« Tordre le cou à la réforme de l’islam à l’européenne »

samedi 24 février 2018
par  Dr Benjelloun
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De toutes parts se pressent les prédicateurs.
De toutes parts surgissent des réformateurs.
Sommés qu’ils sont de répondre à des injonctions médiatiques pour un phénomène néo-fondamentaliste sinon créé du moins mis en exergue par ces mêmes médias alors qu’il est minoritaire. Ils ne sont savants en aucune science et parfaitement ignorants dans celle qui, dans les sciences humaines, devrait être reine, l’histoire. Même si celle-ci subit les inévitables violences de ses falsificateurs et révisionnistes dont l’essentiel du travail consiste en l’occultation de certaines données et la déforment.

Les musulmans ont de tous temps vécu leur foi et ont pratiqué leur culte dans les conditions historiques qu’ils ont trouvées et qu’ils ont parfois transformées. La dimension à la fois initiatique et purificatrice du pèlerinage à la Mecque n’est plus du tout vécue aujourd’hui de la même manière par les fidèles qui se rendaient sur les lieux saints en plusieurs mois de voyage parfois périlleux. Le facteur limitant de cette obligation n’est plus tant la disponibilité ou le budget à y consacrer que le contingentement imposé par leurs actuels gardiens qui régulent le flux de millions de pèlerins et en tirent un grand bénéfice pécuniaire. L’essaimage d’adeptes de l’Islam dans des contrées proches des pôles terrestres obligent à adapter les horaires des prières et les périodes du jeûne quand les journées ne durent qu’une heure ou au contraire s’allongent sur près de 24 heures.

Dès la mort du Prophète (sws), des voix dissidentes par rapport à l’orthodoxie dite par le pouvoir centralisé du califat ont frayé un chemin vers des interprétations alternatives en matière politique et normatives. Les écoles de théologie ont rarement été indépendantes et ont toujours entériné la vision et les intérêts califaux. De 809 à 847, l’empire a adopté le mo’tazalisme sous le règne de trois califes abbassides, doctrine rationaliste, pour des raisons sans doute dictées en partie par la nécessité de se rallier des chiites modérés, alors que l’agitation sociale battait son plein et menaçait la stabilité du régime. Al Motawakil est ensuite revenu à la version sunnite traditionnelle sous la pression des clercs soutenus par la majorité des administrés. Cet épisode illustre ce que l’on peut appeler une loi sociale, observée ailleurs. Le pouvoir politique et militaire est allié aux théologiens pour énoncer une forme de canon religieux qui ne peut être totalement arbitraire car il tient compte des croyances qui imprègnent la population. C’est donc bien la règle sauf dans des situations de révolution idéologique, mais alors la situation sociale est prête à accueillir une transformation radicale du système en vigueur.

Toute réforme et toute retouche importantes apportées à une pratique ne réussit qu’à cette exigence, disposer d’un soubassement populaire pour aboutir à une transformation du statut ou du sort de la base qui les appuie.

La Réforme en Occident a été précédée par l’évolution de l’Eglise catholique en un corps qui a structuré toute la vie publique et privée, captant des ressources économiques considérables par le biais de taxes et d’impôts. Le mode de vie de ses membres, quel que fût leur rang dans la hiérarchie, apparaissait contradictoire avec les principes du christianisme qui recommandaient fraternité et justice. Les bouleversements qui ont accompagné les débuts du capitalisme, en particulier la suppression des biens communaux et la monétisation des travaux dus par la classe servile aux seigneurs et au clergé, ont été le ferment à l’origine du calvinisme et du protestantisme. Les prémisses des révoltes paysannes ont eu lieu dès le 14e siècle [1]. Mais les premiers mouvements contestataires organisés sont nés en Grande-Bretagne quand se sont constitués toute une série de mouvements millénaristes et spiritualistes qui recommandaient le retour à la lecture de la Bible sans médiation d’un ministre nommé par une autorité extérieure. Les assemblées de culte des Quakers [2], sans prêtres et souvent silencieuses, ont pu fédérer près de 10% de la population à la fin du 17 ème siècle. Typiquement, la révolte menée par le théologien Müntzer a embrasé une bonne partie de l’Empire romain germanique et a coalisé paysans et artisans des villes de plus en plus appauvris et fortement frappés par la domination des nobles et du clergé. Elle a duré deux ans, de 1524 à 1526, précédée de nombre de soulèvements ponctuels qui ont éclos dès 1483 en Alsace. [3] Ils ne réclamaient pas moins que l’abolition du servage et de la dîme ainsi que la sécularisation des biens de l’Eglise, se référant au droit divin promu par les Evangiles qui recommandait un ordre naturel, celui de l’égalitarisme. Luther qui inspira les insurgés condamna le mouvement qui fut écrasé dans le sang.

L’Islam, tout au long de sa présence sur les 14 siècles qui se sont écoulés, a connu des réformes et des penseurs réformateurs [4]. Aucun penseur à lui seul ne peut induire par ses péroraisons, démonstrations, arguments et rhétoriques plus ou moins savantes et fondées une Réforme.

