Au Maroc, le mouvement du Rif monte en puissance et inquiète le pouvoir

dimanche 9 juillet 2017
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Depuis plusieurs mois, les habitants du Rif, au nord du pays, protestent contre l’injustice et pour de meilleures conditions de vie, dans cette région qu’ils considèrent comme délaissée par le pouvoir. Malgré l’arrestation de ses leaders, le « Hirak » (mouvement) a encore gagné en intensité ces dernières semaines, au fil des manifestations qui s’enchaînent.

Inquiet, le gouvernement semble opter pour un nouveau durcissement de la répression. Mais la mobilisation persiste, et pourrait même se diffuser à travers un pays miné par les tensions sociales.

« Malgré les arrestations, ça va continuer. Le Makhzen [1] a utilisé tous les moyens en sa possession, toute sa force. Mais le peuple s’est habitué à cette violence. » Ilias a pris part au Hirak (le « mouvement ») dès les premiers rassemblements. Cet étudiant en droit originaire d’Al-Hoceima, militant du Mouvement des jeunes du 20 février – né dans le sillage des révolutions tunisienne et égyptienne – et membre du parti marxiste-léniniste Annahj addimocrati (La voie démocratique), milite depuis le lycée. Alors que la répression se durcissait pendant le Ramadan, il affirmait, catégorique, que ce mouvement social, qui perdure dans le Rif – la zone côtière et montagneuse du nord du Maroc – depuis huit mois, ne s’essoufflerait pas.

Le jour de l’Aïd-El-Fitr, qui marque la fin du Ramadan (lundi 26 juin), la répression est montée d’un cran avec la violente dispersion d’une manifestation à Al-Hoceima, au centre du Rif. Les autorités ont fait passer un message clair. Le roi Mohamed VI est intervenu la veille pour critiquer la lenteur des projets de développement dans la région, et pour blâmer le gouvernement pour son inefficacité, prenant ainsi acte des revendications socio-économiques des habitants. Mais la contestation dans cette région où les relations avec le pouvoir sont historiquement tendues, ne sera pas tolérée.

Le pouvoir craint une contagion

Des barrages ont empêché les habitants des communes voisines de rejoindre le cortège, tandis qu’une cinquantaine de personnes ont été arrêtées, selon l’agence Reuters. Ces derniers jours, devant l’impossibilité de se rassembler à Al-Hoceima, les acteurs du mouvement ont été inventifs, et ont trouvé de nouvelles méthodes de protestation : une extinction des lumières dans toute la ville avec des concerts de casseroles depuis les toits des maisons, ou un sit-in à la plage dimanche dernier.

La semaine dernière, un sit-in prévu à Rabat pour dénoncer la répression, et ce que de nombreux observateurs qualifient dorénavant d’ « état de siège », a aussi été empêché. A Nador, dans le Rif, plusieurs personnes ont été blessées. Le gouvernement s’inquiète de cette mobilisation inédite, greffée sur un climat social volatile. Ces dernières semaines, de nombreux rassemblements ont eu lieu à travers tout le pays, faisant craindre une contagion. Le 9 juillet prochain, une marche nationale est prévue à Casablanca.

Depuis fin octobre, les habitants d’Al-Hoceima et des alentours ne décolèrent pas. Les manifestations se sont intensifiées et y ont rythmé le mois de Ramadan, avec des rassemblements quotidiens malgré l’imposante présence des forces de l’ordre. De nombreux heurts entre manifestants et policiers ont d’ailleurs éclaté, faisant de nombreux blessés. A Imzouren notamment, où les habitants ont réaffirmé chaque soir les revendications du Hirak. Le mouvement se poursuit malgré l’arrestation, fin mai, de ses principaux leaders. Leurs revendications principales : l’emploi, de meilleures infrastructures, un accès à la santé et à l’enseignement, ainsi que la démilitarisation de la région.

Arrestations et peines de prison

Mais depuis fin mai, ces revendications ont laissé place à une nouvelle priorité, réclamée aussi dans les principales villes du pays, où des sit-in de solidarité ont été tenus et souvent réprimés. Le nouveau mot d’ordre : la libération des détenus, au moins 130, dont plusieurs journalistes de la presse locale.

L’un des leaders et principal symbole du mouvement, Nasser Zefzafi, est détenu à la prison d’Oukacha et accusé de faits extrêmement sérieux, notamment d’« atteinte à la sécurité intérieure de l’État ». Une autre figure du Hirak, Mortada Lamcharen, un salafiste connu pour son ouverture, a été relâché pour assister aux funérailles de son père, mais est toujours poursuivi pour apologie du terrorisme.

Courant juin, les premières condamnations sont tombées. Vingt cinq détenus ont écopé d’un an et demi de prison. De quoi alimenter la colère, alors que démarre la saison estivale et que la région s’apprête à accueillir ses ressortissants vivant en Europe, où ont eu lieu de nombreuses manifestations de soutien au Hirak.

