Les mauvais coups de Mandelson (I)

samedi 28 octobre 2006
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Voici, en deux chroniques, l’illustration de la capacité de nuisance d’un Commissaire européen doté de pouvoirs énormes. Il s’agit du Commissaire au Commerce. Il s’appelle Peter Mandelson. Un social démocrate totalement acquis au capitalisme dérégulé, au libre-échange sans entrave, à la dictature des marchés et des marchands. En notre nom, au nom des 25 États, ce Commissaire dispose, en vertu du traité européen (art. 133), du pouvoir de négocier dans tous les domaines du commerce mondial et notamment à l’OMC. Sur la base d’un mandat extrêmement libéral, défini en 1999 et inchangé depuis lors, et avec l’appui d’un comité (comité 133) où sont représentés les 25 gouvernements de l’Union.

Premier exemple. Le 25 septembre dernier, Mme Schwab, ministre du commerce des USA, annonce, à Washington, que les USA et l’Union européenne viennent de conclure un accord sur les services au terme de deux ans de négociations ultra secrètes qui concernent également 15 autres pays. Deux jours plus tard, embarrassé, Mandelson rend public un communiqué dans lequel, très sérieusement, il se réjouit que cet accord préserve le « modèle européen de services publics ». Alors que, jamais, la Commission européenne n’utilise l’expression « service public » qu’elle considère vague et intraduisible dans toutes les langues européennes - on appréciera le sérieux de cette argumentation - Mandelson, pris au dépourvu par l’annonce américaine, pare au plus pressé et s’efforce de prévenir les questions et les critiques que cet accord risque de provoquer sur un des sujets qui fâche : l’avenir des services publics en Europe.

Cet accord s’inscrit dans le cadre de la mise en Å“uvre de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) régi par l’OMC. L’Europe, au nom des États membres et pour ce qui les concerne, a pris une série d’engagements en vue de supprimer les entraves légales ou réglementaires au commerce des services dans divers secteurs et dans les quatre manières dont un service peut être fourni : fourniture d’un pays vers un autre, usager d’un pays faisant appel à une activité de service dans un autre pays, investissement d’un fournisseur de service d’un pays dans un autre pays et appel temporaire par un employeur d’un pays à du personnel en provenance d’un autre pays. Ces engagements ont été pris à des moments différents. D’abord, lors de la signature de l’AGCS en 1994, quand l’Union comptait 12 pays. Ensuite en 2003, quand elle en comptait 15.

L’élargissement de 2004 a rendu indispensable une harmonisation des engagements européens de libéralisation de ses services. Cette harmonisation impliquait des modifications dans les engagements pris soit par l’Europe des 12, soit par chacun des 13 États qui l’ont rejointe ensuite. Mandelson en a profité. D’abord, en étant la première à utiliser l’article 21 de l’AGCS qui traite de la possibilité de modifier les engagements, l’Europe entend démontrer que toute modification doit demeurer un exercice coûteux afin d’éviter qu’à la suite d’élections, des gouvernements plus soucieux de préserver l’intérêt général reviennent sur les engagements pris par leurs prédécesseurs. Mandelson a donc proposé aux autres États membres de l’OMC de réclamer à l’Europe les compensations prévues par l’article 21 lorsqu’un État estime que ses entreprises sont lésées par la modification des engagements d’un autre État.

Tout a commencé en mai 2004 quand, soutenue par les 25 gouvernements de l’Union, l’Europe a présenté à l’OMC un document décrivant comment elle entendait modifier les engagements européens. Quelques jours plus tard, l’Europe obtenait que ce document soit classé « secret » et référencé S/SECRET/8. Le secret a été confirmé lors d’une réunion du Conseil du Commerce des Services le 10 novembre de la même année. Deux ans plus tard, ce premier document est encore secret.

Dix-sept pays ont réagi et demandé l’ouverture de négociations en vue d’obtenir des compensations. Elles viennent de se conclure. Pas un parlementaire, national ou européen, par un citoyen n’est informé de ce que l’Europe a proposé, de ce que les dix-sept pays ont demandé comme compensation, des concessions faites par l’Europe et encore moins du contenu de l’accord intervenu. Seuls les gouvernements ont été associés à cette négociation via le comité 133. Or, on sait par une étude publiée l’an passé par la Rand Corporation, un « think tank » américain, que les entreprises de services américaines vont très largement profiter de ces négociations. Et Mme Schwab n’a pas gâché son plaisir en déclarant que ces négociations ont apporté « un ensemble significatif de compensations par lesquelles l’UE et ses États membres vont offrir de nouvelles opportunités aux fournisseurs de services américains ».

Chacun sait que les activités de services sont au cÅ“ur de notre vie quotidienne et que la manière dont elles sont organisées définit un modèle de société. Comment peut-on accepter que de tels choix se fassent dans le plus total secret ? Comment peut-on accepter que plus l’Europe avance, plus la démocratie décline ?

Paru dans le Journal du Mardi du 24 octobre 2006



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