De multiples prêcheurs qui se succèdent sur les scènes médiatiques, et ils sont foule à vouloir s’y présenter avec plus ou moins de succès et de charisme, prétendent détenir la solution qui ferait évoluer la masse vers l’interprétation qu’ils donnent aux Ecritures. Cette ambition est d’autant plus dérisoire que la religion de l’Islam n’a jamais été structurée autour d’un Clergé qui dicterait une doxa à appliquer en tous lieux. Le rapport à Dieu est direct. Prétention est d’autant plus impraticable et injustifiable également que les pratiques furent d’emblée multiples. Dès les premiers temps, naquirent les Khaouarij et les Chiites. Une certaine version du kharijisme fut adoptée en Afrique du Nord, véhiculée par des dissidents qui fuyaient la répression des Omeyyades. Il convenait à l’organisation tribale qui avait cours car il prônait une forme d’égalitarisme et de refus de l’autorité califale. Cette réticence à tout absolutisme exercé par un souverain lointain a imposé une forme politique d’équilibre politique entre un Sultan qui ne dispose que d’un pouvoir administratif et des tribus qui manifestaient leur désapprobation en faisant émerger de nouvelles dynasties ou en organisant des séditions de façon presque rituelle (bled Siba et bled Makhzen). Il faut noter qu’une Réforme en Islam a eu lieu au cours du 18e siècle, l’une des dernières moutures sectaires médiévales. Elle a été le fruit de la rencontre entre la maigre pensée d’un homme assez peu instruit en sciences religieuses, Mohamed Ibn Abdel Wahab (1702-1792) qui fut considéré comme un hérétique et traité de tel, y compris par son propre frère Sulayman ibn Abdel Wahhab, avec un chef de tribu résidant dans une région peu favorisée par la nature en Arabie, le Nadjd. Le corps de sa doctrine est que le Tahwid, ‘le principe de l’unicité divine’, se décline en un triptyque. Le credo de l’unitarisme wahhabite consiste en la reconnaissance de l’unicité seigneuriale d’un Dieu unique. Aucune autre entité n’est associée à Son œuvre. L’unicité d’adoration est l’action d’obéissance et de soumission à Dieu. Il ne suffit pas de croire, il faut en plus obéir. L’unicité des noms et des attributs est peu développée par le fondateur de la secte, assez mal équipé qu’il était pour s’engager dans des débats théologiques médiévaux longuement discutés. L’essence divine est d’une altérité absolue avec le monde, thèse admise par les mo’tazalites ou bien Dieu a aussi des attributs. Sur le plan de la pratique, il l’assimile à l’associationnisme (shirk) le recours à l’intercession d’hommes saints et à un paganisme antéislamique la visite des tombeaux qui ne doivent plus être signalés ni par des coupoles ni par un édifice quelconque. La vaste descendance du Sheikh Mohamed Ibn Abdel Wahhab qui va composer l’essentiel des Ulémas cautionnant la monarchie et agréés par elle s’est occupée de perfectionner le dogme en l’enrichissant de la définition des alliés et des désavoués.(al wala oua al baraa).

Mohamed Ibn Séoud, fondateur de la dynastie et du premier royaume saoudien (1745-1818), ambitionnait grâce au pacte passé avec le réformateur de conquérir un territoire en réactivant la tradition bédouine des razzias. Il ne contrôlait en effet qu’un mince chapelet de petits bourgs. La zone de hauts plateaux est coincée entre les Beni Khaled qui régnaient sur l’Ahsa riche région agricole qui tenait sous son contrôle le commerce avec l’Orient, et le Hidjaz aux mains des Chérifs de la Mecque, commerçants aisés qui tiraient des revenus du pèlerinage prescrit. Attaques éclairs et pillages menés par des bandes motivées plus par le butin que par une foi ardente furent au menu des conquêtes saoudiennes. Le troisième royaume, de 1932 à nos jours, s’est appuyé sur une organisation militaire conçue comme une superposition de trois forces, les Bédouins, les citadins et les Ikhwan. Ces derniers, les ‘Frères’, sorte de moines soldats vivaient de manière ascétique dans des sites qui leur étaient dédiés, organisés comme des phalanstères. Mais quand les Séoud ont utilisé la diplomatie pour se faire reconnaître à l’international, ils ont réprimé cette force austère et contestatrice. La résurgence inattendue des Ikhwan s’est concrétisée en 1979 lors de l’occupation de la grande mosquée de la Mecque par près de 400 compagnons de Juhayman Uttaybi, petit fils d’un Ikhwan, membre de la Jami’a Salafyaa Mouhtassiba, groupe fondé par des néosalafistes en 1970 à Médine. Juhayman croit que l’Islam se régénérera par l’arrivée d’un nouveau Mahdi. L’assaut fut donné au bout de 13 jours par des commandos français. Une ‘fatwa’ approuvée par 36 Ulémas a naturalisé la présence de soldats mécréants au sein d’un lieu sacré, La Mecque où les armes et les combats sont traditionnellement prohibés. Cet acte impie a ouvert la voie au sacrilège suivant, également validé par une fatwa du Grand Mufti, la collaboration avec la Coalition américaine contre les musulmans irakiens en 1990 puis lors des guerres du Golfe successives.

Ultérieurement, l’idéologie des Saoud qui a transformé le wahhabisme en religion d’Etat puis nouvelle orthodoxie se révèlera appuyée sur un trépied : l’a relative stagnation idéologique de l’Islam favorisant sa colonisabilité, la fascination devant le clinquant du modèle capitaliste occidental, la tentative de refuge impossible dans une nouvelle tribalité mondialisée. Les Séoud sont alors devenus agents de l’impérialisme, profitant des miettes qu’il leur concède tirées des revenus des hydrocarbures. C’est dans ce contexte que la masse des musulmans déracinés dans les périphéries des villes champignons du monde musulman puis du monde développé ont été atteints par ce sous-produit, artefact attestant d’une forme nouvelle de l’impérialisme anglo-saxon passé aux mains des Usa.

Qu’en est-il d’une réforme de l’Islam dans les pays européens ?

