Coopératives blanches et coopératives rouges, le business sur le dos de migrants, des Pouilles au détroit de Messine

samedi 7 janvier 2017
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« Sept jours en enfer : Journal d’un faux réfugié dans le ghetto d’État ».

Le 12 septembre dernier, l’hebdomadaire L’Espresso a publié un long rportage (avec photos) du journaliste Fabrizio Gatti, entré clandestinement dans le centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CARA) de Borgo Mezzanone, dans la province de Foggia, le troisième plus grand d’Italie. Gatti décrit le centre comme un véritable enfer dantesque : « des dortoirs bondés, où il n’y a pas de loi et où un millier d’êtres humains sont entassés comme des animaux. »

Suite à l’enquête journalistique et à un éditorial dur d’Eugenio Scalfari sur le mauvais accueil des migrants en Italie, paru le lendemain sur le quotidien La Repubblica, le ministre de l’Intérieur d’alors, Angelino Alfano, après consultation du Premier ministre Matteo Renzi, a décidé de lancer une inspection ministérielle du CARA de Borgo Mezzanone. Il y a eu beaucoup d’interpellations parlementaires sur les conditions de vie indignes des migrants dans ce centre et dans d’autres structures de semi-détention disséminées dans la moitié (sud) de l’Italie.

Les 13 et 14 septembre, sur le site de L’Espresso, Fabrizio Gatti est revenu à la charge pour révéler l’ampleur des affaires des coopératives appelées à gérer le CARA des Pouilles. « Le coût pour l’État du centre d’accueil de Foggia, a maintenant un chiffre précis : la coopérative catholique Senis Hospes, qui le gère au nom du consortium »Sisifo« de la Ligue des Coopératives (Legacoop, d’origine démocrate-chrétienne, NdT] encaisse 31 108 € par jour », a rapporté la journaliste. « La dépense est calculée sur la base des présences confirmées aujourd’hui par la police : 1.414 demandeurs d’asile enregistrés. Ce chiffre a été mis à jour le 23 août. En multipliant le nombre d’hébergés officiel par un coût de 22 € par personne et par jour, on obtient ce que rapporte : 933 000 € par mois, 11 millions par an. C’est un calcul par défaut. Parce que les situations d’urgence hors contrat peuvent être payées jusqu’à 30 € par personne et par jour ».

Gatti ajoutait d’autres détails sur l’identité des coopératives choisies comme entités de gestion. « Grâce aux passations de marchés publics sur les réfugiés dans toute l’Italie, la coopérative qui gère l’enfer de Foggia, la Senis Hospes de la province de Potenza, a augmenté son chiffre d’affaires de 400 pour cent en deux ans : de 3 millions en 2012 à 15,2 millions en 2014. Et ses employés de 109 à 518. Il n’y a pas d’entrepreneurs aujourd’hui, en dehors de la criminalité organisée, avec des revenus connaissant une telle croissance exponentielle. » « Une vieille enquête du procureur de Potenza, ensuite classées sans suite, décrivait bien les relations entre coop blanches [1] et institutions », ajoutait Gatti. "Au centre, déjà alors, les marchés pour les CARA, en particulier celui de la Basilicate, Policoro.

Dans l’enquête, se détachaient les excellents noms de Gianni Letta et du préfet Mario Morcone, à l’époque et encore aujourd’hui chef du département du ministère de l’Intérieur pour les libertés civiles et l’immigration. Leur dossier a été rapidement classé. Tout comme celui des frères Chiorazzo, qui dirigent un groupe de sociétés dont les plus précieuses s’appellent La Cascina et Auxilium. Mais ce qui reste de ces affaires, même si elles n’ont pas eu débouché judiciaire, ce sont leurs relations. Voici ce qu’écrivaient les carabiniers du ROS dans leur rapport envoyé au procureur de Potenza : "Grâce au réseau étendu et dense de relations tissé avec divers représentants des institutions publiques - dont le sous-secrétaire à la Présidence du Conseil Gianni Letta et le chef du Département des libertés civiles et de l’immigration du ministère de l’Intérieur, le préfet Mario Morcone - les frères Chiorazzo visent à consolider et à étendre leur présence dans la gestion des CARA répartis dans tout le pays et en particulier dans le sud de l’Italie.

Les entreprises de Chiorazzo, de fait, sont chargées de la gestion (via la coopérative Auxilium et la société La Cascina) du CARA de Bari (qui abrite environ 1.200 immigrés), du CARA de Policoro (qui abrite 200 immigrés) et du CARA de Tarente – qui doit ouvrir prochainement - (destiné à loger 400 immigrants) - pour un chiffre d’affaires qui peut être estimé à environ 70.000 euros par jour".

