De Fralib à Scop-TI : le chemin de l’honneur ouvrier !

mardi 10 février 2015
popularité : 4%

C’est une longue histoire, 1 336 jours de lutte, plus de 3 ans et demie, depuis ce jour de septembre 2010 où ils ont levés la main pour dire leur accord d’occuper l’usine. Oui, imaginez : l’année où le gamin entrait en 6e, le même voit la victoire de son père et/ou de sa mère alors qu’il va passer son brevet. Ils ont résisté, la peur au ventre, et, parce que leurs représentants ont toujours eu la lutte de classe et l’intérêt des « ouvriers » chevillés au corps. Ils leur ont fait confiance et fait plier le capitalisme. Et voilà qu’aujourd’hui ils ont leur destin en main et une usine à faire tourner.

Quel courage, quelle volonté, quelle stratégie, presque une « foi » [1] qui a déplacé la montagne. Trois PSE [2] annulés. Après une décision du tribunal de Nanterre en octobre 2013, qui obligeait le groupe à verser des astreintes journalières [3] s’il ne proposait pas de quatrième PSE, Unilever a renoué le dialogue avec les représentants des salariés. La portée historique de la victoire des Fralib contre le Goliath UNILEVER n’a pas dépassé le niveau d’une simple anecdote en fin de journal de 20 heures… Pourtant, si le public savait ce qu’elle représente cette victoire…

Ils partirent 182, pour terminer 76 en arrivant au port

Sans l’intense solidarité dont ils ont su s’entourer ils n’auraient certainement pas tenu aussi longtemps. Dans cette histoire, sans le soutien de la Communauté d’Agglomération d’Aubagne [4], sans l’appui de la Fédération CGT de l’Agro-alimentaire, sans l’aide de toutes les organisations CGT du département et sans la campagne électorale des présidentielles de 2012 qui vit les candidats en mal de publicité venir leur faire part de leur « soutien », les choses auraient pu se passer différemment. Alors que le gouvernement Sarkozy, par l’intermédiaire de son sbire Xavier Bertrand faisait tout pour avantager Unilever, Hollande n’a rien fait ! [5]Mais ce fut suffisant pour que justice soit rendue.


Souvenirs, souvenirs...

C’est alors que la CUM [6] décide de préempter et d’acheter le terrain et les bâtiments pour plus de 5 millions d’euros. Unilever est dans les cordes, sa guerre juridique à outrance est désormais obsolète, la firme doit négocier.

Mais tout le temps qu’a duré ce combat, certains salariés ont craqué et se sont laissés attirer par l’argent d’Unilever, qui à la fin proposait rien de moins que 90 000 euros. C’est une somme énorme et si le couple travaille à Fralib, c’est un pavillon assuré. Que répondre à l’inquiétude familiale lorsque l’on rentre chez soi en ayant reconduit la grève ? Il faut ici reconnaître l’immense courage des familles des 76 salariés qui ont, contre vents et marées, soutenu (car ils devaient en entendre au marché ou à l’école...) cette lutte. Plusieurs d’entre eux avaient même l’opportunité de faire valoir leurs droits à la retraite, par solidarité ils ne l’ont pas fait !

Les mots manquent pour traduire cette volonté de fer, ce sentiment enraciné d’être dans le juste, jusqu’au bout. Et, pour une fois, les « versaillais » n’ont pas gagné.

« Parce ce que c’est aussi cela tenir. La vie au quotidien, la sienne, celle des siens. Quand on sait combien une action comme les trois semaines d’agressions violentes a secoué de cadres familiaux sociaux, imaginez ce qu’il faut de ténacité, de solidarité pour tenir trois ans et demi ! Ce qu’ils ont du essuyer de tempêtes personnelles en plus des coups de tabacs collectif. » [7]

Lors des AG, toutes les décisions sont prises en totale transparence des contraintes et des objectifs. Il n’y a jamais eu, de la part des représentants des salariés, de discussions cachées avec la direction. Ce qui est assez rare pour être souligné.

Le bilan de cette phase du combat de plus de 3 ans et demi confirme que seule l’action paie.


Pour rappel :

  • Appropriation publique des terrains et bâtiments,
  • Appropriation publique à l’euro symbolique des installations administratives et industrielles du site pour transfert à la SCOP des salariés,
  • Soutien financier au démarrage et au développement du plan alternatif des salariés en sécurisant les acquis obtenus et en ouvrant des perspectives sérieuses notamment par diverses mesures contribuant au développement commercial. Il s’agit notamment de : la recherche de débouchés de production, la construction d’une marque, le renforcement de l’appareil commercial et administratif, une étude de marché.
  • Une contribution conséquente au fonds de roulement
  • Le financement d’une formation pour les salariés de la SCOP
  • La participation à la remise en état, au développement, à la modernisation et à la diversification de l’outil de travail.
  • Maintien des institutions représentatives du personnel pendant une période suffisante permettant la maîtrise du dossier jusqu’à la création officielle de la SCOP,
  • Obtention d’une prime substantielle de préjudice pour chaque salarié en lutte venant s’ajouter aux indemnités légales,

Ce n’est qu’un début, la lutte continue...

Après 1.336 jours de résistance, les salariés de Fralib ont finalement obtenu d’Unilever la signature d’un accord de sortie de conflit.
Concernant le montant des indemnités, Gérard [8] aura cette réponse : « on ne s’est jamais battu pour l’argent mais pour l’emploi. Ce qu’on a obtenu en fin de compte c’est juste notre dû. On l’a obtenu non pas en allant signer seul en catimini un papier au coin d’un bureau, mais par la lutte collective en toute dignité ».