La dernière estimation faite en 2007 donne le chiffre de 53 millions de musulmans en Europe, y compris la Russie avec 25 millions et la Turquie européenne avec 5,7 millions sur un total 730 millions d’habitants, soit 7% environ. Une étude de 2010 consacrée par le Pew Research Center [5] évalue pour la France à 4,704 millions le nombre de musulmans, soit 7,5% de la population et une projection pour 2030 à 6,860 millions, soit 10,3% de la population totale. Ce travail tient compte des fertilités relatives des groupes humains, des phénomènes migratoires, de l’allongement de la durée de vie ainsi que de la répartition des groupes en classes d’âges. Ainsi 10% de musulmans avec une bonne part ayant moins de 15 ans a un autre poids qu’avec une pyramide moins évasée vers le bas. Nous sommes objectivement loin de « l’invasion des barbares » imaginée par des romanciers dispensateurs de sensations fortes à un auditoire blasé et repu de confort et de consommation en tous genre.

Il n’empêche.
L’Islam est plus visible et on ne parle plus que de lui entre deux mondiaux de foot, des jeux olympiques frustrants, deux attentats terroristes réussis et dix déjoués, deux opérations de police par l’entité sioniste à l’égard d’un peuple palestinien prisonnier ou expulsé de sa terre et toutes ces guerres déclarées d’emblée interminables dans l’Orient arabe. Il y a à cela au moins quatre causes convergentes et certaines d’entre elles ne sont pas indépendantes l’une de l’autre et entrent en synergie.

Aux sources du scandale islamique

Tout d’abord, il y a une platitude mille fois ressassée par les ‘racialistes’ qui se disent racisés qu’il faut remiser dans les catégories des tautologies qui ne sont ni explicatrices ni émancipatrices. Non, cette islamophobie, désignons ainsi par commodité le rejet par les autochtones des musulmans quand leur religion est manifeste dans le champ public, n’a pas son origine dans la continuité directe du mépris ou de la haine de l’Arabe colonisé et ex-colonisé.

Ilôts de foi dans un océan athée et surtout anticlérical.

Cet Islam, ces musulmans affichant leur foi sous forme de fichu sur la tête ou de barbe mal taillée, survient dans un paysage acquis sinon à l’athéisme du moins déchristianisé en profondeur depuis des siècles. Les guerres de religion en Europe ont été en réalité des affrontements entre une paysannerie en voie de transformation en citadins dépendant d’une offre de travail salariée, une classe bourgeoise ascendante, une caste nobiliaire de plus en plus parasitaire et un clergé propriétaire terrien et percepteur d’impôts. Elles ont fortement marqué le paysage et les traditions. En France particulièrement, le peuple, un peu moins affamé et un peu plus instruit, s’est détaché de la religion de son Roi, condition impérative pour assumer la révolution en faveur de la bourgeoisie. 1905 a été un point presque final pour arracher la fonction de l’enseignement, l’instruction autrefois dite publique, au clergé honni. Honni car le curé de campagne, même après le démantèlement des biens de l’Eglise, savait tout sur vous, la confession est un mode de surveillance plus efficace que Facebook. Il savait tout, usait et abusait de chacun et chacune, de l’enfant de chœur jusqu’à la fille-mère qui commettra l’infanticide dans un coin isolé. Le quadrillage, hérité de Rome, depuis le diocèse jusqu’à la petite paroisse était impitoyable. 1789, le récit qui en a été fait par Michelet, fondateur de la mythologie ‘républicaine’, c’est le triomphe de la chose publique, avec le cortège de jeunes filles allant déposer leur gerbes de fleurs et de blé au pied de la nouvelle divinité laïque, une fois décapité le seizième Louis sacré à Reims.

Des anticolonialistes sincères, d’abord médusés par tant de têtes avec couvre-chef ou cache-cheveux, se sont mobilisés contre cette ‘ostentation’ de la soumission à un Dieu qui les a désertés. Les guerres entre les puissances impériales essentiellement européennes ont fini par incorporer les femmes dans les armées du salariat et cet enrôlement massif fut nommé ‘libération de la femme’. Femmes et hommes, à salaire inégal, se font exploiter pareillement dans le système capitaliste, effaçant progressivement les rôles sociaux des deux sexes. Cette conquête, sortir les femmes du foyer, aggravera leurs conditions réelles car elle surajoute à l’enfantement et l’élevage des enfants l’obligation d’apporter un complément de salaire. Avoir sous les yeux un signe qui marque aussi nettement la différence sexuelle est une réelle offense pour toutes celles embrigadées dans les cohortes assujetties à une mode, prescrite par des hommes, qui les transforme en objets consommables et leur intime soit l’androgynie soit l’excessive suggestion érotique. Société de consommation et de convoitise oblige. Le fichu sur la tête n’est pas formellement prescrit dans le dogme islamique qui n‘énonce que la recommandation en faveur de la pudeur pour l’homme et la femme, mais il est inscrit très largement dans une tradition pratiquée sur tout le pourtour méditerranéen. Seul Saint Paul dans une de ses épîtres aux Corinthiens va émettre la formulation que la dissimulation des cheveux est synonyme de la sujétion du féminin au masculin. Dans la religion juive, port de la kippa et port d’un voile, comme en islam, le sens en est la soumission à Dieu. De plus en plus, le salafiste masculin arbore de son côté un calot ou un large keffieh en signe de piété, de soumission à Dieu voire de pudeur.

Oui, la religion musulmane est sans doute scandaleuse car elle affirme une distinction sociale nette entre les deux sexes. A l’origine, l’homme doit subvenir aux besoins de son épouse et de sa famille. Il ne lui est pas supérieur, il doit assurer gîte, couvert et autres biens matériels en toute équité, l’épouse étant par ailleurs la maîtresse incontestée de la maisonnée. C’est pourquoi l’homme hérite deux fois plus que la femme. Au 7e siècle déjà, et contrairement à ce qui se passait dans le monde chrétien, la femme héritait, et tous les frères à égalité. Dès l’instant que le rôle de pourvoyeur aux besoins matériels n’est plus dévolu à l’homme, cette répartition devient caduque. Ce que nombre de traditionalistes musulmans ne (veulent) peuvent pas comprendre. Au Maroc, plus de 55% des chefs de famille sont des femmes. L’homme est soit absent, soit ne travaille pas. C’est ainsi que le retour à l’islam des origines fantasmé par les néo-fondamentalistes est voué à l’échec s’il se contente de recommander une réforme de l’individu sans s’attaquer aux conditions de vie matérielle dégradées qui en sont le limon.

Le fichu et la barbe choquent une société devenue areligieuse par anticléricalisme et qui n’est pas près de comprendre que la dernière religion monothéiste, du moins dans sa version sunnite majoritaire en Europe, fonctionne sans clergé. L’imam n’est pas un prêtre. Il est choisi parmi les personnes qui fréquentent la même mosquée pour diriger la prière. Il n’a pas d’autre fonction, il n’est ni prêcheur, ni confesseur et n’est pas rémunéré pour cette distinction. A côté de cela, il a toujours existé un corps de savants théologiens qui conservent le dogme et l’arrangent selon les circonstances politiques. Ils énoncent des ‘avis’ juridiques, qui ne sont pas forcément observés par les croyants ni entérinés par le pouvoir politique. Car, en dernière analyse, chaque musulman a appris dès ses premières leçons de religion qu’il n’a aucun intermédiaire entre lui et son Dieu et que les avis juridiques ne sont jamais obligatoires au niveau individuel, et que, s’ils le sont au niveau social, il faut qu’il y ait unanimité de tous sur la question. (Ijma’a) Car l’islam tend vers une société du consensus qui devrait normalement fonctionner selon les règles de la shoura, de la consultation. Chose qui peut expliquer pourquoi les sociétés musulmanes tanguent en permanence entre rébellions récurrentes et pouvoirs despotiques. Ces derniers cherchant coûte que coûte à maîtriser le discours religieux.

Crise(s) du capitalisme et révolution islamique

Deux événements distants de quelques années, la crise pétrolière de 1973 et la révolution islamique en Iran en 1979, vont concourir à transformer la pratique de l’islam partout dans le monde et donc aussi en Europe.

Un des fils qui va conduire à tisser une fausse bataille autour de l’Islam est à retrouver là, dans ce mouvement en ‘double hélice’ né de la hausse du prix du pétrole, lui-même décidé quand en 1971 fut mis fin par Nixon la convertibilité du dollar en or, l’un des déterminants qui avait imposé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le dollar comme monnaie d’échange et de réserve universelle. Ce moment de crise du capitalisme, constitué ontologiquement de crises de surproduction sur fonds de guerres destructrices de biens et d’hommes, va imposer au monde le poids de la dette du Trésor américain. Toute activité humaine d’une manière ou d’une autre va contribuer à soutenir une économie du Centre et sa monnaie qui finira par devenir la source principale d’elle-même par le biais de l’ingénierie financière. Le triomphe de cette économie d’usure mondialisée entre en contradiction frontale avec le principe islamique irréductible qui fait de l’usure le second péché en ordre d’importance après le polythéisme. Les théologiens au service des pouvoirs néocoloniaux allaient tenter de le faire oublier.

L’hélice avec ses deux brins complémentaires s’est construite autour des activités régionales et au delà de la République islamique d’Iran et de l’Arabie aux mains de la famille des Séoud.

Le premier brin de l’hélice résulte de l’installation d’un régime ‘islamiste’ en Iran. Le clergé chiite iranien, fortement structuré et doué d’une autonomie financière, dispose d’un véritable maillage de la société. Le régime de la terreur de la monarchie imposée par le Foreign Office n’a pu tarir, malgré sa répression féroce, l’irrigation de tout un peuple par ce réseau. Le clergé chiite, contestataire d’un régime autoritaire, répressif et d’un laïcisme frisant l’athéisme, allait être sinon encouragé du moins n’a pas été contrarié dans sa volonté de renverser le shah et sa dictature par l’Occident. L’ayatollah Khomeiny après avoir quitté l’Irak a trouvé refuge en France tout en poursuivant (ouvertement) ses buts politiques.

Le shah d’Iran a été le troisième homme à côté de Boumediene et de Fayçal d’Arabie à avoir décidé de la hausse du prix du baril en 1973. Cette énergie fossile, de quasi-gratuite l’est devenue un peu moins. Les Britanniques avaient mis en orbite le colonel Pahlavi dans les années vingt pour créer un glacis dans les franges méridionales de la Russie devenue URSS mais aussi pour avoir un accès illimité au pétrole qui est devenu le carburant de la flotte impériale. Une fois cette petite affirmation nationale promulguée par un obligé de l’Occident, son remplacement a été encouragé.

A la surprise, un peu ahurie et abrutie des services de renseignements occidentaux, il a dès sa prise du pouvoir en 1979 affirmé d’une part sa nature ‘tiers-mondiste’ et résolument anti-américaine ainsi que son ambition d’établir des réformes sociales, but du renversement et du peuple qui s’est insurgé. Le parti communiste iranien, Tudeh, ainsi que d’autres groupes marxistes ont fortement mobilisé leurs troupes importantes et contribué à la réussite de l’insurrection. Mais le facteur primordial de masse est resté l’islam, pour des raisons de maillage social, de traditions rebelles locales et d’affirmation identitaire. La révolution islamique, une fois accomplie, s’est révélée être une révolution nationaliste opposée à la prédation occidentale et destinée à réduire les injustices sociales devenues vraiment insupportables sinon à programme socialiste. L’Iran, d’allié vassal de l’Occident, allait devenir le pays ennemi par excellence. Il défiait l’ordre mondial de la pax americana. L’idéologie prônée par Khomeiny, pas toujours approuvée par les représentants du haut clergé, est universaliste. La révolution devait gagner du terrain et contaminer les pays musulmans.

