. Le gouvernement est de plus en plus sensible à la pression des USA qui veulent, au moyen du plan Marshall, renforcer leur hégémonie sur les pays européens affaiblis par la guerre. La scission perpétrée dans la CGT puis dans la FSM signifie bientôt l’entrée dans une nouvelle phase des luttes de classes en France et dans le monde. Les risques d’une 3e guerre mondiale sont alors considérables, en particulier avec le conflit en Corée et l’affaire de Suez. En France, la bourgeoisie entendait rétablir pleinement son hégémonie pour mettre en cause les acquis sociaux et démocratiques du programme du « Conseil National de la Résistance » (CNR), en collusion avec les forces réformistes dont elle a cherché par la scission de la CGT à élargir l’espace, tout en diminuant l’influence du syndicalisme de classe. Au plan international, les USA, rompant l’unité antifasciste, s’engagèrent dans la politique de guerre froide. [21]

À ce stade, je veux souligner la cohérence du combat de la CGT, forgé dans celui de la résistance à l’envahisseur. Depuis la grande Révolution Française et les Lumières, le patrimoine national s’est enrichi à travers la conscience du peuple de l’idée de Nation, celui de souveraineté populaire. On retrouve là le lointain héritage de Valmy qui faisait dire si bien à Goethe présent à la bataille, et plein de lucidité - : « De ce lieu et de ce jour date une nouvelle époque dans l’histoire du monde ». Il ne s’y était pas trompé, Valmy, fut aussi le début d’une longue et périlleuse marche pour la liberté des peuples… Mais Valmy est avant tout une victoire symbolique de la Nation. On est ainsi passéde l’éveil de la Nation française, à celui du passage à sa maturité. La Nation prend tout son sens. Le peuple a pris largement part à la bataille, non plus pour un Roi tuteur, mais pour lui-même, pour sa liberté pour l’égalité et la fraternité entre les peuples. Valmy, ce n’est pas simplement la première victoire de la République, c’est sa naissance. Et plus tard, cela aura une influence considérable dans les combats contre l’occupant, puis contre la constitution du marché unique européen et la vassalisation de l’Europe à l’Empire, jusqu’au soutien aux luttes de libération nationale. L’internationalisme est aussi fondé sur ces principes, car si défendre souveraineté nationale et souveraineté populaire ne font qu’un, et si nous revendiquons ce droit pour nous-mêmes, alors nous nous devons de le reconnaitre pour tous les autres peuples, et c’est ensemble que nous devons le défendre !

Ainsi, de Valmy à la Commune de Paris, des mutineries de 1917 qu’évoque la chanson de Craonne à la fraternisation avec les travailleurs et les soldats allemands de la Ruhr, de la solidarité aux insurgés du Rif, au combat internationaliste aux côtés des républicains espagnols, du “vive le PC Allemand”de Timbaud, jusqu’aux combats contre le plan Marshall, les guerres coloniales, le traité de Maastricht, le projet de Constitution européenne, et les guerres impérialistes, on retrouve un fil continu dans l’engagement de la CGT. Celui-ci demeure le combat pour l’indépendance nationale, celui de la souveraineté, du refus de l’ingérence étrangère et celui de la justice sociale. Tout cela forme un tout qu’on ne saurait découper en tranches ! Cette position de classe qui faisait dire à Jaurès, « que si le capitalisme porte en lui la guerre comme l’orage porte la nuée », lui faisait ajouter, « nous ne sortirons de l’iniquité qu’en sortant du capitalisme ! »

Transmis par Vincentd
Source


[1« Les rendez vous de l’Histoire », Blois, 11 octobre 2013, « La CGT et la guerre ! Et le pacifisme alors ! », Syndicalisme, pacifisme, internationalisme »*, Organisé par l’Institut d’Histoire Sociale CGT de la Région Centre et le Comité Régional CGT, Exposé de Jean-Pierre Page, Ancien responsable des Relations Internationales de la CGT et ancien membre de la commission exécutive confédérale de la CGT

[2NDLR : la rédaction du blog de Pensée Libre

[3In New York Times, septembre 2013

[4Comme l’avait souligné en son temps le père Miguel d’Escotto, ancien Ministre des Affaires étrangères du Nicaragua et ancien Président de l’Assemblée Générale de l’ONU.

[5Devait dire la petite nièce du soldat Paul Van den Bosch fusillé lui aussi pour l’exemple après les mutineries qui succédèrent à l’offensive du Chemin des Dames au printemps 1917.

[6Plus connue sous le nom de Première Internationale, fondée le 28 septembre 1864 à Londres au Saint-Martin’s Hall, cette organisation a disparu à la suite d’une scission intervenue en 1872.

[7Ce texte n’est pas l’œuvre d’une personne isolée mais une commande de la Ligue des communistes. Karl Marx a rédigé le texte final sur la base de textes et discussions préparatoires au sein de la Ligue des communistes, et notamment sur la base d’une contribution de son ami Friedrich Engels. Le slogan final — « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » — avait été adopté par la Ligue des communistes plusieurs mois auparavant. Il est d’abord paru anonymement, puis a été réédité plus tard avec mention de Karl Marx et Friedrich Engels comme auteurs, sous le titre de Manifeste du Parti communiste.

[8Le 15 décembre, un armistice russo-allemand est signé à Brest-Litovsk et des négociations de paix s’engagent conduite par Léon Trotsky.

