Entretien avec Frank GAULIN délégué national CGT des hypers marchés CARREFOUR

lundi 12 février 2018
par  Rouge Midi
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Frank le 23 janvier la presse dont France Inter annonçait dans son journal du matin que M. BOMPARD PDG de CARREFOUR devait vous présenter un plan pour « sauver l’entreprise », que CARREFOUR serait « menacé par la vente AMAZONE » et qu’il y avait urgence…La situation est-elle donc si catastrophique ? Faut-il lancer un téléthon pour CARREFOUR ?

Situation catastrophique ? Tu veux rire ? CARREFOUR est une entreprise qui a un chiffre d’affaires de 43 milliards sur le 1er semestre 2017, en progression de près de plus de 6% et qui affiche un bénéfice net après impôts de près d’un milliard d’euros (980 millions exactement), tous chiffres que l’on trouve aisément sur Internet. Le groupe, qui de surcroît a reçu 400 millions de CICE par an, numéro 2 mondial présent dans 30 pays avec 12300 magasins et près de 400 000 employé-e-s est loin d’être au bord de la faillite, bien au contraire. Il fait de l’argent mais il veut en faire plus, c’est ça le cœur du problème. Contrairement à ce qui est balancé ici ou là il n’est pas menacé par la vente par Internet (qu’il pratique déjà !), il n’est surtout pas en déficit, mais il veut s’appuyer sur les nouvelles technologies pour faire encore plus d’argent au détriment des salariés. La vente par Internet du kilo de patates par une start-up surgie d’on ne sait où, n’est pas pour demain !! Non ce qui est en jeu c’est leur taux de profit. En fait ce qui se passe aujourd’hui (et qui est annoncé depuis plusieurs mois) c’est le franchissement d’un nouveau palier dans la course aux profits…et ce n’est pas nouveau ! Rappelons-nous en 2005 le licenciement du PDG de l’époque, Daniel BERNARD, pour résultats insuffisants (8% de bénéfices tout de même !!) mis à la porte avec…38 millions d’indemnités !!!

Mais alors que prévoit ce plan de « sauvetage » tant annoncé comme inéluctable ?

La fermeture pure et simple de 273 premiers petits magasins (avec 2100 suppressions probables de postes), des suppressions de postes ailleurs, des reventes de magasins, bref c’est la grande braderie pour restructurer le groupe. En fait on est dans la logique du capitalisme international tel que prôné par exemple par le BCG (Boston Consulting Group). L’entreprise est découpée en secteurs d’activités, en magasins de différentes tailles et on regarde quelles sont les formules les plus rentables. Les conseils en stratégie distinguent ainsi au sein d’une même entreprise, « la vache à lait, la star, le dilemme et le poids mort » (sic !) et en fonction de ce découpage décident de vendre, d’externaliser ou de fermer des pans entiers selon leurs calculs de taux de profit. Les femmes et hommes occupés à ces activités ne comptent pas...
Ceux qui sont à la tête de CARREFOUR et appliquent ces méthodes, ont des portefeuilles et des graphiques bousiers à la place du cœur !! Donc selon leurs plans des dizaines de « poids morts » vont être liquidés et tant pis pour les milliers de salariés concernés. En fait le plan va beaucoup plus loin que les 2400 annoncés et les chiffres de mises à la porte seront plus désastreux encore si on ne se bat pas. Tu sais on est loin d’être un cas isolé Good Year, Continental, Fralib hier, la centrale de Gardanne (où 450 licenciements sont annoncés) ou Castorama aujourd’hui, partout c’est la logique du fric qui s’est affronté et s’affronte à celle du travail en réponse aux besoins sociaux. Alors on se bat, on n’a pas le choix et tant qu’il y aura ce système injuste on se battra. On a dans nos têtes l’image des victoires qui ont été obtenues…Rester fidèle à ses valeurs et à ses combats d’enfance contre l’injustice, c’est tout le combat que j’essaie de mener aujourd’hui : rien de plus... mais rien de moins non plus

Quel est l’état d’esprit des salariés aujourd’hui ?

Tu sais ils sont le dos au mur et ils n’ont pas le choix. CARREFOUR a multiplié les contrats précaires et martelé son discours sur le fait qu’il ne peut pas faire autrement. Ça rend la lutte plus compliquée mais pourtant elle se développe à un niveau que nous n’avions jamais connu nationalement. Des salariés nous rejoignent dès à présent et c’est un phénomène nouveau. La semaine d’action de la CGT va bien au-delà de ce qu’on a pu faire par le passé.