Et puisqu’il faut parler chiffres juste quelques éléments :


La lutte a arraché à UNILEVER 20 millions d’euros !
Dans cette somme on peut citer entre autres :

  • 500 000€ pour la formation des ouvriers
  • 150 000€ pour la commercialisation
  • 1,5 million€ pour le fonds de roulement
  • 100 000€ chacun en plus des indemnités légales…

Le plus dur est sans doute fait, mais, maintenant, créer une « scoop » n’est pas une affaire simple.

Deux fers au feu : une marque propre bio et une production pour la grande distribution

Comment passer de chômeur en sursis à responsable de sa propre entreprise ? Car les questions administratives à régler sont nombreuses. En fait, comme l’annonce Olivier [9], un sourire en coin, « nous sommes encore des squatters légitimes de notre usine ! » En effet, ils ne sont ni propriétaire du terrain, ni de l’usine, mais ils paient l’eau, le gaz, l’électricité et les assurances...


Olivier Leberquier lors des voeux des Rouges Vifs 13

Car la négociation avec la CUM [10] est délicate. En tant que chiens de garde du capitalisme ils voient d’un mauvais œil un projet sans patron et d’un autre côté ils ne peuvent pas se permettre de couler un projet d’une telle notoriété marseillaise et provençale. A priori les discussions devraient aboutir d’ici peu.

La scoop est crée, elle s’appelle « Scop-TI » et les responsables ont fait le choix d’utiliser des prestataires extérieurs pour assurer la commercialisation de leurs produits. « C’est un métier qui n’existait pas chez nous. » m’assure Olivier comme pour s’excuser. Pourtant il a raison. S’en tenir à ce que l’on sait faire est primordial pour la réussite du projet, on ne s’improvise pas commercial du jour au lendemain.

En ce qui concerne la marque propre Scop-TI, l’idée de ressusciter une production locale de plantes aromatiques a germé dans l’esprit des «  Fralibs  » depuis plusieurs années. «  L’usine a été créée sur cette logique de proximité. Mais Unilever avait fini par commercialiser pour sa marque française du tilleul d’Amérique latine transformé en Allemagne  », critique Olivier.

La production de tilleul, qui offrait des compléments de revenus à de nombreuses exploitations de Provence, de Rhône-Alpes et du Sud-Ouest, est tombée à 10 tonnes aujourd’hui, c’est-à-dire quarante fois moins que dans les années 2000. Un premier pas vers ce projet a été franchi en septembre dernier à l’occasion de la remise en route des machines  : la production de 100.000 sachets «  militants  » de tilleul bio provenant d’une exploitation de Buis-les-Baronnies (Drôme) [11].


Les premières boites de thé.

Dans une même logique de proximité, viendront ensuite toutes les « herbes » de la Provence : verveine, camomille, thym, romarin, sauge, sauge, sarriette, marjolaine, menthe... Et tout cela certifié bio.

La Scop T.I. prévoit également de commercialiser sous son appellation, du thé vert haut de gamme issu d’une coopérative vietnamienne de Yên Bái (Thé issu d’arbres à thé centenaires) en passe d’obtenir la qualification bio. Ils ont également des projets avec Madagascar, le Laos, la Chine et le Kenya. Gageons qu’il sera là encore question de commerce équitable...

Mais tout cela ne suffit pour faire tourner les machines toute l’année. Alors, ils se tournent vers des « marchands de thé » qui peuvent aussi bien approvisionner Unilever que Scop-TI. « Pour eux l’argent n’a pas d’odeur ! » comme me le confirme Olivier en souriant. Deux entreprise (l’une en France, l’autre en Allemagne) semble partantes pour leur fournir les 600 tonnes annuelles de thé indispensables à la rentabilité de la scoop. Cette production de sous-traitance est essentiellement destinée à la grande distribution.

Attention, la rentabilité dont on parle est une rentabilité à la manière « Fralib », c’est à dire pour permettre le versement des salaires, la maintenance de l’outil de production, le fonctionnement normal de l’administration, la rétribution des intervenants extérieurs et l’indispensable modernisation, sans parler du marketing et d’un minimum de publicité. Pas question d’enrichir des banques ou des actionnaires autres que les adhérents de la scoop.

Le démarrage officiel de Scop-TI est prévu pour le ... 1er avril 2015. Alors nous découvrirons le nom de leur production, les embauches [12] pourront avoir lieu et l’aventure industrielle des anciens de Fralib commencera.

Une histoire de lutte, de solidarité et de fraternité se terminera, une histoire d’entreprise hors norme débutera et rejoindra celle de la Fabrique du SUD avec leur marque la « belle Aude » [13]

La preuve est faite : l’entreprise ne peut pas fonctionner sans les « ouvriers », mais elle peut se passer des patrons. Qu’on se le dise...

JP avec OL


[1seule lutte paie !

[2Plan de Sauvegarde de l’Emploi selon les patrons, Plan de Sabordage de l’Emploi selon les « fralibiens »

[33000 euros par jour les 15 premiers jours puis 10 000€

[4La ville d’Aubagne avait alors un maire communiste

[5Qui a dit « comme d’hab ?

[6Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole dont le président est socialiste

[7Alain Chancogne, le 29 mai 2014 dans Rouge Midi.

[8Gérard Cazorla, secrétaire CGT du CE de Fralib

[9Olivier Leberquier représentant du personnel CGT

[10Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole dont le président cette fois est UMP

[11En vente sur le stand de Rouge Midi lors de la fête de l’Huma

[12Les 14 salariés protégés bénéficient encore de 12 mois de salaires payés par Unilever, les autres seront en fin de droit en mai prochain.



Commentaires

Logo de Ermanito_che
mardi 24 février 2015 à 13h52 - par  Ermanito_che

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur