Farces et attrapes d’une fin de règne en République démocratique du Congo

dimanche 18 décembre 2016
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Une partie de football hallucinante s’est tenue le 5 novembre sur le terre-plein du boulevard triomphal, à Kinshasa, à un jet de pierre du Palais du peuple où siège l’Assemblée nationale.

Des policiers, puis des jeunes encadrés par des policiers, ont joué toute la journée, pendant onze heures. Ce match absurde s’est soldé par un score fantaisiste de plus d’une centaine de buts, visant surtout à empêcher les manifestants de l’opposition de converger vers ce grand boulevard pour crier : « Kabila, dégage ! », comme ils l’ont fait le 31 juillet dernier, puis les 19 et 20 septembre.

C’est un mélange d’Ubu roi et de Kafka qui se joue sur les rives du fleuve Congo… Dans la dernière pochette surprise du président Joseph Kabila, le 17 novembre, se trouvait un premier ministre, en la personne de Samy Badibanga. L’ancien chef du groupe parlementaire du grand parti d’opposition l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) a été nommé contre toute attente chef du gouvernement. Une manière de diviser l’opposition et de semer le trouble, en incitant des cohortes de candidats à des postes ministériels à faire la queue à la porte de Samy Badibanga, plutôt qu’à se préparer à une insurrection en décembre.

Réaction du cinéaste congolais Balufu Bakupa-Kanyinda, professionnel de la mise en scène et passionné de politique, auteur du film de fiction Le damier en 1996 : « Le but du “dialogue”, ou plutôt du monologue national qui a convenu d’un “accord” le 17 octobre pour reporter les élections à avril 2018 n’était que le partage du gâteau national autour de la mangeoire. Les bénéficiaires, issus d’une frange marginale de l’opposition, donnent le gage d’une prolongation anticonstitutionnelle de la présence de Joseph Kabila à la présidence, au delà de la date prévue de la fin de son mandat. Joseph Kabila, qui ne fait plus qu’expédier les affaires courantes, s’enferme dans le mensonge que lui servent les anciens mobutistes dont il s’est entouré. La nomination de Samy Badibanga fait partie du jeu surréaliste que les caïds de Kinshasa se jouent, en ignorant complètement l’état misérable généralisé du pays. Lors de son dernier discours à la nation, le 15 novembre, le président Kabila a laissé la nette impression de vivre dans une douce fiction, se référant à des réalités d’un autre pays que la RDC. Je ne connais pas Moïse Katumbi personnellement, mais je trouve qu’il a une logique, qu’il suit une ligne cohérente. »

Un plan de la dernière chance

De son côté, l’opposant Moïse Katumbi, principal rival de Joseph Kabila, garde les pieds sur terre. Il a proposé au nom du Rassemblement, le large front de l’opposition dont il fait partie avec le chef de l’UDPS, Etienne Tshisekedi, un scénario de sortie de crise qui empêcherait un soulèvement populaire et un prévisible bain de sang le 20 décembre. L’idée : contraindre Kabila à s’engager clairement à ne pas briguer de troisième mandat, et organiser plus rapidement les élections en 2017, avec une nouvelle Commission électorale.

Lire aussi Tierno Monénembo, « En Afrique, le retour des présidents à vie », Le Monde diplomatique, décembre 2015. L’information ne fait pas les gros titres de la presse internationale, mais la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), qui représente une église catholique très organisée et influente en RDC, fait des allers-retours depuis quelques semaines entre le pouvoir et l’opposition dite « radicale », pour parvenir au dialogue réellement inclusif que préconisent les puissances occidentales. Selon nos informations, la Cenco a été mise en avant comme meilleur médiateur possible par les chefs d’État des pays voisins de la RDC, lors du sommet à huis clos qui s’est tenu sur la crise congolaise à Luanda, en Angola, le 26 octobre dernier.

Depuis, le Rassemblement a fait un compromis important : accepter le maintien au pouvoir de Joseph Kabila pour quelques mois, le temps d’organiser les élections, en lui indiquant une porte de sortie honorable — sénateur à vie.

L’entêtement de Joseph Kabila

Seul problème, nous confie Moïse Katumbi depuis Washington, où il a présenté le 29 novembre son plan « de la dernière chance » devant l’influent cercle de réflexion The Atlantic Council : « Kabila s’entête. Nous cherchons à éviter que le sang coule en l’invitant à partir pacifiquement, mais il croit que les Congolais ne feront rien s’il s’en tient à l’accord politique du 17 octobre. Il se trompe. Le 20 décembre, il ne sera plus président. S’il écoutait les conclusions du Rassemblement pour sauver le pays, personne n’irait tout casser pour que des élections se tiennent dans quelques mois. Il s’entête et va utiliser la force, mais pas pour longtemps ».

Les farces et attrapes de la vie politique congolaise menacent clairement de virer au drame, le 20 décembre. « Le drame a commencé le 5 septembre 1960, s’irrite le cinéaste Balufu Bakupa-Kanyinda. Ce qui se passe aujourd’hui a déjà eu lieu. C’est un drame cyclique. Quand les Belges incitent Joseph Kasa-Vubu [premier président du Congo indépendant de 1960 à 1965] à démettre Patrice Lumumba, ils l’invitent à ne pas respecter la loi fondamentale : un président non élu se permet de limoger un Premier ministre élu dans un système parlementaire… Ensuite, le 14 septembre 1960, Mobutu fait son premier coup d’État. Depuis, le Congo se trouve à la marge. Les politiciens congolais se nourrissent de cette marge. Ils n’ont aucune parole. »

Sabine Cessou, 6 décembre 2016

Transmis par Linsay



Joseph Nkifambiyavanga Lumumba, 34 ans, qui témoigne dans Le Monde diplomatique de décembre, arbore un look de sosie parfait avec le père de l’indépendance. Il a bientôt l’âge qu’avait le héros national quand il a été assassiné en 1961, à 35 ans. Ce jeune opposant, qui participe au côté théâtral de la vie politique de son pays, avoue qu’il n’a guère de succès auprès de la gent féminine à cause de son « look de vieux papa ». Mais il s’en moque éperdument. Son principal objectif, qu’il prend très au sérieux, consiste à prendre date avec l’histoire. « Une page doit être tournée, dit-il, celle de l’alternance, la première depuis l’indépendance. La rue va sortir le 20 décembre à Kinshasa pour imposer le respect de la Constitution. »



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