A Al-Hoceima, la jeunesse semble figée dans le temps, bloquée, sans perspective. Le chômage dans la région dépasse les 20 % de la population active, soit deux fois la moyenne nationale. Le commerce y est limité, l’économie informelle prévaut et les familles dépendent en grand nombre de l’aide financière des nombreux Rifains résidant aux Pays-Bas ou en Belgique. « Les jeunes n’ont rien à faire. Ils dorment tard et l’après-midi, ils vont au café », résume Ilias.

50 000 personnes à Rabat

C’est la mort en octobre dernier de Mohcine Fikri, un vendeur de poisson de 31 ans, broyé dans une benne à ordures alors qu’il tentait d’y récupérer sa marchandise confisquée, qui a réveillé cette jeunesse désillusionnée. Tout d’abord pour réclamer une enquête indépendante sur les circonstances du décès de Fikri, une revendication qu’ils n’estiment pas satisfaite à ce jour, malgré la condamnation de onze personnes à des peines de prison ferme allant de cinq à huit mois. Ensuite, pour appeler au développement de leur région, qu’ils jugent marginalisée par les autorités.

En 2011, cette jeunesse avait activement manifesté avec le Mouvement des jeunes du 20 Février, qui revendiquait des changements politiques et sociaux profonds. Ils en avaient déjà payé le prix, avec de nombreux militants incarcérés. Lors de la mort de Fikri, un fait douloureux et non élucidé a refait surface. Le 20 février 2011, premier jour des manifestations du mouvement, cinq jeunes d’Al-Hoceima avaient été carbonisés dans un incendie déclenché dans une banque. L’enquête n’a jamais abouti, continue de rappeler l’Association marocaine des droits humains (AMDH).

L’arrestation des leaders du Hirak a un temps réveillé la contestation aux quatre coins du royaume : à Khouribga, Rabat, Casablanca, Fès, Meknès, Agadir, Marrakech. Le 11 juin, une marche a réuni plus de 50 000 personnes à Rabat, dont les familles des détenus, des militants de gauche, et des membres d’Al Adl Wal Ihsane, organisation islamiste non reconnue mais tolérée, présents en grand nombre. Une réelle démonstration de force, inégalée depuis les manifestations du Mouvement des jeunes du 20 Février.

« Au départ, le mouvement était local. Puis il a pris de l’ampleur car les problèmes sont partagés avec toutes les régions du Maroc dit "non-utile". C’est pour cela que plusieurs villes sont sorties manifester, et pas seulement par solidarité », avançait alors Mohamed Boulaich, ancien militant du Parti socialiste unifié (PSU) et d’Ilal Amam (« En avant », devenu La voie démocratique), qui a pris part à la manifestation de Rabat.

Des protestations jusqu’ici contenues

Bien que le Hirak soit inédit par sa durée, les mobilisations sont nombreuses au Maroc. Dans diverses régions, les habitants scandent des slogans similaires à ceux du Hirak. La culture de la contestation s’ancre, en particulier depuis le 20 février 2011 qui a libéré la parole et fait reculer le mur de la peur, comme dans les autres pays ayant connu le « Printemps arabe ». A travers ce que les militants appellent « l’esprit du 20 février », bon nombre de Marocains ont appris les rouages du militantisme, y compris dans les coins les plus reculés du pays. A Imintanout (ouest) jeudi 29 juin, et à Beni Mellal (centre) samedi 1er juillet, ont eu lieu des rassemblements faisant écho aux revendications socio-économiques du Hirak. A Tinghir aussi (dans le sud), pour dénoncer les failles du système sanitaire et l’absence de structures médicales équipées.

A Imider (sud), se déroule un sit-in ininterrompu depuis août 2011, près d’une vanne fermée et surveillée par les habitants, qui conduit à une mine d’argent exploitée par le groupe minier Managem, du holding royal SNI (Société nationale d’investissement). Ils réclament davantage d’emploi à la mine, et dénoncent la pollution qui résulte de cette exploitation qui, affirment-ils, limite aussi leur accès à l’eau. Dans la même région, des mobilisations ont lieu à Ouarzazate pour réclamer l’accès à l’eau potable, et à Zagora, où la culture de la pastèque épuise la nappe phréatique.

Mais ces mouvements sociaux, qui pour certains perdurent depuis plusieurs années, ont jusqu’ici eu une portée restreinte, et se sont souvent maintenus dans une quasi indifférence de l’opinion publique. Ils demeurent isolés, avec des réponses au cas pas cas de la part des autorités qui, à travers un habile mélange de concessions – de nature financière notamment, ou par la réalisation partielle de certaines revendications – et de répression, a su les contenir. Mais par sa force et sa durée, le Hirak suscite aujourd’hui l’inquiétude du pouvoir.

Ilhem Rachidi (au Maroc) le 07/07/2017

Transmis par Linsay



[1l’État, le pouvoir, en langage populaire, ndlr



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