Dès lors, la décision fut prise d’endiguer la flamme insurrectionnelle qui risquait de gagner par contigüité autour d’elle. L’instrument en fut Saddam Hussein qui a assuré sa mission avec l’une des guerres les plus longues du 20e siècle, près de dix ans, et les plus meurtrières entre pays frontaliers. Les armes furent fournies par l’Occident, gaz neurotoxiques délivrés avec cynisme, y compris par la France et l’Allemagne de sinistre mémoire, l’argent par les pétromonarchies.

Tous les mouvements de gauche en Occident avaient au même moment amorcé un reflux dans lequel les manœuvres de la CIA, faites d’offensive culturelle et de machinations policières sordides et meurtrières, ont très largement contribué. Dans le tiers-monde, ils allaient être écrasés dans le sang des contre-révolutions organisées par la CIA en Amérique latine et dans les prisons et les disparitions d’opposants comme dans les régimes du type de celui de Hassan II. La révolution islamique a alors, par ses succès, fasciné une partie de la jeunesse arabe et/ou musulmane. D’aucuns ont appelé cette période les années de plomb, ce furent des années de terreur qui ont marqué une césure dans l’histoire de ces pays. Les forces de gauche s’étaient naturellement développées dans les pays récemment indépendant dans le sillage des mouvements de libération nationale, vite confisquée par une bourgeoisie compradore. Leur élimination a créé une discontinuité générationnelle et un évidemment de la mémoire des luttes. Les cerveaux allaient être facilement disponibles et offerts à toute propagande efficace et bien financée.

Cette même’ crise’ pétrolière, une augmentation des prix légitimée suite à l’effondrement du cours du dollar, a bouleversé les habitudes de consommation et de production en Europe occidentale et a enrichi considérablement les pétromonarchies, et le première d’entre elles, celles des Ibn Séoud. Le wahhabisme fut déversé par tombereaux entiers de dollars partout dans le monde. Des fondations, des mosquées, des institutions religieuses furent financées en Afrique sub-sahélienne, en Asie, en Amérique et en Europe. Voici construit le second brin qui allait répondre à la révolution islamiste, offerte comme modèle quand les nationalismes teintés de socialisme s’effondraient comme en Algérie. Le pétrodollar allait orienter, par sa prolifération dont les Bédouins du Najd n’ont su que faire, la politique et l’économie mondiale. Les Séoud allaient soutenir les Usa en investissant dans une frénésie d’achat d’armements aberrante au vu de son non emploi localement. Le pacte du Quincy trouvait ainsi l’une des expressions de son prolongement. La protection de la dynastie du Nadjd se fera avec les moyens extraits du sous-sol arabe. Renforçant l’hégémonie militaire étasunienne, et s’en remettant à elle seule, ils en sont de plus en plus dépendants.

Ils vont déposer les excédants dans les banques britanniques et étasuniennes, amplifiant la vocation de l’argent à produire de l’argent par la dette. Usure parmi l’usure de l’Etat familial se proclamant le gardien des lieux saints de la religion qui proclame la guerre totale à l’usure ! Les pays du Sud ont été invités par le FMI et la Banque Mondiale à plonger dans les affreux délices de l’endettement permanent, au prétexte d’un développement impossible car de toutes les façons mis hors de portée par l’écrasante concurrence de vieux pays industrialisés plus compétitifs. Le libre-échange institué de plus en plus par des traités contraignant ne peut profiter qu’aux pays les plus ‘développés’.

La longue guerre civile libanaise entreprise en 1975, initiée par une droite alliée au sionisme et marquée par ses revendications d’appartenance au fascisme mussolinien, allait contribuer par ses effets immédiats et lointains dans le monde arabe à disséminer la présence des ressortissants des pétromonarchies bien au-delà de Beyrouth qui était leur casino et leur boîte de nuit de prédilection et de proximité. Leur richesse insultante va s’afficher désormais de manière ostentatoire de Casablanca au Caire et faire s’assimiler pour une partie du peuple de plus en plus illettré le rigorisme des fausses origines de l’Islam et l’opulence, censés être la marque de la faveur divine. L’assassinat de Anouar Sadate par un Frère musulman en 1981 en réponse à sa trahison de l’unité arabe en faveur de la Palestine est là pour rappeler que des organisations politiques musulmanes, inspirées de nationalisme et de ‘renouveau de l’Islam’ confronté à la domination occidentale, oeuvrent depuis des décennies. Elles sont plus ou moins ‘salafistes’, retour à la pratique des pieux prédécesseurs. Elles ont impulsé de façon décisive nombre de mouvements d’indépendance et ont été contraintes soit à la clandestinité soit à la collaboration, perdant de leur tranchant révolutionnaire ou au moins réformateur, avec les régimes issus de la fin du colonialisme direct.

