L’Uber capitalisme est pour aujourd’hui

samedi 13 juin 2015
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Aux États-Unis, une révolution est en cours, mais c’est une révolution capitaliste. Au coeur du système, on trouve toujours le capital, mais cette fois-ci le capital, c’est vous. « Il n’est de richesse que d’hommes », comme le disait ce pauvre Jean Bodin, humaniste de la Renaissance, usé par une palanquée de discours de patron du CAC… Sauf que cette fois-ci, c’est vrai : grâce au capitalisme 2.0, Internet permet l’exploitation du capital de l’homme par l’autre homme. Voilà comment vous allez pouvoir les enrichir en croyant devenir riche…

Une révolution qui prend le taxi

Aux États-Unis, désormais, tout est « Uber ».
Uber : terme qui désigne à la fois le superlatif et l’entreprise de chauffeurs privés, valorisée plus de 40 milliards de dollars. Un chauffeur Uber, c’est en réalité un peu un Untermensch. La promesse ? Devenir son propre patron, en utilisant sa voiture personnelle à ses moments perdus pour se transformer en chauffeur. À l’arrivée, pour l’entrepreneur libre, c’est la découverte de la servitude volontaire. S’enchaîner au volant, dépenser beaucoup d’heures, pour gagner quelques euros. Par rapport à un taxi, perdre un peu sur chaque course, mais se rattraper sur la quantité. Dans le système Uber, il n’y a qu’un seul gagnant : Uber. Ultime illustration de la règle fulminée par le vieux Marx : « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux. » Si Uber n’enrichit pas les chauffeurs, il ruine les taxis.

Demain, tous ubérisés ?

Vous vous en fichez, parce que vous n’êtes pas taxi ? Vous avez tort, car tout métier risque aujourd’hui d’être uberisé. L’uberisation, c’est la mort de l’intermédiaire, la destruction des marchés captifs. Vous habitez quelque part ? Alors, vous pouvez devenir hôtelier. Vous êtes bricoleur ? Vous pouvez mettre en location votre perceuse. Plus rien ne vous protégera, ni votre plaque de taxi, que vous soyez banque ou librairie, l’uberisation vous menace désormais. Et dire qu’il s’est trouvé un auteur — Jeremy Rifkin — et une gauche — la nôtre — pour tenir Uber pour un espoir. Car Uber marque le sacre du capital dans ce qu’il a de chimiquement pur. Sa philosophie ? La capital ne doit jamais dormir, et tant pis pour ceux qui sont fatigués. Vous avez un capital, votre appartement, votre perceuse. Et bien, il doit devenir rentable, voilà le nouvel impératif catégorique. L’économie du partage vise en réalité une nouvelle fois à partager le bénéfice. ET, par nature, ce partage relève du commerce inéquitable.

Tout ce qui peut s’acheter doit être vendu

Louons cette nouvelle économie où tout doit être loué. Et ce que les uns veulent acheter, il faut leur vendre. Vendre, y compris tout ce que l’on n’avait jamais songé à acheter, comme les réservations au restaurant. Tout le monde veut dîner au même endroit au même moment. Résultat : l’anarchie. Le marché peut mettre bon ordre à ce désordre, en vendant les réservations. Peu importe que les restaurateurs soient ou non favorables à ce principe, peu importe d’ailleurs qu’ils n’en profitent pas. L’Uber capitalisme se fiche pas mal des conventions, de l’économie, qui considère qu’une réservation n’est pas un « service », puisqu’elle n’existe pas indépendamment du restaurant dans lequel elle est effectuée. À Wall Street, une maxime dit : « No free lunch », pas de repas gratuit. Comprenez : toute opération spéculative comporte un risque. Mais il y a mieux maintenant. Non serulement plus de repas gratuit, mais plus de réservation gratuite non plus. Au restaurant aujourd’hui, chez le médecin demain, et après-demain, peut-être, dans les écoles.

Uber vous doit aussi la lumière

Uber veut bouleverser l’économie. Il lui faut notamment révolutionner les utilities, l’ensemble des biens et services nécessaires au fonctionnement d’une société, depuis les routes jusqu’à l’énergie. Un exemple : vous n’aviez jamais songé à concurrencer EDF. À partir d’aujourd’hui, c’est possible grâce à la société américaine Tesla. D’ores et déjà, cette compagnie vous propose d’acheter moyennant 3 000 dollars une batterie susceptible de stocker l’électricité dont votre maison a besoin. Dans quel but ? Emmagasiner de l’électricité lorsque celle-ci est bon marché, au tarif heures creuses. Mais aussi et surtout stocker l’énergie produite par vos propres soins, grâce à une éolienne domestique ou à des panneaux solaires. Et si vous avez de l’énergie en trop ? Eh bien, l’uberisation vous permet désormais de la vendre. Grâce à Internet, vous pourrez par exemple négocier vos kilowatts surnuméraires avec votre voisin. Le smart grid, le réseau intelligent, sera capable d’organiser la rencontre de l’offre des uns avec les demandes des autres.

En économie, nous sommes en 1792

L’uberisation du réseau électrique révèle l’étendue des bouleversements à venir. Pour ce qui est des conséquences d’Internet, et de l’informatique, nous sommes encore en 1792. Car ces bouleversements s’inscrivent dans la droite ligne de ce qui s’est produit lors du passage au micro-ordinateur. Auparavant, les machines étaient de grosses marmites ; avec le personal computer, le systèmes sont passés au petit chaudron. C’est ce qui est aujourd’hui possible avec l’énergie. Les compagnies électriques nationales étaient de vastes marmites, si chaque ménage se dote des moyens de produire et de stocker son énergie, alors l’électricité deviendra disponible sous forme de petit chaudron. Une évolution technologique qui marque en réalité une évolution idéologique : un approfondissement du libéralisme. Car l’utopie proposée par Uber consiste à en finir avec les rentes, et ne plus laisser qu’un seul monopole : celui d’Uber. Le but de la manoeuvre ? Donner tout pouvoir à l’Homo œconomicus et laisser libre cours aux lois du marché. C’est Marx qui avait raison : la technologie, à la fin, ça se termine comme de l’idéologie.

Guillaume Erner
Texte publié dans Charlie Hebdo N° 1192, 27 mai 2015

Transmis par RT




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