Israël a attaqué le village avec bulldozers, chiens et canons à eau puante

samedi 22 mars 2014
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Le 31 janvier, la campagne « Le sel de la terre » a été lancée par une action fortement symbolique, dénonçant l’annexion de la Vallée du Jourdain par Israël. Des centaines de Palestiniens ont fait revivre un ancien village dépeuplé depuis 1967, et placé sous contrôle militaire israélien. Après 7 jours de manifestations, les Israéliens ont attaqué le village avec des bulldozers, des chiens et des canons à eau puante. Chronique de l’assaut du village d’Ayn Hajla par Badia Dwaik, Palestinien et activiste des droits de l’homme.

On avait été discrètement informés que de jeunes militants de la résistance avaient décidé de revenir au village palestinien de Ayn Hajla dont les habitants ont été expulsés durant la guerre de 1967. Ayn Hajla est un territoire majoritairement cananéen appartenant à l’Eglise orthodoxe, sur lequel des maisons historiques faites de paille, de boue et de palmiers offraient un charme esthétique exceptionnel.

En soutien et en solidarité avec les manifestants pacifiques, j’ai rejoint ceux qui étaient parmi les premiers à atteindre le village palestinien dépeuplé. Nous l’avons nettoyé et débarrassé ses maisons de la boue et des ordures qui traînaient. Nous avons ensuite recueilli des branches sèches de palmier pour les brûler dans la nuit. Nous nous sommes divisés en équipes de travail, dont une équipe en charge de la distribution de la nourriture et une responsable de la sécurité.

Nous avons passé la nuit à organiser des activités inspirées par l’histoire et le patrimoine du village, comme la danse dabka, et à préparer des ateliers et des chants palestiniens appelant à la liberté, l’espoir et l’amour.

J’ai quitté le village avec ceux qui m’accompagnaient ce soir-là. C’était un voyage pénible en raison du siège que l’armée israélienne avait placé sur le village. Nous avons passé plusieurs heures sur la route. Néanmoins, j’ai décidé de revenir deux jours plus tard pour y passer la nuit, rejoint par des bénévoles de secours médicaux. Nous y sommes allés avec deux voitures, dont l’une était une ambulance, emportant avec nous de la nourriture et de l’eau potable. Lorsque nous sommes arrivés dans le village, l’armée a inspecté les deux véhicules et a confisqué la nourriture et l’eau. Nous avons compris que le siège se poursuivra jusqu’à ce que les militants aient été contraints de quitter le village.

Cette nuit-là, nous avons installé un grand écran pour regarder un film. Un groupe de Bédouins nous a rejoints dans un geste de solidarité, et nous avons commencé à danser et à chanter des chansons traditionnelles bédouines. Dormir était très difficile en raison de l’extrême froid, surtout à l’aube, et en l’absence de couvertures. Nous sommes restés jusqu’au soir du jeudi 31 décembre 2014, lorsqu’un grand nombre de personnes de toute la Cisjordanie se sont rassemblées pour la prière du vendredi dans le village.

Il avait été prévu que des centaines de personnes seraient venues le lendemain matin à Ayn Hajla, et effectivement, des groupes de jeunes femmes et d’ hommes sont arrivés, mais aussi des enfants accompagnés de leurs familles afin de rester dans le village. C’était une soirée exceptionnelle, durant laquelle nous avons célébré l’anniversaire de la naissance de la petite fille Ehd al-Tamimi avec d’autres qui célébraient le même événement ce jour-là.

Lorsque je me suis reposé sur une natte de couchage tandis que les autres étaient occupés à danser et à chanter, j’ai senti que le regard des Israéliens se posaient sur ​​nous. Mais ils ne sont pas intervenus. J’ai deviné que l’absence de la presse étrangère, contrairement à l’expérience de Bab al-Shams (lorsque des militants ont réalisé un « retour » au camp près de Jérusalem) a peut-être été l’une des raisons pour lesquelles les Israéliens nous avaient permis d’entrer et de rester dans ce village.

Une autre raison aurait pu être la préoccupation israélienne que des centaines d’autres pourraient nous rejoindre le vendredi matin suivant pour la prière du vendredi, ce qui signifie qu’il pourraient être des milliers, et cela rendrait la situation difficile à contrôler. Nous nous attendions à une agression de leur part depuis le début. Cependant, peu de temps après, j’ai entendu des voix demandant aux gens de rester dans les maisons et les tentes. Ensuite, il a été question d’une opération d’incursion.

Il était 01h30 ce vendredi, et immédiatement je me suis dirigé vers l’endroit où les forces d’occupation ont commencé à attaquer le village. Il y avait des centaines de soldats qui avaient apporté d’énormes bulldozers, des chiens et des canons à eau (dotés d’eau puante - mélange d’eau et de substance nauséabonde).

Accompagné de l’activiste Tamer Al Atrash, nous sommes allés évaluer le nombre de soldats et quand nous avons vu qu’ils étaient nombreux. Nous sommes rentrés et avons tenté de faire une chaîne humaine pour les empêcher d’attaquer le village. Tamer Al Atrash, Amad Al-Atrash et Imad Abu Shamssih sont venus avec moi dans la première rangée, et les soldats ont utilisé des bombes sonores pour générer la panique parmi nous, en plus de frapper sauvagement quiconque s’approchait d’eux.

Ils m’ont violemment traîné par le t-shirt sur quelques mètres, visage au sol, et ils m’ont frappé tandis qu’ils se tenaient debout sur mon dos. Ils ont essayé de me lier les mains derrière le dos et m’ont tordu douloureusement le bras. Je pouvais à peine respirer à cause du soldat debout sur ​​le dos ainsi que sur le cou, et c’est alors que j’ai senti mon corps faiblir. Je me suis réveillé après un certain temps, avec deux ambulanciers autour de moi, me poussant dans l’une des ambulances. Je suis entré et j’ai appris que les forces d’occupation avaient détruit le village avec les bulldozers en essayant d’évacuer les gens par la force . Elles ont également fait irruption dans l’un des monastères chrétiens près du village, et ont pulvérisé l’ensemble de liquide nauséabond.

Je n’ai pensé à mon fils qu’après avoir été dans l’ambulance car pour moi, il faisait partie du village et son sort lui était donc lié. Ce qui lui est arrivé arriva aux autres, il n’est pas mieux qu’eux. Nous avons été emmenés à l’hôpital en raison de l’état ​​critique de certains d’entre nous et de contusions graves des autres. Selon le personnel de l’hôpital de Jéricho, il y a eu 41 blessés. Seulement après avoir reçu le traitement, j’ai réalisé que j’avais tout perdu : mon argent, mon appareil photo et d’autres moyens d’enregistrer les événements, ce qui pour moi, sont la meilleure arme pour surveiller les violations des droits de l’homme de l’occupation et ses crimes.

Badia Dwaik le 19/03/2014

Transmis par Linsay



Traduction : Collectif Investig’Action
Pour contacter l’auteur de l’article : badia.dwaik@gmail.com



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