L’Afghanistan comme incubateur des politiques de dévoiement de l’islam

Une autre guerre, celle dans laquelle a été engagée l’URSS en Afghanistan à partir de 1979, contemporaine de toute cette recomposition géopolitique, a été plus que décisive dans la création d’un nouvel Islam, celui du dit Djihad. Lequel va prévaloir et être promu comme le nouvel Islam authentique. Les Bédouins du Nadjd y ont pris une part maîtresse. De tous les pays musulmans, Afrique du Nord et Palestine y compris, ont afflué des combattants pour servir ce qu’ils croyaient être la cause de l’Islam contre le communisme « athée ». Alors qu’ils se mettaient ainsi au service de l’économie impérialiste usuraire mondialisée. Les Séoud, s’ils n’ont pas conçu le projet, ce fut le travail d’un idéologue néo-conservateur avant la lettre, Brzezinski [6] l’ont réalisé. L’Islam allait être recruté comme agent de l’anticommunisme, voire de l’antisocialisme. Alors que tout dans le dogme musulman recommande le combat (le djihad) contre l’injustice et on peut inclure dans celle-ci l’exploitation des hommes dans le capitalisme, le wahhabisme va confondre athéisme et analyse des conditions matérielles de vie. En qammis et calotte, arborant une barbe fournie, les ‘Afghans’ vont revenir dans leurs pays d’origine, vecteur d’un intégrisme politique sans programme économique sous-jacent. Ils vont ‘convertir’ et donner naissance à des FIS, des Nahdha et PJD. Les femmes abandonnent les jupes occidentales, mal adaptées à un environnement suburbain qui prolifère au gré de l’exode rural. Le déclassement de toute une jeunesse alphabétisée mais sans emploi, les logements exigus et inconfortables des bidonvilles et autres lieux de relégation procure des clients en nombre à l’islamisme abusivement désigné comme politique car réduit à la seule exhortation pour la pratique d’un islam rigoureux au plan individuel.

Les prédicateurs formés en Arabie aux mains des Séoud prêchent dans des mosquées édifiées par leurs fonds.

De pratique considérée comme hérétique par l’immense majorité des savants musulmans pendant deux siècles, le wahhabisme s’est progressivement imposé comme une ‘tradition orthodoxe’. L’expansion de l’unitarisme tautologique, réforme née au 18e siècle dans une région à l’écart des circuits économiques en Arabie, doit son succès à l’insertion de celle-ci dans le circuit de l’économie mondialisée. Recyclage permanent de la rente pétrolière dans le système bancaire et renforcement continu de la domination militaire étasunienne dans le monde. Ceci figure le deuxième brin hélicoïdal de la trame du nouvel Islam. Ces éléments viennent en complémentarité, contradictoire, presque point par point, de l’Islam révolutionnaire des débuts de la République islamique d’Iran.

L’Europe n’a pas échappé au retour de ses ’Afghans’ locaux recrutés selon le même procédé, mosquées et prêcheurs wahhabites, vivier de relégués ayant eu un accès à l’école de la République devenue sans issue. Après le ravage des banlieues par un marché facilité de la drogue, stratégie copiée de celle appliquée aux Usa pour réduire la rébellion des ghettos noirs, "l’islamisation" de la deuxième ou troisième génération issues des ouvriers immigrés dans une Europe désindustrialisée allait bon train. Les marcheurs Beurs en 1983 réclamaient l’égalité « économique » réelle. Vingt ans plus tard, les manifestations les plus spectaculaires seront consacrées à la défense d’une liberté vestimentaire. L’un des participants historiques à cette Marche pour l’égalité, Abdelaziz Chaambi [7], musulman assumé, orchestrée en sourdine par un Parti socialiste qui allait la récupérer sous la forme d’un antiracisme qui ne sera plus que le seul alibi d’une gauche sociétale, interprète cette évolution comme une régression de la lutte politique. L’islamophobie en Europe est certes une arme de discrimination, mais elle est surtout une arme de diversion et de division sociale, emplissant le champ médiatique de ses clameurs, détruisant les outils pour une véritable transformation sociale.

La population urbaine et suburbaine défavorisée en Europe, celle des quartiers populaires, est encore vécue comme ‘descendante’ de l’immigration coloniale.

Elle est coincée entre droite décomplexée (l’ancienne gauche socialisante), laïque et anticléricale. Cette fausse gauche ne défend la femme de l’oppression masculine qu’à l’occasion du port du fichu qu’elle s’obstine à considérer comme un signe de soumission au mâle et non à Dieu comme c’est le cas pour la kippa. Dans la réalité concrète de l’inégalité des salaires ou de la molestation des femmes par leur conjoint qui aboutit à la mort une fois tous les trois jours, cette fausse gauche féministe est absente. L’autre partie de l’étau est figuré par une droite imprégnée encore vaguement d’un christianisme zombie, haineux ou méprisant à l’égard du Mahométan venu investir un Occident décadent aux Eglises vides sans autre spiritualité que la religion de la consommation. Les deux droites se trompent. La première, incarcérée dans un logiciel anticlérical et dont le seul programme est libertaire sociétal, manque par son hostilité à l’Islam les troupes qui lui seraient essentielles pour conserver le pouvoir. La deuxième ne veut pas voir que la poussée démographique des musulmans est liée aussi au déficit de la natalité. Dans son aveuglement, elle veut aussi ignorer que la composante musulmane est présente de façon irréversible et qu’elle est même nécessaire. Sans elle, la pyramide des âges s’inverserait, tiendrait sur une base étroite, très large et de plus en plus à son sommet.

Plus que tout, ces deux droites sont prisonnières d’un carcan idéologique fabriqué par les néoconservateurs étasuniens à l’usage de toute la planète.

Les néoconservateurs sont néolibéraux, sionistes et bellicistes. Ils ont comme alliés d’abord la monstruosité séoudienne wahhabite. Lors de la première guerre du Golfe, quand il a fallu remettre ’à sa place’ Saddam Hussein qui avait l’arrogance de réclamer son dû de fossoyeur de la Révolution iranienne, ils ont mobilisé la gauche sociétale figurée par Mitterrand en France. Sous la houlette du Parti socialiste français, les guerres impérialistes sont devenues des guerres ’pour la Liberté et contre les dictatures’. Détruire pays et sociétés équivaut à libérer et même au devoir de libérer. Jusqu’à présent, les pays attaqués et détruits sont des pays musulmans et à forte orientation antisioniste car victimes immédiates et proches de l’expansionnisme israélien. La liste des pays à libérer de leurs dictatures par des bombardements humanitaires est susceptible d’être rallongée, les nouveaux candidats sont la Corée et peut-être à nouveau l’Amérique latine avec la Venezuela.