Effectivement c’est ce que l’on ressent de l’extérieur…

Il faut que les salariés prennent confiance dans leur capacité à peser sur les choix de gestion capitaliste et nos actions aident à ça. Lundi à Montreuil [1] c’était un grand moment, mais il y en a eu d’autres comme jeudi matin au Carrefour des Milles (zone d’Aix), ce vendredi à Marseille devant les markets, à Antibes où l’hypermarché a été fermé… et il y en aura d’autres. C’est d’autant plus remarquable que la CGT est souvent seule dans l’action. FO a même eu l’indécence de sortir une affichette, appelant…à ne pas faire grève !!! C’est d’autant plus honteux que la centrale argumente en écrivant que nous avons de petits salaires. Bien sûr c’est vrai mais jamais rien dans l’histoire n’a été possible comme avancées sans luttes et sans engagement tant en termes de temps que d’argent ! Si on reste sans rien faire sauf des déclarations de principe on n’aura rien !! Tu te rends compte que le responsable FO dit :"il faut que les licenciements se fassent dans la dignité !!!"
Pour nous ce n’est pas possible d’accepter une telle différence entre le salaire moyen des salariés de CARREFOUR et la rémunération des actionnaires…qui en plus ne connaissent pas notre travail et souvent, même pas, les magasins…Et puis il y a les réactions de soutien de la population, de la clientèle et d’organisations associatives ou politiques : cela fait du bien même s’il faut aller plus loin.

Aller plus loin ? Qu’est-ce que vous proposez ?

Celles et ceux qui nous encouragent nous les remercions et leur soutien est précieux, mais notre lutte, vu l’importance de CARREFOUR, pose une question de société. Peut-on accepter qu’une entreprise fasse sa loi tant auprès des producteurs que des consommateurs sans aucun contrôle ? Je ne le pense pas. Il faut qu’à partir de notre combat émergent des propositions de changement de la société dans lesquelles nous pourrons nous reconnaître. Si les luttes ne servent pas de point d’appui aux politiques pour faire des propositions concrètes comment les salariés pourront-ils se reconnaître dans des discours qui fustigent le capitalisme mais ne s’en tiennent qu’aux slogans ?

En plus dans le plan de CARREFOUR les 273 petits magasins promis à la fermeture sont les magasins dit "de proximité" le plus souvent établis dans des quartiers populaires et donc à travers eux c’est le tissu social qui est attaqué. Dans les conditions actuelles de la distribution ils ne seront pas remplacés par des petits commerces qui ne peuvent tenir face à la concurrence des géants de la distribution…ou alors au prix de quels sacrifices pour celles et ceux qui tenteraient l’aventure du petit commerce !!!

Pourquoi ne pas poser la question de la nationalisation de la grande distribution qui veut imposer sa loi partout ? Non pas pour mettre les magasins dans les mains de l’appareil d’état, mais dans celles des salariés, des producteurs et des consommateurs afin que le peuple maîtrise la vente d’un bout à l’autre de la chaîne ?
Par le passé dans des quartiers se sont montées des coopératives de distribution système rapidement récupéré par le capital, pourquoi ne pas reprendre cette idée aujourd’hui en l’améliorant ? Après tout nous n’avons pas plus besoin de patron que les Fralib !! Tu imagines des magasins gérés en commun par les producteurs et les consommateurs, choisissant les produits qui répondent aux besoins de la population, favorisant les circuits courts et contrôlant les prix tout au long de la chaîne ?

Ce sont ces questions-là qui t’ont poussé à t’engager politiquement ?

Je pense que pour l’avenir de la planète il n’y a pas d’autres solutions que la mise en commun des richesses, la propriété collective des moyens de production et d’échanges car comment vouloir faire autrement sans provoquer drames, guerres et barbarie ?
Je me suis engagé à l’ANC aussi parce que je crois à la nécessité de revenir au lien entre luttes syndicales et associatives et luttes pour un changement de société. Ce qui se passe aujourd’hui à CARREFOUR ne fait que me conforter


[1les salariés ont bloqué l’hypermarché pendant plusieurs heures NDLR



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