L’Arabie saoudite réprime ses opposants et soutient les djihadistes

mardi 6 octobre 2015
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La menace de mort et de crucifixion pesant sur Ali Al Nimr, 21 ans, est symptomatique d’un régime répressif, allié docile de l’Occident capitaliste, poussé pour sa survie à soutenir les groupes djihadistes dans la région afin d’empêcher l’émergence de régimes démocratiques.

Depuis le 21 septembre, l’Arabie saoudite est membre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Ni les États-Unis, pour qui la monarchie saoudienne est une chasse gardée, ni l’Union européenne et encore moins la France – 10,3 milliards de dollars de contrats signés en juin et 3 milliards d’achat d’armes en septembre avec Riyad – n’y ont trouvé à redire. Pourtant, il y avait matière à s’opposer à la promotion d’un des régimes les plus durs au monde où la décapitation en série est devenue presque banale. Ainsi en va-t-il pour Ali Mohammed Al Nimr, vingt ans, dont la décapitation au sabre, puis la crucifixion, peuvent intervenir à tout moment. Deux autres prévenus, ainsi que le dignitaire chiite Cheikh Nimr Baqer Al Nimr, condamnés pour les mêmes motifs, sont dans le même cas. Leur crime ? Avoir manifesté lors du printemps arabe en 2012 (Ali n’avait que dix-sept ans), à Qatif et à Awamiyeh, dans cette région de l’est de l’Arabie, qui regorge de pétrole, où les chiites, pourtant majoritaires, discriminés et stigmatisés, sont écartés des affaires. Cette condamnation pour «  hérésie  » est intervenue après celle de trois autres protestataires – deux peines capitales et une peine de douze ans de prison – pour avoir manifesté contre le régime. Son exécution, qui portera à 134 le nombre de personnes décapitées depuis le début de l’année, a bien entendu une visée politique : un avertissement à la minorité chiite.

Déjà le 7 mai, des Parisiens se mobilisaient en faveur du jeune blogueur Raif Badawi, accusé d’insulte à l’Islam. Photo : Stéphane de Sakutin AFP

Dans ce royaume allié stratégique des États-Unis, auquel la France ne cesse de faire la cour, les exécutions au sabre ont lieu en public, parfois sur un simple parking bordant un hypermarché – Carrefour et Auchan et plusieurs enseignes françaises sont d’ailleurs présents –, comme ce fut le cas de cette jeune Birmane en janvier dernier.

Les autorités invoquent la dissuasion pour justifier ce type d’exécution, voire la flagellation, les amputations de main pour vol, ou la lapidation, cette dernière étant de moins en moins pratiquée. Avant Ali Al Nimr, le jeune blogueur Raif ­Badawi, accusé d’apostasie et d’insulte à l’islam, a été condamné à dix ans de prison et 1 000 coups de fouet à raison de 50 par semaine (il n’a subi qu’une seule séance). Et, suite aux protestations internationales, sa peine pourrait être revue à la baisse.

La police religieuse veille à ce que tout le monde se rende à la mosquée

Dans cette monarchie théocratico-­féodale, seul État au monde à porter le nom d’une dynastie, celle de la caste des Saoud, où le wahhabisme, doctrine ­politico-religieuse tirant son nom de son fondateur Mohammed ben Abdelwahhab (mort en 1792), fait fonction d’idéologie officielle et de Constitution, il n’y a ni partis, ni syndicats, ni liberté d’expression, de presse ou de manifestation, ni théâtre, ni cinémas, et les femmes ont l’interdiction de conduire une voiture. Les commerces et administrations sont contraints de fermer aux heures de prière. Et la police religieuse veille à ce que tout le monde se rende à la mosquée.