La même cinétique de reflux des mouvements nationalistes laïcs a rogné également la résistance palestinienne au terme de processus complexes où interviennent les négociations sans fin après Oslo, né des pertes de bases arrières de l’OLP, et une fatigue de la vieille garde révolutionnaire décimée par les assassinats ciblés. Celle-ci est donc devenue islamiste. L’anticolonialisme palestinien a été stérilisé dans le piège d’une Autorité qui joue les supplétifs de l’armée d’occupation. Il a été canalisé dans le chenal idéal de sociétés de bienfaisance religieuses qui furent criminalisées dès qu‘elles se sont naturellement transformées en forces politiques et militaires résistantes. Puisqu’elle se battait contre un Etat, complexe militaro-ethnique, qui se proclame lui-même juif, la résistance islamique est alors présentée comme antisémite.

A grands renforts des grands médias majoritairement acquis au sionisme et aux intérêts économiques produits par le néolibéralisme, petit à petit est née la relation qui fait équivaloir Islam et Terrorisme.

L’accouplement contre nature entre les Usa et Les Séoud a donné naissance à Al Qaïda, plus personne ne peut le contester dès lors que le mystère de sa naissance a été proclamé publiquement par Clinton Hillary. Les formes successives empruntées par la matrice initiale sont actuellement observées en Afrique sub-sahélienne, en Afrique du Nord, au Yémen, en Libye, en Irak et Syrie. Daesh a été reconnue comme une nouvelle armée de l’OTAN, ravitaillée et aidée par Israël. Le ministre de l’Armée d’occupation israélienne préfère voir la Syrie livrée à Daesh [8]. Des combattant contre le gouvernement syrien sont ouvertement soignés dans des hôpitaux israéliens. [9]

L’islamophobie – telle qu’elle est actuellement agencée - résulte des changements cruciaux survenus après les chocs pétroliers, la naissance d’un antagonisme nouveau entre la République islamique d’Iran et les pétromonarchies du Golfe, l’effondrement des gauches qui a anticipé chronologiquement de la disparition de l’URSS. Le quatrième facteur (annoncé plus haut) déterminant son émergence est le creuset néoconservateur sioniste. Plusieurs ingrédients mis dans le mortier ont produit le pharmakon. L’islamphobie désigne le plus récent ennemi planétaire, un nouvel objet fabriqué par un Système capitaliste dont la force de propulsion essentielle est la guerre, sous toutes ses formes. Elle ne résulte certainement pas d’une subite conversion de la haine ou de l’exploitation du bougnoule ou du bicot, attirail remisé depuis que les Usa ont sifflé la fin des empires coloniaux britanniques et français.

Après 1962, le reflux des pieds noirs a laissé la France indifférente à leur sort. Ils se sont recroquevillés comme ils ont pu, ressassant pour certains leur âge d’or perdu. En attendant, certains furent recrutés d’abord contre les communismes européens, singulièrement l’italien, puis comme formateurs des escadrons de la mort en Amérique latine. Quelques éléments résiduels, nostalgiques inguérissables de la perte de leur position dominante, même ridiculement dérisoire, par rapport à l’indigène, restaient à l’affût d’une reconnaissance de leur tragédie. Ils ont aidé à l’élection de Mitterrand, personnage florentin avec une trajectoire avérée dans la collaboration avec l’Allemagne nazie puis un des principaux acteurs du colonialisme meurtrier.

La France et toute l’Europe étaient embarquées dans les équipements ménagers, la voiture, le rock & roll et n’avait que faire de ces ruminations indigestes. C’est le Parti socialiste français, après son OPA sur le Parti communiste français dans le cadre du Programme commun, qui a désigné comme des agents des Ayatollah les meneurs de grèves assez dures dans l’automobile et les mines où l’ouvrier maghrébin fortement syndicalisé a été en pointe des revendications contre les fermetures d’usines et de mines et pour une revalorisation des salaires. Ce glissement sémantique inaugural est symptomatique de la suite donnée à la chasse au musulman. L’islamisme a donc été désigné en France comme ennemi par les pouvoirs "de gauche », agents objectifs de la contre révolution culturelle au sens gramscien du terme, avant même qu’il n’existe ! Cette fausse interprétation a eu un grand succès car elle a été étayée par des moyens considérables construits à l’échelle internationale. L’islamisme "mondial" étant, lui, le produit de la manipulation de la CIA organisée en Afghanistan.

