Abdoulaye

lundi 23 octobre 2006
par  Charles Hoareau
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Abdoulaye vivait en France depuis plus de 12 ans et avait même atteint le seuil fatidique (et en principe protecteur) des 10 ans de présence et cela avant que Sarkozy ne modifie la loi et rende cette « protection » caduque.
Il aurait donc du, au nom de la loi, être régularisé.

Abdoulaye, vivant seul à Marseille travaillait depuis plus de 3 ans dans une petite entreprise de mécanique qui, fait rare, le déclarait. Il cotisait donc à la protection sociale et son travail participait à l’enrichissement de la France.

Son employeur, au delà du fait qu’il trouvait normal de garantir au salarié qu’il employait un minimum de droits, était tellement content d’Abdoulaye, que lorsqu’on a arrêté ce dernier il est immédiatement intervenu personnellement auprès de la police et des autorités pour qu’il soit relâché. Il garantissait qu’il le reprenait dès sa sortie de prison, qu’il était très satisfait de lui et qu’il voulait le garder ne souhaitant pour lui qu’une chose, qu’il ait des papiers afin de vivre comme tout le monde sans avoir à redouter des petits riens comme un banal contrôle de la route qui peut transformer votre vie en cauchemar.

Abdoulaye faisait partie des 193 sans papiers dont la liste avait été remise au préfet au terme d’un engagement de celui-ci à l’étudier avec « un Å“il bienveillant »...mais que vaut la parole d’un préfet par les temps qui courent ?

Abdoulaye, membre du collectif sans papiers des Bouches du Rhône, a été déclaré comme mon filleul au cours de la cérémonie qui a été organisée cet été à la mairie des quartiers nord de Marseille.
Cela ne lui donne aucun droit, mais me donne des responsabilités supplémentaires à son égard. Disons pour simplifier que s’il y a des échelons dans la solidarité, il doit être en principe en haut de cette échelle de la fraternité que l’on gravit tous les jours depuis ce fameux 17 novembre 1993, jour de la première manif de sans papiers à Marseille, entre le palais de justice et la préfecture et à laquelle Baba, sénégalais comme Abdoulaye, avait pris la parole...

Abdoulaye a donc été arrêté mardi 10 octobre à la sortie de son travail et emmené illico au tout nouveau centre de rétention du Canet magnifiquement équipé de grilles, barbelés et systèmes anti-évasion dernier cri. Ce centre possède une autre particularité : c’est de contenir en son sein une antenne du Tribunal de Grande Instance sans doute pour éviter aux « hébergés » (c’est le terme officiel !) des déplacements inutiles et fatigants...

Dès le vendredi 13 à la 1re heure Abdoulaye passe devant le si mal nommé juge des libertés : et dire qu’il y en a qui se plaignent des lenteurs de la justice ! Prévenu le mardi soir il a fallu pour le comité de soutien, en 48h, trouver l’avocat, construire le dossier de défense et mobiliser des camarades afin qu’ils soient présents à l’audience....Et à chaque arrestation c’est la même course...

On se retrouve une cinquantaine devant les grilles : des militant-e-s syndicaux (dont la secrétaire générale de la CGT 13), politiques, associatifs...et une vingtaine « a le droit » d’assister à la parodie d’audience expédiée en une dizaine de minutes au cours de laquelle le maintien en détention sera confirmé.

Devant la prison

Avez vous remarqué vous aussi comment dans tous les procès de ce type opposant la force de la légitimité, à l’injustice de la légalité, qu’il s’agisse du droit du travail, du logement ou des sans papiers, ceux qui sont dans le camp du pouvoir parlent à voix basse comme s’ils récitaient pour eux seuls une litanie honteuse, alors qu’au contraire le défenseur des droits de l’homme aura à cÅ“ur de parler à voix haute pour prendre l’opinion à témoin ?

Si cela ne change pas la décision cela a au moins le mérite de conforter l’assemblée présente sur la justesse du combat. La décision étant mauvaise il y a donc dès le lundi suivant l’appel à Aix sur la détention et le référé au tribunal administratif sur le droit d’Abdoulaye à rester en France. Négatifs tous les deux. Sa sÅ“ur a beau pleurer, tenter d’expliquer, d’avancer des arguments de l’ordre du seul respect humanitaire, cela ne compte pas...La CGT envoie un dernier fax au préfet, lui rappelant ses engagements : pas de réponse...

A partir de là il faut guetter les avions. Vendredi 20 à partir de 5h du matin une cinquantaine de militant-e-s se retrouvent à l’aéroport et interpellent par tracts les passagers encore endormis. Les copains de l’aéroport sont évidemment en première ligne qu’il s’agisse de ceux d’Air France ou des autres entreprises intervenant sur le site. J’arrive à joindre Abdoulaye au téléphone, il est dans un fourgon quelque part sur le tarmac. Il veut s’opposer à son départ. Puis plus rien.

5h à l’aéroport

On sent les policiers nerveux, l’avion est retardé suite à une grève des bagagistes... Que se passe-t-il ensuite ? Les informations divergent : aurait-il été menacé, voire victime de brutalités ? Toujours est-il que nous comprenons à retardement qu’il a été expulsé sous notre nez sans que nous ne puissions rien faire...

On a évidemment tous un goût d’amertume dans la bouche et chacun de réfléchir à la tactique à employer en vue des prochaines expulsions dont nous aurons connaissance...

En attendant Abdoulaye a retrouvé le village de Rufisque sur la côte Atlantique, à l’est de Dakar.

Statistiquement il y a un emploi de mécanicien à prendre à Marseille et 4 chômeurs de plus au Sénégal*.

Loin des statistiques il y a au moins une famille qui vient de basculer dans une misère encore plus grande ...et des blessures qui saignent de part et d’autres de la Méditerranée...


*voir article Pourquoi des sans papiers (I) et les statistiques sur l’immigration.



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