Certes, conscient de cet état de fait, l’ex-roi ­Abdallah, décédé en début d’année, a tenté d’initier quelques réformes très prudentes afin d’ancrer son pays dans l’ère moderne. Premier producteur mondial de pétrole au monde – l’Arabie détient les deuxièmes plus importantes réserves pétrolières au monde –, employant une main-d’œuvre immigrée estimée à 6 millions d’individus (30 % de la population du pays) payée au lance-pierres, et disposant de réserves de change de 600 milliards de dollars, le régime saoudien a dû investir dans l’éducation et la formation pour faire face à ses besoins. Sur une population de 30 millions d’habitants, plus de 60 % ont moins de 30 ans. Ces jeunes, dont beaucoup sont des diplômés de l’enseignement supérieur – plusieurs milliers ayant été formés dans les grandes universités anglo-saxonnes – aspirent, à l’instar du blogueur Raif Badawi, à vivre avec leur temps. Qui plus est, l’émergence de classes moyennes – universitaires, hommes d’affaires, journalistes, intellectuels – et leur intérêt pour la condition des femmes tentent de bousculer, au prix de leur ­liberté, le carcan wahhabite. Ainsi en a-t-il été de trois personnalités saoudiennes de la société civile – Ali Al Demaïni, Abdallah Al Hamed et Matrouk Al Fatah – condamnés en 2005 à des peines de 6 à 9 ans de prison pour avoir adressé une pétition, signée par 116 autres personnes aux autorités, demandant l’instauration d’une «  monarchie constitutionnelle  » en utilisant «  une terminologie occidentale  »  !

Le redoutable pouvoir de la Ligue islamique mondiale

Cette répression interne visant à étouffer toute voix libre est complémentaire de la politique de soutien aux islamistes salafistes dans la région. La dynastie saoudienne, cette alliée docile de Washington, a toujours vu d’un mauvais œil les ­entreprises de démocratisation dans la région. Son rêve – la survie du régime wahhabite en dépend – est de voir le monde arabe et maghrébin peint aux couleurs vertes, avec l’instauration de dictatures religieuses allant du golfe ­Persique à l’Atlantique et, partant, de faire pièce à l’Iran chiite, considéré comme une menace pour son monopole sur le monde musulman. Et, pour ce faire, elle met les moyens.

En plus du monopole religieux que le régime saoudien s’est attribué via le pèlerinage de La Mecque, elle dispose à travers la Ligue islamique mondiale (LIM), ayant un statut d’ONG, d’un redoutable pouvoir de nuisance. Cette organisation, qui dispose d’un fonds de plusieurs milliards de dollars – officiellement des dons de particuliers –, finance, sous prétexte de propagation du message religieux ou de défense des minorités musulmanes (Bosnie, Tchétchénie, Ouïgours en Chine) des mouvements islamistes, parmi lesquels les Moudjahidin afghans (dans les années 80), l’«  État islamique  » (« EI »), le Front al-Nosra (branche syrienne de al-Qaida) et d’autres groupes islamistes syriens, yéménites ou russes, voire Aqmi au Sahel. Sans la manne financière de Ryad et d’autres États du Golfe, ces mouvements radicaux qui disposent d’une redoutable efficacité – la force armée de l’« EI » est supérieure à celle de la Jordanie – ne ­seraient que de simples groupuscules terroristes.

Le pétrole, l’autre arme utilisée 
par les Saoudiens

Autre arme utilisée par l’Arabie saoudite à l’endroit de ses adversaires, le pétrole. À travers une stratégie délibérée de baisse des prix du baril – une offre supérieure à la demande – motivée par la production du pétrole de schiste (ce dernier ne serait pas rentable en dessous de 60 dollars), les Saoudiens visaient en réalité l’affaiblissement de la Russie et de l’Iran (mais aussi de l’Irak), alliés de la Syrie de Bachar Al Assad. Reste à savoir si Riyad, qui a déjà perdu plus de 100 milliards de dollars en 2015, et qui doit financer sa guerre au Yémen, va poursuivre une stratégie préjudiciable à terme pour ses intérêts.

Hassane Zerrouky
L’Humanité, 30 septembre 2015

Transmis par RT




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