Cette élaboration qui dépasse de beaucoup l’idéologie raciste, finalement assez provinciale d’une France aux prises avec ses (anciennes ?) colonies musulmanes, peut être illustrée par les "Caricatures de Mahomet". Le circuit en est saisissant. A l’automne 2004, Flemming Rose, un rédacteur des pages culturelles d’un journal danois situé à l’extrême droite et xénophobe, dotée d’une filiation nazie ténue mais certaine, est dépêché aux Usa. [10] Il recueille l’avis de Daniel Pipes, un néoconservateur sioniste revenu d’un passé de gauchiste, engagé dans un unique combat, la destruction physique totale des Palestiniens par la voie militaire, Il publie à son retour le 29 octobre 2004 un article qui fait la part belle à la pensée de Daniel Pipes, ‘La menace de l’Islamisme’. ( ) Les deux hommes se seraient revus à l’été 2005, il en est résulté un concours et une série de dessins furent publiés le 30 septembre 2005. La représentation d’un homme musulman avec une bombe disposée sur sa tête en guise de turban n’était pas une critique de l’Islam, elle dit clairement et sans ambigüité que tout musulman est un terroriste . Elle cherchait à appuyer cette identification faite par les grands medias d’obédience. Cela aurait pu rester de l’ordre d’un message local et circonscrit aux seuls lecteurs, fort se Jyllands Posten. Il a fallu que la Société Islamique du Danamark alerte l’Organisation de la Conférence Islamique et que quelques diplomates agitent fortement le papier sous le nez de leurs gouvernements pour que les dessins soient vus et condamnés par des théologiens, que soit sonnée l’alarme et que le monde musulman s’embrase. Le coup de Pipes a réussi à enfermer les musulmans outragés dans le cercle de la violence qu’il a enduit et démontrer les prémisses par le résultat. Le Musulman est terroriste. Pour que la bombe de la réaction explose avec les effets escomptés, il a été convenu secondairement que l’homme au turban figurait le Prophète (sws) de l’Islam. Pour la bonne gouverne des libertaires sociétaux français, la liberté d’expression au Danemark s’arrête au seuil du blasphème, punissable d’emprisonnement selon la loi de ce pays européen. Ainsi, le musulman est de plus non démocratique car il ne tolère pas la critique. Quand le FBI infiltre des organisations musulmanes pour encourager, inciter et parfois payer des musulmans étasuniens à organiser des attentats terroristes, la dimension internationale et méthodique de l’organisation de l’islamophobie est démontrée.
 [11]

Or l’Islam à son origine, tel qu’il s’est développé comme organisation sociale à Médine, a donné lieu à une société pluriconfessionnelle et laïque. Il n’y a nulle trace d’indication coranique ou prophétique pour une forme politique précise que doive adopter la ou les communautés musulmanes. Mohamed, Ibn Abdallah Ibn Abutalib, (sws) a été Prophète de l’Islam mais aussi chef politique. Il n’a pas laissé de testament pour sa succession. Il n’a pas pu, pas voulu, ou encore a-t-il été empêché de le faire ? Le califat, ou régime politique sous la direction d’un calife, terme polysémique désignant imparfaitement un substitut, un remplaçant-représentant ou encore un successeur constitue une mission impossible car Mohamed(sws) a terminé le cycle des prophéties. Il est une interprétation (invention ?) libre de ses Compagnons. [12]
Les principes généraux recommandés canoniquement, obligation de consultation entre les membres de la communauté pour les affaires qui les concernent, excluent le système autocratique, le plus répandu actuellement dans le monde musulman. Contrairement au monde chrétien occidental qui a toujours éradiqué dans le sang le moindre écart à la doxa religieuse du prince régnant, l’Islam pendant très longtemps, tant qu’il n’a pas été menacé et mis au défi sérieusement par le colonialisme, a su cohabiter avec ses minorités religieuses qu’il protégeait (sens du mot maintenant mal compris de dhimmi). On doit par exemple à cette tolérance inconnue en Europe, la survivance des Nestoriens, des Syriaques et des Coptes. Où est la trace des Cathares ou des Albigeois sinon dans les récits de massacres ? Où est celle des Musulmans d’Andalousie et de Sicile, sinon dans diverses villes du Maghreb et de l’Empire ottoman où ils ont été contraints de s’exiler pour ne pas se convertir ? Pourquoi 90% des juifs européens ont-ils dû se réfugier en Pologne qui, bien que catholique, a adopté à la fin du Moyen-âge, le système musulman de traitement des minorités religieuses ?

Le Maghrébin et l’Africain (et maintenant le Moyen-Oriental ou l’Afghan) est repoussé vers son identité religieuse, identité largement manipulée par les flux financiers internationaux qui ont défini pour lui une tradition inventée et bricolée. Au nom de cet attribut qui est son refuge ultime dans un système social inégalitaire socialement et ethniquement où il n’a plus sa place à cause du chômage institué structurellement, il est disqualifié pour l’égalité dans la citoyenneté républicaine. On compte sur lui pour figurer la classe dangereuse, irrémédiablement non intégrable dans la douillette classe moyenne qui perd elle progressivement ses petits avantages et ses illusions d’accéder à la bourgeoisie. Et se trouve donc dans une position de frustration grandissante l’amenant à chercher des bouc-émissaires. C’est à lui, le paria qui n’a rien à perdre, que revient le devoir de transformer l’ordre social de plus en plus inique et sans avenir. Il ne le pourra tant qu’il ne se verra et sera vu que comme discriminé en raison de sa foi religieuse et non de son appartenance de classe. Jusque là, il oscillera entre le quiétisme et un combat désespéré, le pire. Quand il choisit l’exil à la recherche d’une patrie musulmane mythique, il fait la douloureuse expérience de l’autocratie et de l’iniquité revendiquée comme système social.

On sait maintenant que la peur du péril rouge a été une opération construite grâce aux divers services de renseignement - en réalité des officines efficaces de propagande et de manipulation d’opinion. La peur de l’Islam depuis une trentaine d’années est elle aussi est une fabrication par à peu près mêmes organes.

Le macronisme, forme générique pour une absence de pensée politique, laquelle est confiée au vrai pouvoir, celui des transnationales, est exemplaire d’une velléité ‘réformatrice’ de l’Islam dans les frontières françaises. Elle n’est pas la première tentative qui échouera dans cette illusion post-jacobine de réguler ce qui par essence ne peut qu’échapper au cadre des institutions de la République. Le prochain réformateur, ou le prochain révolutionnaire, convaincra ses coreligionnaires à s’engager avec lui pour transformer non l’Islam mais les conditions de vie des musulmans, et donc aussi de tous leurs compatriotes de toutes origines et appartenances religieuses mais de même appartenances sociales.

27 février 2018




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