[9Jean Magniadas in « Le syndicalisme de classe » Éditions sociales, 1987

[10Un jeune « Annamite » au regard de feu, Nguyen Ai Quoc, le futur Hô Chi Minh, se distingue. Mais aussi de jeunes militants communistes chinois travaillant en France, ils vont profondément marquer l’histoire de leur pays et celle du monde parmi eux on trouve : Chou En Lai, Chen Yi, Deng Xiaoping ! Je veux m’arrêter un bref instant sur ce dernier, (car ce n’est pas sans intérêt pour la région Centre) celui qui va devenir le grand modernisateur de la Chine contemporaine après MaoZedong. Deng est licencié en 1923 de chez Hutchinson à Montargis pour fait de grève dans l’atelier de chaussons avec ordre de ne pas le reprendre ! Il rejoindra ses camarades à Boulogne-Billancourt alors que ces derniers travaillent chez Renault, dont Chou En Lai qui habitait un petit Hôtel au 2 place des Alpes dans le 13e !

[11“Nous mettons ces clairs principes au-dessus des traités de spoliation imposés par la violence aux peuples faibles, et nous considérons que le fait que ces traités ont été promulgués il y a longtemps ne leur ôte rien de leur iniquité. Il ne peut pas y avoir de droit acquis contre la volonté des opprimés. On ne saurait invoquer aucune nécessité qui prime celle de la justice. »

[12Fin août, le congrès de la CGT refuse tout net de recevoir une délégation du Comité central d’action, qualifié de « nouveau déguisement du Parti communiste ». Dans Le Peuple, une rubrique intitulée « La grève communiste » se réjouit régulièrement des échecs des préparatifs.

[13« La CGT française adresse au peuple espagnol et à l’UGT l’expression de son admiration fraternelle pour sa lutte contre la réaction et le fascisme. Elle assure le prolétariat espagnol de sa complète solidarité et lui affirme sa conviction profonde que la levée en masse des travailleurs sera victorieuse des factieux et des généraux du coup d’État […]. Travailleurs Espagnols, nos frères, les travailleurs groupés dans la CGT française sont avec vous entièrement de cœur et d’esprit dans cette bataille contre l’oppression ».

[14Même si à l’intérieur de la CGT des hommes comme René Belin qui plus tard participera a la collaboration, s’opposent à cette solidarité de classe

[15S’y s’illustreront : Marcel Paul, Rol Tanguy, Jean Grandel de la Fédération Postal, ou le Dr Rouques directeur de la Polyclinique des Bleuets de la Fédération de la métallurgie, tous dirigeants et militants de la CGT.

[16« Timbaud a toujours fait montre d’une confiance, d’une foi ardente dans les destinées de la classe ouvrière française et internationale. » devait dire L »on Mauvais, Secrétaire de la CGT.

[17Dans les cahiers de revendications, les mineurs demandent à leur direction des augmentations de salaire, de meilleures conditions de travail, l’amélioration du ravitaillement en beurre, viande rouge, savon… Ces cahiers sont communiqués aux mineurs des autres concessions. Du 27 mai au 9 juin 1941 la grève s’étend a tout le basin du Nord-Pas de Calais et jusqu’en Belgique ! Réprimée avec violence par l’occupant, la police française, avec l’appui du patronat, elle n’en sera pas moins victorieuse.

[18Mi-décembre 1940 à Berlin, Le Hideux. Directeur Général de Renault déclara se joindre à l’Allemagne pour proposer « M. Thoenissen [comme] président garant [du] comité automobile européen (EAC) » à créer. Ce plan Le hideux, calqué sur l’allemand, respectait l’hégémonie du Reich, doté du marché de l’Europe centrale et nordique (Danemark, Finlande, Hongrie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Suède, Tchécoslovaquie). Il cantonnait la France, la Hollande, la Belgique, la Suisse et l’Espagne (consacrant son éviction de l’Europe orientale), et l’Italie à une partie de l’Europe balkanique (40% seulement en Grèce et Roumanie). « Il […] terminait en énonçant : “aucune voiture américaine” » la formule de Louis Renault pour Hitler le 21 février 1935. Comme on devait le déclarer « M. Lehideux n’a trouvé, au cours de ses tractations avec les Allemands, que des hommes d’une absolue bonne foi, dégagés de toutes mesquineries, animés du seul désir de servir la cause européenne. Et nous ne sommes pas peu fiers, ici, que ce soit l’industrie automobile qui soit la première à s’engager sur la voie d’un ordre nouveau. » Lehideux avait considéré comme « une affaire sérieuse » ce cartel qui « mettait l’industrie automobile française en tutelle pour 50 ans ! Si important que fût le cartel pour l’avenir, à la Libération, Le Hideux fût arrêté, incarcéré mais bénéficia d’un non lieu. Il présida « Le comité européen pour le progrès social et économique » et l’ « l’Association pour la défense de la mémoire du Maréchal Pétain. » Sa nièce fut dirigeante du Front National et depuis du Parti de la France, un des partis de l’extrême droite raciste et islamophobe.

[19François Mauriac, Le cahier noir, Editions de Minuit, 1943.

[20La CES a été fondée en 1973. Le 9 février 2005, le Comité Confédéral National (CCN) de la CGT, recommande le rejet de la Constitution européenne, contre l’avis du Secrétaire général Bernard Thibault et celui de la CES. Cette derniere critiquera la position de la CGT tout comme les résultats du referendum repoussé par une majorité de Français et massivement par les travailleurs !

[21Ce n’est d’ailleurs pas seulement contre la CGT que l’offensive est menée, mais aussi contre les autres organisations syndicales de classe où contre les militants qui, dans les syndicats réformistes, se réclament de positions de classe, en Italie, aux USA, en Belgique, en Angleterre notamment.



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mardi 24 décembre 2013 à 10h44 - par  chb

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