Pour en revenir au CARA de Borgo Mezzanone, L’Espresso a pointé du doigt le partenaire de Senis dans la gestion du centre, le consortium sicilien Sisifo. « Considéré comme un élément de choix de Legacoop, Sisifo a déjà été au centre d’une controverse durant la gestion du centre d’accueil de Lampedusa, après que les images des migrants forcés à se déshabiller à l’extérieur, pour subir le lavage anti-gale, avaient fait le tour du monde », écrit Gatti. « Le consortium, avec plus d’un millier d’employés, a déclaré en 2015 un chiffre d’affaires de 89 millions d’euros. Luca Odevaine* a admis devant le procureur avoir favorisé ce groupe de sociétés, emmenées par Sisifo, dans l’adjudication du marché de la gestion du centre sicilien de Mineo. Pas de son initiative, a-t-il dit. Mais à la demande de Giuseppe Castiglione, sous-secrétaire de l’Agriculture du NCD (Nouveau Centredroit), le parti dirigé par le ministre de l’Intérieur Angelino Alfano.Parmi les coopératives gagnantes pour Mineo, on trouve, associées au Consortium, Senis Hospes et Cascina Global Service, qui appartient à la nébuleuse de la secte catholique Comunione e Liberazione. Le président du conseil d’administration de Senis Hospes est Camillo Aceto, auparavant conseiller de La Cascina et d’Auxilium. Il avait également ces postes dans les années où les procureurs enquêtaient sur Letta et Morcone pour l’affaire du CARA de la Basilicate. La coopérative d’Aceto opère –comme l’écrivent les enquêteurs du ROS dans l’information sur Carminati - en synergie avec Sisifo. Le protocole d’entente entre les groupes blancs et rouges est répété à Foggia. Senis Hospes gère, Sisifo garantit. Comunione e Liberazione et Legacoop unies au nom du business. Et c’est peut-être pour cette raison, comme dans le cas de l’enfer de Borgo Mezzanone, que personne ne les contrôle ».

L’état du centre du Palanebiolo à Messine chaque fois qu’il pleut. Photo Enrico di Giacomo

Depuis plus de trois ans, nous dénonçons la manière dont les mêmes noms, les mêmes personnages, les mêmes entreprises, le même mauvais accueil se reproduisent en toute impunité dans la ville de Messine. D’abord La Cascina, puis Senis Hospes et Domus Caritatis ont facturé des millions d’euros pour la gestion des lager du camp de tentes du Palanebiolo (Annunziata) et de l’ancienne caserne "Gasparro" de Bisconte (qui sera à partir de 2017 transformée en hotspot FRONTEX-UE pour l’identification et l’expulsion de migrants), des installations qui ne répondent pas aux normes juridiques pour le "premier" accueil des mineurs étrangers non accompagnés, et même intégrées dans le projet SPRAR (Système de protection pour les demandeurs d’asile et réfugiés) (d’une valeur d’1, 6 million d’ € pour 18 mois) confié à la supervision de la municipalité de Messine. Come le relève Fabrizio Gatti, le Consotium Sisifo, le même qui a géré le non-accueil à Lampedusa et Mineo, a des liens indissociables avec le territoire péloritain (de Messine). Domicilié à Palerme, Sisifo exploite ou a exploité les soins à domicile intégrés à Messine, Caltanissetta, Agrigente, Raguse, Syracuse et Trapani et les résidences sanitaires assistées à Novara di Sicilia et San Piero Patti, une maison de retraite protégée à Paterno, et dans le secteur des migrants, le centre d’accueil de Sant’Angelo di Brolo.

L’actuel président de Sisifo est Domenico Arena, dit "Mimmo", président de Legacoop Messine de 2004 à 2014, vice-président régional de Legacoop Sicile depuis deux ans et membre depuis 2009 de la Direction nationale de Legacoop. Depuis 2015, Domenico "Mimmo" Arena est également membre du conseil d’administration de la Banque de Crédit Coopératif "Antonello da Messina", principal sponsor des événements « culturels » de Noël 2016 de l’administration comunale. Pour l’anecdote, le président du Conseil de la banque antonellienne est le comptable agréé Francesco de Domenico, président du collège syndical de du CHU "Neurolesi", ainsi que directeur général de l’Université de Messine (propriétaire des installations sportives converties en camp de tentes pour les migrants à l’Annunziata). Le pouvoir démesuré de la bourgeoisie et du parti unique local se renforce donc aussi grâce au business de l’ "accueil".

Par Antonio Mazzeo le 28/12/2016
Traduit par Fausto Giudice

Transmis par Linsay



*Ancien chef de cabinet du maire de Rome Walter Veltroni, puis chef de la police provinciale, Luca Odevaine a été condamné en novembre dernier à 2 ans et 8 mois de prison et 250 000 € d’amende pour corruption dans l’attribution du marché du CARA de Mineo à La Cascina. Il attend d’être jugé pour une autre affaire de corruption.


[1= démocrates-chrétiennes, NdT



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